Conversion bio : cap sur la prairie

« Dans tous les cas de simulation de conversion, nous arrivions à un gain d'EBE*, surtout avec un prix du lait conventionnel à 300 euros/1 000 litres ».
Pour des raisons économiques certes, mais aussi et surtout par conviction, le Gaec de la Praille à Veyrins-Thuellin, a fait le choix du passage au bio, troupeau laitier et cultures.
« Nous y pensons depuis 2011 et nous avons pris la décision l'an dernier. Cela ne m'a jamais amusé de sortir le pulvé ! » Daniel Boiteux avait « envie de bousculer le monde » qui l'entoure et de retrouver « le plaisir de travailler ».
Le couple d'éleveurs affirme qu'il « redécouvre le troupeau ». « Les bêtes nous disent plein de choses », insiste Myriam Boiteux, qui s'occupe plus particulièrement du suivi des animaux.
Les exploitants soulignent « la force du réseau » et la qualité des échanges - avec d'autres agriculteurs passés au bio - pour les accompagner dans leur démarche et leurs interrogations.
Des pertes et des aides
La conduite de l'exploitation a été sensiblement infléchie.
Le troupeau de prim'holstein restera stable mais bénéficiera de l'introduction de jersiaises pour leurs performances en TB/TP. «
Si le cheptel bouge peu, il y a un risque de baisse du litrage et donc du chiffre d'affaires, compensé par le complément apporté par Biolait de 30 euros par litre pendant deux ans », rapporte Daniel Boiteux.
Les veaux finis seront valorisés en bio ainsi que les vaches de réforme.
Le Gaec cesse son activité de pension (une centaine de bêtes en hivernage) représentant un manque à gagner de 20 000 euros. Idem pour la vente de maïs.
La période de conversion est toujours délicate à négocier.
Les pertes sont estimées à 46 000 euros pendant deux ans, soit environ 20% du chiffre d'affaires.
« Il y a d'abord une chute importante, puis une remontée lors du passage en bio », fait valoir Audrey Vigoureux, conseillère de la chambre d'agriculture de l'Isère, qui a établi de diagnostic de conversion avec le conseiller Adabio.
L'étude détaillée et les hypothèses avancées permettent d'anticiper les changements qui interviendront sur les produits et les charges.
« Les aides à la conversion sont importantes et indispensables », poursuit la conseillère.
A commencer par le deuxième pilier de la PAC et le soutien à l'agriculture biologique, mais aussi le crédit d'impôt, les aides régionales et à l'investissement.
Jusqu'en 2020, le Gaec table sur des aides PAC à hauteur de 23 000 euros pour la conversion de 40 hectares de cultures (maïs, méteil) et de 48 hectares en prairies. Ces aides devraient s'établir à 14 000 euros pour la période suivante.
Baisse des charges
Avec un objectif de rendement de 6 300 litres après conversion - en 2018 - l'atelier lait devrait dépasser les résultats de l'année de référence (+5% calculés sur 360 euros/1 000 l). Le prix de vente à Biolait a été estimé à 424 euros/1 000 litres.
Avec une petite valorisation sur les vaches de réformes, les produits de la ferme observeraient alors un retrait de 11 500 euros l'année de la conversion.
En revanche, les charges vont connaître un sacré coup de frein dès 2016-2017 : moins 38 000 euros surtout récupérés sur l'alimentation du bétail.
Fini les tourteaux, les concentrés, le lait en poudre, place au minéraux bio.
Le deuxième poste d'économie est celui des amendements suivi des phytos. En légère hausse : les frais vétérinaires, le carburant lié à la mécanisation supplémentaire sur 18 hectares et les semences bio.
Le bilan prévisionnel avec les aides PAC et une fois les produits et les charges compilés anticipe un résultat positif sur l'EBE de 14 000 euros dès 2016, puis 48 500 euros de 2018 à 2020 et 39 500 euros après 2020.
Nouvelle organisation
« Nous souhaitions réduire les frais vétérinaires, mais ce ne sera pas le cas dans les deux ou trois ans qui suivent la conversion, détaille Myriam Boiteux, car nous avons tendance à remplacer les produits par des huiles essentielles qui sont coûteuses. »
Le changement d'assolement représente un poids important car les semences bio sont plus chères et l'exploitant doit semer plus dense.
Enfin, l'exploitant a fait le choix de s'équiper seul d'une herse étrille et d'une bineuse.
Plus d'herbe, moins de grandes cultures d'un côté, plus d'observation moins de traitements avec les animaux : les éleveurs voient surtout une nouvelle répartition du temps de travail plutôt qu'une augmentation significative.
« C'est un gros travail de mise en place, déclare Daniel Boiteux. J'ai beaucoup planté de prairie en 2016. »
La SAU se décompose désormais en 63 ha de prairies permanentes, 18 hectares de prairies temporaires, 9 ha de céréales à paille, et 15 ha de maïs ensilage.
