Alimentation
Les producteurs isérois s'organisent pour vendre leurs produits

Du producteur au consommateur, c'est toute la distribution qui se réorganise afin que les produits locaux puissent aller à la rencontre des attentes du client final en période de crise sanitaire.
Les producteurs isérois s'organisent pour vendre leurs produits

Entre l'évolution de la règlementation sanitaire et les changements de comportement des consommateurs, les producteurs isérois s'organisent.

La crise du Covid-19 bouleverse les relations commerciales, qu'il s'agisse de circuits courts, de marchés intermédiaires ou de filières plus longues.

Dans cette réorganisation générale, les agriculteurs font preuve d'une grande solidarité interprofessionnelle, mais peuvent aussi compter sur le soutien de la chambre d'agriculture de l'Isère et des maires soucieux de l'alimentation de la population.

Une quarantaine de dérogations

En début de semaine dernière, un décret ministériel a marqué un coup d'arrêt pour les marchés de plein vent, plongeant une grande partie des producteurs pratiquant la vente directe dans une impasse.

En fin de semaine, le préfet de l'Isère accordait cependant une quarantaine de dérogations aux maires qui en faisaient la demande, pour que se tiennent des marchés en format réduit et sous certaines conditions très strictes (voir ci-dessous).

La demande avait été pressante de la part du monde agricole, notamment de la FDSEA 38 qui avait écrit la semaine dernière à toutes les communes, démarche en adéquation avec la position de l'Association des maires de l'Isère (AMI). « Cela permet un écoulement des produits agricoles en jouant sur la proximité et c'est aussi une réponse intéressante plutôt que d'envoyer beaucoup de monde dans les grandes surfaces », rapporte Daniel Vitte, président de l'AMI.

 

L'activité sur un format réduit a pu reprendre sur le marché de l'Estacade à Grenoble dès la semaine dernière.

 

Dès jeudi après-midi, la ville de Grenoble rouvrait ses premiers petits marchés.

S'adapter rapidement

« Nous nous sommes entendus entre producteurs pour faire un tour de rôle sur le marché d'Hoche du samedi. Pour l'Estacade, c'est la mairie qui fait les plannings », explique Jérôme Bouilloud, maraîcher à Saint-Quentin-sur-Isère.

Il accueille les nouvelles mesures avec raison. La limitation à cinq étals est certes une contrainte, « mais pas grand monde veut y aller », reconnaît le producteur. Il salue cependant l'énergie déployée par la mairie de Grenoble qui « a tout fait pour que les marchés restent ouverts ».

« Nous étions dans l'attente toute la semaine et nous avons appris vendredi matin que la marché d'Echirolles village de samedi était maintenu », témoigne Jody Baumann de la Ferme des Nobles à Villard-de-Lans.

Le producteur de porcs a dû s'adapter très rapidement à cette nouvelle donne. « J'ai récupéré mes cochons jeudi à l'abattoir et je ne savais pas de quelle manière j'allais les transformer. »

Mais comme de nombreux producteurs, il assure : « Il faut être réactif. On se lève tôt et on se couche tard, mais nous ne sommes pas à plaindre par rapport à d'autres professionnels comme les restaurateurs qui encaissent une perte nette de chiffre d'affaires. »

Et puis, il pense à ses clients parmi lesquels beaucoup de personnel soignant. « Par respect pour eux, on se doit d'y aller. »

Les maires en première ligne

« Sur les marchés, les gens sont sérieux et se sont distancés naturellement », rapporte encore Jody Baumann. Même constat pour Jérôme Bouilloud qui temporise : « Ca fonctionne tant qu'il n'y a pas d'affluence, sinon, ça peut devenir difficile à gérer. »

« Les maires sont les mieux placés pour savoir s'il faut demander une dérogation ou aller vers des modes alternatifs », confirme Daniel Vitte.

C'est d'ailleurs le parti pris par la communauté d'agglomération de Vienne-Condrieu, qui dès la fermeture des marchés a mis en avant les points de vente directs organisés par les producteurs.

Les producteurs sont nombreux à organiser des ventes à la ferme, qui ont explosé avec une clientèle qui dépasse largement celle des habitués. « Nous faisons quatre à cinq fois plus de volumes que d'habitude », estime Jérôme Bouilloud.

 

Points de vente collectifs

Jérôme Bouilloud et Jody Baumann ont également observé une hausse de la fréquentation des magasins de producteurs. « C'est une chance », assure le producteur de porcs associé à la Coop de Saint-Ismier.

Le maraîcher, associé à trois points de vente collectifs, reconnaît « on n'arrrive plus à suivre ».

