L'esprit Déphy

« On a beaucoup parlé de pesticides dans la presse. Cela a envenimé les choses et désormais, les gens regardent ce que nous faisons. »
Le malaise est perceptible chez ces agriculteurs du Grésivaudan. Un sentiment diffus d'être pointés du doigt, pas ou mal compris, qu'un fossé s'est creusé. Et pourtant.
Depuis 2016, Fabien Sommard, associé de la SARL Le Noyer Vert à Tencin, comme Thomas et Bruno Genoulaz, deux des quatre associés du Gaec Pierre Grange à Crolles, ont rejoint de réseau des fermes Déphy.
Le dispositif, initié en 2010, rassemble aujourd'hui en France plus de 3 000 exploitants agricoles engagés dans une démarche de réduction de l'usage des produits phytosanitaires.
Mais ça, personne ne le voit.
Lorsqu'ils sont entrés dans le groupe grandes cultures, piloté par la chambre d'agriculture de l'Isère, les exploitants du Gaec Pierre Grange l'ont fait « pour l'environnement, mais aussi pour se comparer aux autres, discuter. Car on se sent un peu seuls aujourd'hui, surtout par rapport au grand public », témoigne Bruno Genoulaz, dont l'exploitation s'étend sur une SAU de 250 hectares, depuis Saint-Nazaire-les-Eymes jusqu'à Pontcharra.
Il poursuit : « La réduction des intrants, nous n'avions pas attendu d'entrer dans le groupe pour nous engager. D'ailleurs, nous nous trouvons bien en-dessous de la moyenne régionale. »
Il faut dire que la plaine alluviale du Grésivaudan reste propice à la culture du maïs, moins consommatrice d'intrants que le blé, les producteurs organisant leurs rotations avec du soja. « C'est la raison pour laquelle les choses sont bien en place du point de vue des IFT », insiste Bruno Genoulaz.
Des méthodes alternatives
« Nous souhaitions montrer que nous sommes dans une démarche pour réduire au maximum l'introduction des produits phytosanitaires », argumente de son côté Fabien Sommard, dont l'exploitations compte 100 hectares de noyers et 100 hectares de grandes cultures.
L'entreprise familiale comprend aussi deux autres structures : la SCEA Grandes Terres avec 85 hectares de céréales et noix, ainsi que l'EARL des Iles, 55 hectares de noix et céréales également, le tout s'étendant de Crolles à Chapareillan.
Ces exploitations de taille significative emploient une dizaine de personnes. La recherche des meilleures pratiques agroenvironnementales fait partie de leur métier.
« Pour désherber, nous favorisons les méthodes alternatives, c'est-à-dire plutôt mécaniques que chimiques », poursuit Fabien Sommard, qui appartient à deux groupes Déphy et accueillait une journée test de matériel de désherbage mécanique sous noyers (1).
Noyers bio
Les vergers, en fonction des années et de la météorologie, sont également soumis à la pression fongique et/ou des nuisibles, notamment avec le problème de la mouche du brou.
« Je privilégie le piégeage », explique l'exploitant. Piégeage chromatique (plaques jaunes) ou piégeage attractif, à l'aide d'un appât alimentaire, il teste, essaie, valide, recommence, toujours avec la même envie de progresser.
« Je tente, à titre expérimental, le piégeage aux phéromones », complète-t-il.
Dans cette même démarche, il s'est engagé à passer les 20 ha de noyers de variété franquette en bio. « J'espèce que cela aura du poids auprès du grand public », déclare Fabien Sommard.
« Lorsque nous faisons un traitement, nous le faisons du mieux possible »
Le nuciculteur réalise aussi des essais avec une station météo « pour observer les points d'humectation des feuilles, leur séchage au vent, afin de diminuer les traitements. On ne traite pas pour le plaisir. Et si l'on peut éviter de sortir son pulvé, c'est de l'argent en plus ! »
Et si c'est le cas, alors il essaie « de travailler la nuit, pour que les conditions soient les meilleures. » Mais comment expliquer cela à des riverains plus enclins à penser que l'agriculteur se cache pour traiter, alors qu'il ne fait qu'opérer dans les conditions optimales d'un point de vue agronomique ?
« Nous sommes dans une zone périurbaine où beaucoup de personnes se promènent à vélo ou font leur jogging. Il y a du monde de tous les côtés. Alors, lorsque nous faisons un traitement, nous le faisons du mieux possible », renchérit Bruno Genoulaz.
Observés, épiés, ils savent qu'en cas de doute, « les gens vont voir les maires des villages pour se renseigner, demander ce que nous faisons, quels produits nous utilisons ou alors, ils passent devant nous en se bouchant le nez... », reprend Fabien Sommard.
Contre la montre
Fréquenter le réseau Déphy grandes cultures, qui réunit des exploitants de tout le département de l'Isère, leur apporte un certain réconfort.
« Nous poursuivons tous la même démarche », lance Fabien Sommard. « Nos efforts, depuis 10 ans ont payé », renchérit Bruno Genoulaz.
Aujourd'hui, les exploitants attendent du groupe d'aller plus loin dans la connaissance des produits et de la technique.
Ils insistent sur tous les moyens mis en œuvre pour réduire les intrants, depuis le piégeage, jusqu'au rotations plus courtes, en passant par l'observation des cultures.
Peut-être se lanceront-ils aussi dans d'autres cultures, si cela ne met pas l'équilibre de l'exploitation en péril.
Et bien avant les plans écophyto, les exploitations se sont aussi dotées de matériel de désherbage mécanique, bineuse, décompacteur etc.
Mais c'est encore une course contre la montre.
Les terres sont fertiles, alors les mauvaises herbes poussent vite. Ici, le fléau n'est pas l'ambroisie, mais la renouée du Japon, dont l'arrachage manuel est une lutte inégale.
Isabelle Doucet
- (1) Voir en pages techniques la démonstration de désherbage mécanique sous noyers
30%
Philippe Mauguin, PDG de l'Inra a cité, fin mai devant le Sénat, une publication de 2017 basée sur le réseau des fermes Dephy de l'APCA.Selon lui, les agriculteurs ont pu réduire de 30 %, « sans perte de rentabilité et de productivité », l'utilisation des produits phytosanitaires.
« Ça ne veut pas dire que c'est facile, mais dans un débat tendu, cela montre des perspectives optimistes », a-t-il rassuré. Il a ajouté que des solutions existent, mais il n'y aura pas de « miracle qui s'appliquera à toute l'agriculture française dans les trois ans. Il y a des alternatives, qu'il faut encore apprendre à combiner. Reste à savoir comment, et à quel prix. »24 groupesInitié par le Grenelle de l'environnement de 2008, le plan Ecophyto avait pour objectif de réduire de 50% l'usage des pesticides en agriculture dans un délais de 10 ans.
C'est la raison pour laquelle a été mis en place le réseau des fermes de références.
Le déploiement s'est effectué en 2010 puis en 2016, dans le cadre d'un nouvel appel à projet.

En Auvergne-Rhône-Alpes, on compte 24 groupes, toutes filières confondues, accueillant en moyenne une douzaine d'agriculteurs accompagnés d'un ingénieur réseau pendant cinq ans.
La chambre d'agriculture de l'Isère porte un réseau polyculture élevage depuis 2011. En 2016, elle a engagé un réseau en grandes cultures et en nuciculture. Par ailleurs, la maison Cholat porte aussi un réseau grandes cultures, l'Adabio a créé en 2012 un réseau pomme et poire et en 2016 un réseau grandes cultures en Nord-Isère.
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