« Quand les pâturages seront mis en place et que nous serons bien organisés, ajoute-t-il, nous n'aurons plus qu'à sortir les vaches. Je préfère avoir les bêtes au pré. »
A terme, et si les résultats laitiers sont là, l'exploitation devrait passer en pâturage intégral et dynamique. Les vaches changeraient de pré toutes les 24 h maximum.
Observation
Daniel Boiteux va un peu plus loin dans le détail de sa stratégie de conversion.
Il a d'abord décidé de changer de collecteur, passant de la fromagerie Sainte-Colombe à Biolait. « Par philosophie, c'était Biolait ou la réforme », affirme-t-il.
Les bovins s'inscriront dans la démarche bio à partir du printemps 2017, qui se traduira par un changement de leur ration avec une diminution notoire du maïs et un maximum d'herbe. « Avec une récolte précoce de méteil fourrager, on peut arriver à de bonnes valeurs», indique-t-il.
Les veaux seront laissés 24 heures à leur mère puis nourris au lait de vache avec un système milkbar.
En surveillant la température (pas plus de 40°) et la quantité distribuée, les éleveurs observent une bonne maîtrise des diarrhées. Le sevrage intervient à six mois.
« Nous constatons que les génisses sont moins développées au départ, mais cela change dans le mois qui suit le sevrage. Elles souffraient souvent lors de la mise à l'herbe, ce qui n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. »
Les éleveurs se réfèrent à la méthode Obsalim d'observation du troupeau. Les bovins sont pratiquement tous passés au traitement homéopathique.
« Avant, on faisait les bons gestes. Aujourd'hui, on regarde les symptômes », explique Myriam Boiteux.
Isabelle Doucet
*EBE : Excédent brut d'exploitation
Gaec de la Praille
70 VL de race prim'holsteinProduction : plus de 500 000 litres
SAU : 125 ha dont 25 ha irrigables
Main-d'œuvre : 2,5 UMO
Conversion depuis mars 2016
Les aides en conversion biologique
Le soutien à l'agriculture biologique (SAB) : il court sur cinq ans (deux ans de conversion/trois ans de maintien) et s'établit à 900 euros/ha puis 600 euros pour le maraîchage et l'arboriculture, 450 euros/ha puis 250 euros pour les cultures légumières, 300 euros/ha puis 160 euros pour les cultures annuelles, 130 euros/ha puis 90 euros pour les prairies, 44 euros/ha puis 35 euros pour les landes, 350 euros/ha puis 240 euros pour les plantes à parfum et 350 euros/ha puis 150 euros pour la vigne.S'ajoutent le crédit impôt à l'agriculture biologique (2 500 euros maximum, cumulable avec le SAB avec un plafond total de 4 000 euros) et les aides régionales à la certification (remboursement de 100% des frais de certification dans la limite de 900 euros).
Enfin, les aides spécifiques au matériel dans le cadre du PCAE permet de couvrir 40% + 10% en AB + 10% JA + 10% en zone de montagne du montant de l'investissement.
Biolait : le collecteur qui ne tourne pas en rond
Le groupement de producteurs laitiers bio créé dans l'Ouest de la France en 1994 n'en finit pas d'attirer de nouveaux adhérents.Aujourd'hui, la coopérative réunit 1 400 producteurs, sur 900 fermes et collecte 30% du lait bio en France, soit 165 millions de litres. Les prévisions pour 2018 s'établissent à 200 millions.
L'entreprise compte une centaine de clients, le plus important ne pouvant peser plus de 25% des ventes.
Le Nord-Isère est collecté depuis 2011 tandis qu'une collecte a été lancée en février dernier dans le Sud-Isère et les Hautes-Alpes (11 producteurs, 1,8 million de litres)434 euros les 1 000 litres« Nous assistons à une forte progression des conversions », indique Romain Clavel, conseiller technique Biolait.
Pour l'heure, le département ne compte qu'une quinzaine de producteurs, mais le groupement est resté fidèle à son slogan de création : « La bio partout et pour tous », si bien que ses camions passent dans 65 départements. « Nous manquons de lait pour répondre à la demande de nos clients », reprend le conseiller.
La coopérative ne fait pas de transformation. Les contrats qu'elle passe avec les industriels sont négociés avant la fin novembre pour l'année suivante.
« Nous avons passé une année difficile », explique Romain Clavel, le groupement ayant été mis à rude épreuve par la concurrence. Il faut dire que les prix pratiqués par Biolait sont déconnectés du marché conventionnel, mais établis « en fonction des marchés de référence pour le lait bio en France ».
En 2016, le prix payé par Biolait était de 434 euros les 1 000 litres, soit 460 euros avec les compléments (les producteurs ont été payés 375 euros d'avril à juin et 450 euros en prix de base le reste de l'année).
Bien entendu Biolait doit faire face à des coûts de ramassage importants en raison de l'isolement de certains des producteurs, mais elle propose aussi une livraison à la carte pour les transformateurs comme Savoie Yaourt ou Sodiaal.ID