Tous les apporteurs mettent les bouchées doubles pour faire face à la demande. « Le magasin de la Caserne de Bonne, à Grenoble, tourne à plein régime », constate également Jacqueline Rebuffet, productrice de viande et produits laitiers en Belledonne et vice-présidente de la chambre d'agriculture.

« On se fait dévaliser et il faut expliquer que nous avons des limites de production. Nous ne pouvons pas augmenter nos volumes à l'infini. C'est un phénomène que nous subissons car tout le monde mange à la maison. On récupère la clientèle de la restauration hors domicile. »

Pour l'élue, les magasins de producteurs bénéficient aussi du report de clientèle qui ne veut pas fréquenter les grandes surfaces trop encombrées. « Davantage de boulot dans nos fermes, plus de travail dans les magasins », la productrice espère aussi tenir le rythme.

Pour les maraîchers, cette crise sanitaire survient dans une période de creux de production entre les légumes d'hiver et ceux de printemps. Les récoltes vont sérieusement s'accélérer à partir du mois d'avril, ce qui leur laisse un tout petit créneau pour réorganiser la distribution.

Distribution de paniers

« Des marchés se sont fermés comme la RHD. Les gens achètent d'abord des pâtes et du riz. L'ambiance morose ne favorise pas les achats impulsion », analyse Pascal Denolly, le président du pôle agroalimentaire grenoblois (PAA).

Mais une chose est certaine : il y aura de la marchandise à écouler.

Sur un plan BtoB, la plateforme du PAA doit justement permettre de « fluidifier les relations entre producteurs et points de vente ». La chambre d'agriculture est à la manœuvre. Elle a publié un guide très précis destiné aux relations amont-aval.

« L'accès au pôle agroalimentaire est ouvert à tous », insiste son président. « Tous les détaillants peuvent se connecter sur la plateforme et trouver des producteurs pour les fournir », précise Virginie Thouvenin, une des conseillères de la chambre d'agriculture mobilisées sur cette action.

Sites et transports

L'autre grand chantier de la chambre d'agriculture est l'organisation de la distribution de paniers que les consommateurs réclament unanimement. « Nous avons fait le choix de travailler avec le site panierlocal. Cela peut donner l'occasion à certains producteurs d'aller vers l'e-commerce, commente Pascal Denolly. Nous nous appuyons sur les mairies pour trouver des lieux où organiser les distributions. »

Dans le cadre de cette situation exceptionnelle, les frais de mise en service sont offerts, seul l'abonnement à la plateforme est payant.

Pascal Denolly indique que les moyens de transport, affectés habituellement aux plateformes MangezBioIsère ou Recolter peuvent être mis à disposition pour l'organisation de la distribution des paniers.

Proximité

« Il existe plusieurs pistes, confirme Daniel Vitte. Nous étudions la possibilité que des maires puissent par exemple proposer un parking ou de petites surfaces pour organiser la vente de productions locales. »

Il ajoute : « On se place dans une perspective de confinement jusque fin avril. Un mois, ce n'est pas rien pour la production. Cela vaut le coup d'organiser des choses. »

La chambre d'agriculture de l'Isère, qui recense l'ensemble des intitiatives mises en place dans les territoires, sera en mesure d'éditer une carte dès cette semaine afin « que les consommateurs puissent trouver leurs producteurs », indique Virginie Thouvenin.

Elle précise, « si des communes ne savent pas comment s'y prendre, elles peuvent nous contacter ».

Dans les communes et les communautés de communes, les initiatives se multiplient. Portées par les collectivités ou des collectifs de citoyens, elles visent à ne laisser personne isolé dans cette crise sanitaire.

« Notre préoccupation la plus importante est celle du maintien de la proximité, insiste Daniel Vitte. Car il y a des personnes seules ou fragilisées.»  Et cela passe en premier lieu par la réponse aux besoins alimentaires.

Isabelle Doucet 

Des marchés sous condition

Les conditions requises pour le déroulement des marchés de plein vent :
- un format réduit avec cinq étals maximum par marché.
- espace de 3 à 5 mètres entre les étals ;
- 50 clients simultanés maximum par marché ;
- déplacement, le cas échéant, du marché vers un autre lieu afin de préserver au mieux la sécurité ;
- installation de films plastiques ou de vitres en plexiglass pour protéger les aliments et éviter les manipulations par les clients ;
- files d'attente matérialisées marquant les distances minimales entre chaque client ;
- Barrières ou cagettes posées au sol pour assurer le respect des règles de distanciation ;
- la présence d'une personne par marché pour s'assurer du respect des règles sanitaires.
- Drive ou service de click and collect mis en place par les commerçants du marché à travers un système de commande.