Au congrès des producteurs de maïs les 20 et 21 novembre à Pau, les interventions consacrées aux bouleversements géopolitiques récents ont dominé les débats.
Guerre en Ukraine, au Moyen-Orient et élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis : l’accélération des événements suscite interrogations et inquiétudes. La table-ronde consacrée aux événements géopolitiques récents a fait salle comble au congrès des producteurs de maïs, les 20 et 21 novembre à Pau. Ralph Ichter, qui dirige « Euroconsultants » à Washington, entreprise qui représente les intérêts de l’agro-alimentaire français aux États-Unis, a campé le sujet en relevant que le monde avait changé avec l’élection de Trump. Face à une inflation galopante, le prochain président américain entend remonter les droits de douane de l’ordre de 10 à 20 % et jusqu’à 60 % pour la Chine, ce qui redirigerait ces exportations vers le marché européen. Un risque majeur pour l’excédent commercial de l’Union européenne avec les États-Unis, qui s’élève à 155 milliards d’euros.
Les agriculteurs ont majoritairement voté pour Trump, a relevé l’expert, soulignant que ce dernier souhaitait renforcer le Farm Bill. Ce budget agricole pourrait atteindre 1 500 milliards de dollars sur 10 ans dont 120 milliards par an d’aide alimentaire. Les prix d’achat du lait seraient ainsi multipliés par trois. Concernant les bioénergies, un programme de 1,5 milliard de dollars est déjà lancé pour 57 usines d’éthanol pour l’aviation civile. Selon Ralph Ichter, les discussions entre l’équipe Trump et la Commission européenne seraient engagées et l’UE s’engagerait à acheter plus de soja.
Montée en puissance des Brics
Si les négociations avec l’équipe Trump risquent de se raidir, la situation n’est pas plus souple du côté des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Olivier Antoine, directeur du cabinet ORAE, spécialiste des problématiques agricoles et alimentaires en Amérique latine, a brossé un tableau de l’état d’esprit de ces pays du « Sud Global ». Une donnée résume la situation : dans les années 1990, les quatre céréales essentielles (riz, maïs, blé et soja) étaient produites dans les pays de l’OCDE. En trente ans, les tendances se sont inversées. Les Brics ont augmenté leur production de 120 % quand l’OCDE n’a augmenté que de 40 %. Pour le maïs, les Brics produisent maintenant 43 % de la production mondiale. « Ces pays produisent désormais plus que nous, et cela va s’amplifier », a estimé Olivier Antoine, car ils ont des réserves foncières et des marges pour améliorer les rendements. « On ne dicte plus les règles du jeu, a-t-il poursuivi, l’agriculture est aux premières loges dans cette volonté de renverser l’hégémonie occidentale. » Le président russe, Vladimir Poutine, veut lancer une bourse aux céréales pour contrer l’hégémonie du dollar. La production de maïs a de son côté augmenté de 10 % dans l’OCDE en trente ans, contre + 420 % dans le Mercosur.
Le défi ukrainien
Yves Madre, fondateur et dirigeant du cercle de réflexion « Farm Europe » s’est interrogé sur les capacités de l’Union européenne à réagir. « Une Union qui se fait isoler et dont on se demande si elle veut sa souveraineté », a-t-il déploré. Les défis sont nombreux pour le nouveau commissaire à l’agriculture, le Luxembourgeois Christophe Hansen : baisse de la démographie agricole, nécessité de mettre en place des instruments pour stabiliser les revenus et couvrir les aléas climatiques. Et surtout, défi majeur : anticiper l’agrandissement à l’Ukraine. « Face à l’agression russe sur l’Ukraine, nous avons perdu une occasion d’accélérer notre transition géopolitique. Nous sommes une puissance agricole, semencière, alimentaire. Nous devons taper du poing sur la table, et réagir, montrer que nous sommes aussi une Europe de la puissance », a-t-il affirmé, ce qui lui a valu de nombreux applaudissements des congressistes. « Si on n’intègre pas l’Ukraine, celle-ci deviendra un vassal de la Russie », a-t-il assuré. En conclusion de ces échanges Franck Sander, vice-président du Copa-Cogeca, et responsable des dossiers européens pour la FNSEA, est venu rappeler les atouts de l’agriculture française, et notamment du maïs dont les rendements continuent de progresser. « Pour absorber l’Ukraine il est indispensable de mettre en place des clauses de sauvegarde, car son intégration constitue un risque majeur pour notre agriculture. Ce n’est pas au monde agricole de supporter l’effort de guerre. » Selon lui, les temps imposent plus que jamais aux agriculteurs d’avancer unis sur ces questions auprès des institutions européennes à Bruxelles, au travers de leurs différentes représentations.