Session chambre
L’agriculture et l’état du monde

Isabelle Doucet
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L’économiste Thierry Pouch s’est penché sur les conséquences de la situation géopolitique mondiale pour l’agriculture et sur ses marges de manœuvre.

L’agriculture et l’état du monde
Intervention de Thierry Pouch (à g.) lors de la dernière session de la Chambre d'agriculture de l'Isère.

Thierry Pouch, économiste à Chambre d’agriculture de France (ex APCA), était l’invité de la dernière session de la Chambre d’agriculture de l’Isère qui s’est déroulée le 21 juin.

L’économiste a brossé un tableau sans concession de l’état de l’économie mondiale au sortir de la pandémie Covid et à l’aune de la guerre en Ukraine.
Cette situation interroge et contraint la production agricole confrontée à de nombreux défis. Hausse générale des coûts, menace d’insécurité alimentaire, nouvelle géopolitique des ressources : « le conflit nous oblige à repenser nos modes de production et de consommation », signifie Thierry Pouch.

Contraction de la croissance

« La flambée des prix précède la guerre en Ukraine », replace-t-il. La reprise économique avait en effet provoqué de fortes tensions sur la disponibilité et les cours des matières premières agricoles et non agricoles. À lui seul, le baril de pétrole a bondi de 20 $ à 125 $.
Cela se déroule dans un contexte où les états se sont fortement endettés, la France « pulvérisant la dette publique », pour atteindre 113 % de son PIB.
Pour l’économiste, les critères de convergence que s’est imposée la zone euro seront sans doute réformés.
Pendant ce temps, les taux d’intérêt de la banque centrale remontent. Et l’ensemble se traduit par une forte inflation et une contraction de la croissance.

Arbitrages et assolements

L’agriculture pourrait bénéficier « du redressement de toutes les cotations » qui s’inscrivent « dans un cycle haussier », qui peut être durable. Cependant la situation en Ukraine « d’où rien ne sort » et le blocage de la Russie, immobilisent un tiers de la production mondiale de blé.
En conséquence, les coûts alimentaires pour l’élevage sont au plus haut et les prix de vente, bien qu’élevés, arrivent à plafonner, notamment en porc.
Quant aux grandes cultures, elles sont placées sous la double menace du « choc » du prix des engrais – « où la Russie occupe une place prépondérante sur le marché mondial » - et de l’envolée du prix des lubrifiants et de l’énergie.
Si les stocks pour 2021 sont suffisants, Thierry Pouch s’interroge quant aux volumes disponibles pour 2022 et 2023, et à quel prix. Il précise que la France dépend à 7 % de l’engrais russe.
Dans les champs, les arbitrages se feront dans le choix des assolements. Mais l’équation est simple : moins d’engrais égale perte de rendements.

Souveraineté alimentaire

Par ailleurs, l’économiste pointe le risque d’une situation d’insécurité alimentaire. Il rappelle que le Maghreb est très dépendant des céréales produites en Russie et en Ukraine, que l’Inde, deuxième producteur de blé au monde, a suspendu ses exportations et qu’il n’y a dans le monde que quelques pays exportateurs, dont la France.
Thierry Pouch égratigne au passage le green deal européen, qui selon les études d’impact (2) conduirait à un décrochage de la production agricole de 12 à 20 %.
Les exportations connaîtraient un retrait du même ordre et les importations augmenteraient fortement.
« Nous sommes en présence d’une Europe qui manifestement soutient de moins en moins son agriculture », déclare l’économiste.
C’est la raison pour laquelle il considère que la souveraineté alimentaire n’est « pas forcément un repli sur soi-même mais une décision sur soi-même et pour soi-même, sans s’en remettre à une instance supranationale ».
Dans ce contexte-là, il souligne une bonne nouvelle, celle du redressement du solde commercial agroalimentaire de la France qui affiche un excédent de 10 milliards d’euros après des années à 0.
« C’est le seul secteur excédentaire avec l’aéronautique », rappelle Thierry Pouch qui ajoute : « L’image des produits français est toujours intacte à l’étranger. »
Enfin, la guerre en Ukraine recompose la géopolitique des ressources de la planète. « Le conflit nous oblige à repenser nos modes de production et de consommation », commente l’intervenant. Il considère le risque « de russification des exportations de céréales », si la Russie fait main basse sur les régions productrices ukrainiennes. D’autant que les sanctions occidentales prises contre la Russie en 2014 l’ont boostée dans sa production de céréales.

Un rôle à jouer

Cette présentation a donné matière à un débat très fourni. Aurélien Clavel, nouvel élu au bureau de la chambre d’agriculture, a fait observer qu’il « manque une vraie politique alimentaire. On traite les choses en silo : alimentation, environnement, zones agricoles etc., alors qu’il est difficile de mettre des choses en place sans savoir où on va ».
Thierry Pouch reconnaît que l’Union européenne s’est éloignée de son objectif agricole et alimentaire. Il fait observer que la France représente 19 % de la production agricole européenne.
Elle a un rôle à jouer, alors qu’elle n’a jamais eu de commissaire européen à l’agriculture.
Du côté de la Confédération paysanne, Cédric Ménoni prône « la sobriété et le changement de modèle alimentaire », redoutant que la situation géopolitique ne conduise à « mettre entre parenthèses les mesures pour lutter contre le réchauffement climatique ». «
 À l’échelle mondiale, la question climatique sera particulièrement tendue ces prochaines années »
, prévoit Thierry Pouch également interpellé sur la taxation carbone.
Au passage, Jean-Claude Darlet, président de la chambre d’agriculture, fait observer que tous les secteurs économiques ne sont pas aussi vertueux que l’agriculture qui a réussi à économiser 30 % de sa consommation d’eau en 20 ans.

