Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, met en garde contre les conséquences d’une hausse des taxes sur les produits sucrés, notamment sur l’amont agricole. À plus long terme, elle prévoit un projet de loi Egalim avant avril et se dit favorable à revoir la réforme de la séparation de la vente et du conseil des pesticides.
Des amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) prévoient des hausses de taxe sur les sodas, ainsi que sur d’autres produits sucrés et alcoolisés. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Annie Genevard : « Au-delà des sodas, certains de ces amendements proposent de taxer le sucre en général. La question est de savoir si c’est bien le moment d’en rajouter par une taxation directe qui n’est pas mesurée, pas calibrée, et qui peut mettre en péril des emplois. Il faut bien mesurer les conséquences de ces mesures qui peuvent se répercuter sur les fournisseurs, c’est-à-dire les agriculteurs. J’appelle les parlementaires à penser également à l’avenir des filières agricoles et agroalimentaires, à notre souveraineté alimentaire et aux conséquences sur nos producteurs. Je crains que certains d’entre eux renoncent à poursuivre leur production, à cause de l’impact économique que pourraient avoir ces mesures. Faisons confiance aux industriels de l’agroalimentaire pour innover et répondre aux demandes des consommateurs pour des produits plus sains. »
De telles taxes seraient-elles acceptables si leur produit revenait aux secteurs agricole et agroalimentaire, comme vous sembliez le suggérer sur Sud Radio le 23 octobre ?
A.G. : « Au micro de Sud Radio, j’ai réagi à chaud sur les sodas, mais certains des amendements dont nous parlons aujourd’hui vont bien au-delà. Leur cible est extrêmement large, ils touchent de nombreuses productions, et cela me préoccupe, comme cela inquiète tout le secteur. Je ne me situe pas dans cette logique de taxer davantage en espérant un retour vers l’agriculture. Compenser une fragilisation que l’on aurait créée avec ces taxes n’est pas une politique dont le raisonnement me convient. »
Dans quel état se situe l'agroalimentaire français, selon vous ?
A.G. : « La 60e édition du Sial a montré la force du secteur agroalimentaire dans un contexte difficile, avec 82 000 entreprises de toutes tailles, 960 000 emplois et un ancrage territorial remarquable. Les industries agroalimentaires sont une chance pour la France et, surtout, un élément essentiel de notre souveraineté. En tant qu’élue du Doubs tout autant que ministre, je vois bien le rôle irremplaçable de ces entreprises dans les territoires ruraux. Toutes ces raisons me poussent à les encourager et à les défendre. »
Êtes-vous inquiète de l’érosion des exportations agroalimentaires ?
A.G. : « En 2023, la balance commerciale est restée largement excédentaire pour les produits agricoles et agroalimentaires, à plus cinq milliards d’euros. Ces exportations sont un atout stratégique de poids pour notre économie. Mais notre présence sur les marchés mondiaux est menacée : en vingt ans, nous sommes passés de la deuxième place à la sixième – il paraît désormais que l’on tutoie la septième. Nous sommes de plus en plus concurrencés. C’est pour cela qu’il ne faut pas ajouter des boulets au pied de nos entreprises, au moment où elles se battent pour défendre leur position sur les marchés mondiaux. L’heure est au soutien des industries agroalimentaires. C’est ma conviction. »
Vous avez reçu le rapport des anciens députés Babault et Izard sur la réforme des relations commerciales. Quelles sont vos intentions dans ce dossier ?
A.G. : « Nous avons commencé à l’étudier. Je rappelle que ce n’est pas un rapport prêt à l’emploi, mais qu’il faut bien en évaluer chacune des propositions. J’ai aussi reçu les représentants des agriculteurs, des industriels et des distributeurs. Ce qui semble faire l’unanimité, c’est le maintien du SRP+10 (relèvement du seuil de revente à perte de 10 points, NDLR). Ce qui est sûr, c’est qu’il faut que le Parlement ouvre un débat avant avril, car l’expérimentation du SRP+10 s’achèvera à cette date. »
Envisagez-vous un projet de loi ?
A.G. : « Oui, nous sommes investis dans les travaux sur le budget 2025, mais nous sommes déjà en train de chercher un créneau parlementaire pour un projet de loi. Il faut se donner le temps d’élaborer un texte qui soit vraiment utile au monde agricole. Des voies d’améliorations doivent être étudiées avec toutes les parties prenantes. Je vais travailler avec Laurence Garnier d’ici décembre sur ce dossier. Les lois Égalim ont été conçues pour protéger la matière première agricole, chaque maillon est essentiel. »
Quid de la réforme de la séparation vente/conseil des pesticides ? Allez-vous répondre à la demande du sénateur Laurent Duplomb d’un texte avant la LOA ?
A.G. : « Il faut impérativement revenir sur ces dispositions qui compliquent beaucoup les choses dans l’exécution, et cela a recueilli un assentiment assez large. En tout état de cause, ça ne peut pas rentrer dans la loi d’orientation agricole (LOA), il faudra un autre véhicule législatif. Laurent Duplomb a une proposition de loi, qu’il pourrait présenter à l’occasion d’une semaine d’initiative sénatoriale, un peu avant la LOA. Concernant l’examen de la LOA, j’ai pris le premier créneau disponible pour le gouvernement au Sénat : l’examen commencera en commission à la mi-décembre et en séance publique en janvier. »