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Débat

Cette eau qu'il faut partager

Dans le cadre de son cycle Terres de débat, la chambre d'agriculture organisait, le 19 juin dernier à Colombe, une table ronde sur la conciliation des usages de l'eau en Isère. Des experts, des usagers et des politiques ont partagé leurs points de vue sur ce dossier bouillant.
Cette eau qu'il faut partager

La chambre d'agriculture de l'Isère a été désignée par la préfecture organisme unique de gestion collective des prélèvements à usage d'irrigation agricole le 12 décembre 2013. La situation en Isère est qualifiée de « particulière », par Clémentine Bligny, de la Direction départementale des territoires de l'Isère (DDT), car elle présente une approche globale et par bassins versants. Peu de chambres ont en effet réussi à être aussi fédératrices, mais aussi à présenter une antériorité de 14 années d'expériences, puisque la procédure mandataire, apportant une vision globale des masses d'eau prélevées par versant, a été mise en place en 2000. « En revanche, vous devez être coordonnés », a invité la fonctionnaire à l'endroit des gestionnaires. Le dispositif d'organisme unique devrait être opérationnel en 2016. D'ici là, il faudra que tout le monde se mette d'accord sur les volumes prélevables, véritable pierre d'achoppement pour la profession agricole et les irrigants. Quoique, pour Franck Doucet, le président de l'association des irrigants de l'Isère (Adi), « la ressource en eau est plus un sujet qu'une question en Isère ».

Clémentine Bligny, de la DDT, André Coppard, secrétaire adjoint chambre d'agriculture et responsable comité Espace territoire environnement, Nathalie Jury en charge du dossier irrigation à la chambre d'agriculture, Claude Janin, en charge de l'aménagement de l'espace à la chambre d'agriculture et animateur de la soirée,  Jean-Claude Darlet, président de la chambre d'agriculture. 

« Se mettre d'accord »

Cependant, le calendrier des Sdage, les outils de programmation qui fixent pour chaque bassin hydrographique les orientations d'une gestion équilibrée de la ressource en eau dans l'intérêt général, est en cours de révision. « Vous êtes au courant que vous pouvez intervenir quand vous le voulez », a rappelé la représentante de la DDT. Le prochain Sdage courra de 2016 à 2021, mais il est déjà en cours d'écriture. Il sera validé fin 2015 après une période de consultation. Il en découlera une nouvelle carte des « équilibres quantitatifs ». « Il faut être conscient de ces enjeux », insiste Clémentine Bligny. Elle rappelle que les études de volumes prélevables sont presque toutes bouclées en Isère. « Ce sont des outils d'aide à la décision, mais ils ne constituent pas la décision ». Il faudra donc faire preuve d'un grand sens de la concertation - et de la persuasion - dans l'élaboration des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) qui réuniront élus locaux, usagers, administration et associations. Christian Nucci, le vice-président du conseil général en charge de l'agriculture déclare que « c'est une responsabilité lourde pour l'organisme unique » qui aura à travailler avec une multiplicité d'acteurs sur ce patrimoine qu'est la ressource en eau. Il invite l'organisme à avoir « un regard le plus objectif possible » et de « travailler dans un climat de confiance entre les différents partenaires. Il faut, à un moment, se mettre d'accord ».

                          

Développer les surfaces irriguées

Mais les irrigants sont partagés entre bonne volonté et intérêts économiques. « Les enjeux financiers sont importants. Nous ouvrons de nouvelles productions afin de sécuriser les exploitations face aux fluctuations des marchés. Notre position est claire. Nous sommes pour un développement des surfaces irriguées en Isère. Mais l'économie se fait toute seule. Car l'irrigation coûte aussi en énergie et les agriculteurs réfléchissent à deux fois avant d'allumer leurs pompes », présente le président de l'Adi. Il explique également que les irrigants procèdent à des essais de systèmes d'irrigation par goutte-à-goutte et enterrés pour irriguer de façon plus efficace dans le cadre des volumes imposés. Pour Raymond Riban, président d'Isère conseil élevage, « l'irrigation est vécue comme une sécurité par les éleveurs pour fournir l'alimentation à leur troupeau ». Il rappelle les années « dramatiques » de 1976 où les exploitants amenaient à l'abattoir les bêtes qu'il ne pouvaient plus nourrir. L'équation est simple : ces éleveurs ont besoin de fourrage et le plus facile à obtenir est le maïs. « Arroser l'herbe de la Bièvre, ça ne marche pas ». Il parle aussi de structure des sols, mentionnant que la matière organique et donc la fertilisation, permet de retenir l'eau.

Les pêcheurs aussi très concernés

Pour Patrick Garin, de l'Irstea*, la question de l'irrigation est aussi celle de son coût, car il demeure élevé, notamment du point de vue de la mobilisation des ressources (stockage, distribution). C'est un investissement qui ne peut-être amorti que sur une période supérieure à 20 ans, mais qui bénéficie d'un taux de subvention entre 50 et 80%. Il note que toutes les productions ne sont pas égales face au retour sur investissement de l'irrigation. Et surtout, les volumes prélevables peuvent réellement mettre en danger certains types d'exploitations, dont les revenus pourraient se trouver inférieurs au coût d'amortissement. C'est le cas en arboriculture, alors que les petits céréaliers parviendraient à lisser l'impact d'une réduction autour de 40% des volumes.
Quant aux pêcheurs, représentés par Bernard Kurzaw, président de la Fédération départementale de pêche, ils ne peuvent que constater les effets du changement climatique sur certains cours d'eau et lacs de montagne, dont l'alimentation cesse après la fonte des neiges. S'ils s'invitent dans le débat, c'est qu'ils reversent 8,80 euros à l'Agence de l'eau par permis de pêche, ce qui leur donne toute latitude pour s'inquiéter des périodes de sècheresse et d'étiage.

De g. à d. : Bernard Kurzaw, président de la fédération départementale de pêche, Raymond Riban, président d'Isère conseil élevage, Franck Doucet, président de l?association des irrigants de l'Isère et Christian Nucci, vice-président du conseil général.

Isabelle Doucet

Irstea* : Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture.

 

Pour en savoir plus :

Les irrigants isérois en ordre de bataille