Energie verte

L’exposé de l’économiste a été l’occasion de mettre en perspective les actions concrètes de la chambre d’agriculture sur le terrain.
Les ingénieures et ingénieur réseaux ont fait état de leurs travaux, notamment dans la collecte de données en élevage, afin de mesurer les performances techniques et économiques des fermes, mais aussi pour affiner la connaissance des coûts de production et tendre vers l’autonomie alimentaire.
Un focus a été fait sur la production fourragère.
Ces actions s’appuient sur des programmes régionaux et font l’objet de démarches collectives (GIEE, groupes Déphy, 30 000) et individuelles. L’expertise dans les itinéraires techniques a permis aux fermes de référence de baisser de 20 % leurs IFT, qui sont autant d’économie d’engrais.
La chambre d’agriculture s’est aussi beaucoup investie sur le volet méthanisation (7 unités en fonctionnement, 4 en construction, 10 en attente). En parallèle, des travaux sont menés sur l’analyse du digestat dont l’épandage est aussi une alternative à l’engrais. Pour autant, les experts s’inquiètent de l’envolée du cours des matières qui risquent mettre en péril l’équilibre économique des méthaniseurs. Pas facile en Isère de produire de l’énergie verte cohérente.
Alors que Jérôme Crozat faisait auparavant mention du risque lié à la tentation de sacrifier du foncier agricole au profit du photovoltaïque, comme c’est le cas à Cessieu, Jean-Claude Darlet s'inquiète des choix opérés « entre énergie et alimentation ».

Isabelle Doucet

(1) En 2019, le déficit public de la France était de -3,1 % à 97,4 % de son PIB. Il s’établit fin 2021 à +6,5 % à 112,9 % de son PIB
(2) ministère de l’agriculture américain (USDA), institut de recherche berlinois HFFA, COCERAL (négociants européens en grains), Université de Kiel, étude du JRC, le centre de recherche de la Commission européenne.

Une nouvelle directrice, un nouveau membre du bureau
Héloïse Gonzalo, la nouvelle directrice de la Chambre d’agriculture de l’Isère

Une nouvelle directrice, un nouveau membre du bureau

De nouveaux visages dans l’exécutif de la chambre d’agriculture.

 

Héloïse Gonzalo est la nouvelle directrice de la Chambre d’agriculture de l’Isère. Elle prendra ses fonctions le 4 juillet pour un tuilage durant plusieurs mois avec Philippe Guérin et Jean-Louis Goutel, directeur et directeur adjoint, qui font valoir leurs droits à la retraite cette année. Héloïse Gonzalo était chef de service à la Chambre d’agriculture de l’Aveyron où elle a travaillé pendant 15 ans. Sa famille est iséroise.

Comme il l’avait annoncé, Pascal Denolly, a quitté le conseil d’administration et le bureau de la Chambre d’agriculture de l’Isère où il était vice-président. C’est Alexandre Escoffier qui le remplace dans cette fonction et Aurélien Clavel qui a été élu au bureau consulaire. L’ex vice-président national JA entend désormais se consacrer aux agriculteurs du département qu’il « n’a jamais oubliés ».

Dans le réel et le concret

Jérôme Crozat, le président de la FDSEA, a pris la parole au sujet de la résilience des exploitations, soulignant les atouts du département qui a su notamment mettre à profit le plan de relance. Son projet phare est la construction d’une usine de trituration par Oxyane. L’agriculture Iséroise peut s’appuyer sur le plan Etat-Région dans le cadre des projets d’installation ou d’irrigation, par exemple, et sur les aides du Département dans certains secteurs comme les alpages. « Il faut être dans le réel et le concret et trouver des solutions pour répondre aux attentes des agriculteurs et des consommateurs », a déclaré le syndicaliste qui s’étonne que la priorité ne soit pas donnée aux éleveurs isérois en alpage.
« À condition qu’il y ait des candidats », a répondu Sylvain Mulyk, vice-président du département à l’agriculture. Ce dernier a fait part de ses préoccupations quant aux mutations qui s’opèrent dans l’élevage de montagne, sous la contrainte de la présence du loup.
Jérôme Jury, responsable régional FNPF, a fait part des difficultés de la filière fruits (problèmes de ressource en eau, de recrutement, de coûts de production, impasses sanitaires, relations compliquées avec la GMS etc.). « La filière fruits a besoin d’être défendue », a-t-il réclamé.
Il a aussi été grandement question, au cours des débats, du décrochage de la production en agriculture biologique. « S’il existe une offre, il faut un débouché, a rappelé à ce sujet l’économiste Thierry Pouch. Or, nous sommes dans une période inflationniste et l’Insee a fait le constat d’une baisse de la consommation de produits alimentaires bio et non bio. »
Enfin, une bonne nouvelle : les chiffres de l’installation n’ont jamais été aussi bons en Isère qu’en 2021. « Tous les stages 21 heures affichent complet », indique le président de la chambre d’agriculture.

ID