Diagnostic agraire
Des euros et du temps de travail

Isabelle Doucet
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Etudiant en thèse à Agroparistech, Jonathan Dubrulle a mené un diagnostic des fermes laitières du Vercors tenant compte de la variable temps de travail dans le revenu.

Des euros et du temps de travail
Jonathan Dubrulle a présenté son diagnostic des fermes laitières du Vercors à Beaucroissant en septembre dernier.

« Nous avons besoin de travailler sur la connaissance du terrain pour avoir une vision plus globale de ce que nous percevons en comptabilité ». Etudiant en thèse à Agroparistech et ex-apprentis de Cerfrance Isère, Jonathan Dubrulle a réalisé un diagnostic agraire du secteur des Quatre montagnes et du Vercors central. 
L’été dernier, le thésard a enquêté sur différents systèmes en production laitière, les a comparés entre eux et mis en perspective avec des productions maraîchères.
« L’enjeu est celui de la transmission d’exploitation. Il ne faut pas oublier la variable temps de travail dans cette équation », souligne Romain Lecomte, responsable conseil à Cerfrance Isère. 
Car les exploitations qui dégagent le plus de revenus peuvent aussi présenter une certaine pénibilité au travail, quand d’autres, plus modestes affichent une meilleure rentabilité horaire.

Temps de travail, pénibilité

Question des astreintes en modèle laitier, du temps dédié à la transformation, de la pénibilité en maraîchage : l’étudiant a croisé toutes les données socio-économiques et techniques pour conclure que « l’accroissement de la production de lait par actif n’est pas forcément synonyme de création de plus de richesse ». 
Passées à la loupe, les systèmes font apparaître plusieurs variables liées aux systèmes de production qui interfèrent sur le revenu et la durée du temps de travail. 

Création de valeur ajoutée

De manière générale, le revenu net agricole est supérieur au Smic dans les exploitations du Vercors.
Il ressort que les exploitations laitières – élevage caprin ou bovin -  dès lorsqu’elles font de la transformation, créent plus de richesse par unité de surface ou de main-d’œuvre.
Si le volume de travail y est élevé, la valeur ajoutée par heure de travail est aussi des plus importantes, soit autour de 14 euros nets de l’heure contre 8 à 13 euros de valeur ajoutée nette pour les systèmes qui livrent le lait à une coopérative. 
Pour ces derniers, le volume de travail annuel s’élèvera à environ 2 000 heures par actif, tandis que ceux qui transforment grimperont à 2 500 heures de travail.
Cependant, c’est presque deux fois moins que les maraîchers qui plafonnent à 4 000 heures par an en cumulant une double activité hors de l’exploitation pour compenser la saisonnalité.

Avec ou sans PAC

Du point de vue des aides PAC, les exploitations gagnantes sont celles qui disposent d’une SAU notoire ou d’UGB conséquentes, tout en livrant leur lait, qui s’en sortent le mieux.
In fine « du fait d’un niveau de soutien plus élevé, les plus grandes exploitations sont celles où le revenu agricole horaire est le plus élevé », constate le thésard.
Mais ce ne sont pas forcément les systèmes les plus efficaces. La palme revenant aux exploitations qui transforment. « Elles créent le plus de valeur ajoutée par heure de travail aux 1 000 litres et par actif, mais ne rémunèrent pas le mieux », explicite l’étudiant. 

Transmission, installation

La fin des quotas laitiers a accentué la tendance à l’agrandissement favorisant un système où les subventions vont avec les surfaces.  
« Certains systèmes sont très sensibles aux soutiens publics, d’autres sont moins dépendants, maîtrisent leurs coûts et sont créateurs de valeur ajoutée », conclut Romain Lecomte.
Il préconise cependant, surtout dans le cas d’un projet de transmission, « d’aller au-delà des euros et de ramener les systèmes au dénominateur du temps de travail ».
Pour qu’une installation soit pérenne, autant la considérer dans sa dimension euro/temps de travail et voir ce qu’elle laisse à l’exploitant pour que lui et sa famille vivent bien. 
Isabelle Doucet

Le lait du Vercors depuis 50 ans

Jonathan Dubrulle a mené 35 enquêtes historiques afin de comprendre les processus de transformations des fermes du Vercors. Il a aussi conduit 40 enquêtes technico-économiques pour modéliser des systèmes d’exploitation similaires.

Un contexte historique : de 1960 à 1984, les rendements laitiers dans le Vercors ont doublé et la production s’est concentrée sur la production de lait de vache. 
Les petites exploitations disparaissent tandis que les autres se mécanisent et les unités de production se concentrent. 
En 1984, l’instauration des quotas laitiers, la baisse du prix de l’alimentation animale et l’amélioration des itinéraires techniques de l’herbe  favorisent la hausse de la production de lait par actif. 
En 1998, l’AOP bleu du Vercors, le développement de l’agriculture biologique et du tourisme vert offrent de nouveaux débouchés à la production laitière. 
Depuis 2015 et la fin des quotas laitiers, les trajectoires alternatives continuent à se développer.
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