Fleurs de villes à très haute résistance

« Nous sommes en concurrence avec les jardineries », constate Michel Vernein, pépinièriste à Moirans.
A la veille de la Toussaint, ses serres sont couvertes d'un tapis de chrysanthèmes. Les clients s'affairent, marquent les pots qu'ils retireront plus tard. Un geste que l'on ne trouve que dans ces coins de verdure coincés dans les villes.
Ce sont sans doute les exploitations ayant le plus souffert de la pression foncière. Horticulteurs, pépiniéristes, maraîchers installés en bordure de ville, en zone périurbaine, sont de moins en moins nombreux.
Une étude Agreste effectuée en Rhône-Alpes et parue en 2014 sur des données recueillies en 2010, indique que la part de l'agriculture située en zone urbaine décroît plus rapidement encore que celle située en zone rurale.
Les productions comme le maraîchage-horticulture y sont les plus représentées. Cette spécialisation est liée aux contraintes physiques.
Les autres caractéristiques pointées par l'étude sont la proximité des consommateurs, l'utilisation des circuits courts, mais aussi une moyenne d'âge des chefs d'exploitation un peu plus élevée.
Enfin, indique Agreste : « L'agriculture urbaine ou périurbaine, si elle existe, se distingue surtout de son homologue rurale par son poids bien moindre dans l'économie générale des territoires ».
Pour exister et pour durer, ces exploitations un peu particulières ont dû se différencier et composer avec leur environnement.
Déplacements catastrophique
Dans la plaine de Meylan, à la pépinière de La Taillat, Bernard Vesco cultive des plantes rares. « Je propose 60 variétés de plantes différentes qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. »
Il a racheté il y a une dizaine d'année 1,5 hectare à l'entreprise Paquet jardin dans la plaine alluviale de l'Isère.
« Il passe des milliers de véhicules par jour sur la rocade, au-dessus de la pépinière, mais je vois peu de monde. C'est un coin isolé entouré de champs de maïs et de chevaux. C'est un paradoxe. »
L'endroit est classé en zone agricole, sanctuarisé par le PLUI. Il n'est fréquenté que par les joggeurs.
Saint-Martin-d'Hères, La Tronche, Meylan : les pépiniéristes de la région grenobloise se comptent sur les doigts d'une main.
Quant ils partent à la retraite, les affaires ne sont pas reprises. « C'est dur la transmission d'entreprise, reconnaît Michel Vernein, il y a de moins en moins de professionnels en zone urbaine ».
Sa pépinière de 2,5 hectares est lovée le long la route de Lyon, entre la zone industrielle de Centr'Alp et un échangeur routier.
Il emploie 14 salariés et accueille des stagiaires des lycées agricoles du secteur.
« En 1972, lorsque nous nous sommes installés ici, il n'y avait que des champs de maïs et des vignes, c'était un secteur classé en barrière verte. C'est aujourd'hui une zone industrielle et ce n'est pas un avantage ! » Les infrastructures l'ont amputé de 1,5 hectare en 1985.
Michel Vernein décrit un environnement où l'activité high-tech prédomine, où les entreprises ferment à partir de 17 heures, déserté le week-end et qui souffre de l'absence de locomotive commerciale.
En revanche, la pépinière rencontre les mêmes contraintes que les autres entreprises liées au mouvement pendulaire aux entrées et sorties de Grenoble. « Pour aller travailler vers Grenoble, il faut partir avant 7 heures du matin et dans l'autre sens, il y a la queue à partir de 16 heures, explique le pépiniériste. Sinon, nous sommes biens situés sur l'axe de Lyon. »
Même son de cloche de l'autre côté de la rocade. « Les déplacements sont catastrophiques. On choisit bien les horaires auxquels on prend la route », confirme Bernard Vesco.
Vous pouvez me faire confiance
Pour autant, en zone périurbaine, ces exploitations entretiennent un lien privilégié avec leur clientèle qui recherche le professionnalisme.
A La Taillat, elle est composée à 40% de clients locaux et 60% d'acheteurs de l'Hexagone. Les clients prennent rendez-vous. « Ils recherchent un conseil dans la façon de travailler un jardin et de gérer la plante et l'espace », décrit Bernard Vesco.
Lorsqu'il déniche une belle plante, un gelsemium sempervirens ou un chionanthus virginalis, elle reste en culture à La Taillat pendant trois ans pour tester sa capacité d'adaptation, avant d'être proposée à la vente. « Et je dis au client : vous pouvez me faire confiance, elles poussent », insiste-t-il.
« Les plantes sont ma passion, j'en recherche sans arrêt », reprend Bernard Vesco. Inlassablement, tous les week-ends, il fréquente les marchés aux plantes « de Strasbourg à Saint-Tropez en passant par Paris ».
Petits arbres
Michel Vernein cultive aussi le conseil au client depuis 30 ans. Il draine une clientèle à 60 km à la ronde « qui vient ici pour les gros achats » et travaille avec quelques entreprises locales.
Le pépiniériste de Moirans s'approvisionne au maximum auprès de producteurs rhônalpins et les chrysanthèmes arrivent principalement de Dordogne : 3 500 plants au total.
A l'écoute de sa clientèle, le pépiniériste s'est aussi adapté, utilisant internet pour communiquer, notamment sur les bons gestes au jardin. Il propose également des cours de taille qui connaissent un grand succès et organise des portes ouvertes.
« Le métier a beaucoup changé, reconnaît Michel Vernein. Aujourd'hui, les gens disposent de petits jardins. Les haies arbustives ont remplacé les cèdres, les pins et les saules. Avant, le jardin était considéré comme un loisir, maintenant c'est une corvée. Ils plantent des graminées, qui réclament peu d'arrosage, et de petits arbres. »
Bernard Vesco observe cette même tendance chez la clientèle locale, « qui veut bien avoir un jardin, mais pas d'entretien ». Parfois, l'appel de la montagne est plus fort que celui du jardinage.