La fernor à la porte de l'AOP noix de Grenoble

La question taraude la profession depuis un moment : faut-il introduire la fernor dans l'AOP noix de Grenoble ou non ? Pour les uns, il en va de l'avenir et de la pérennité de la filière. Pour les autres, cela risquerait de mettre en péril la typicité de la noix labellisée. D'où la décision du Comité interprofessionnel de monter un groupe de réflexion sur le sujet. Lors de l'assemblée générale du CING à Chatte, le 7 septembre dernier, le président Yves Borel a rappelé le contexte : « Nous avons la chance d'avoir une appellation, les producteurs font d'énormes efforts, mais nous plafonnons toujours à 14 000 tonnes. »
Patrimoine historique
L'introduction de la variété fernor dans le cahier des charges de l'appellation pourrait sans doute changer la donne. C'est en effet l'une des variétés les plus plantées actuellement, en raison de la qualité de ses fruits, de son rendement et ses bonnes performances en général. Mais du haut de ses 20 ans, la fernor, issue du croisement entre la franquette et la lara, ne peut pas prétendre à la même historicité que les trois variétés qui constituent l'appellation depuis 1938, à savoir la franquette, la mayette et la parisienne. C'est l'argument qu'oppose Michèle Ragache, de l'UFC-Que choisir, qui a travaillé une quinzaine d'années au sein de l'Inao. « L'appellation, c'est une reconnaissance d'un patrimoine historique, indique la spécialiste. Le sol doit produire quelque chose d'exceptionnel. Le haricot de Paimpol, planté ailleurs, sur un autre terroir, donnera un haricot banal. C'est le terroir qui doit donner la caractéristique. L'Inao ne va pas s'émouvoir des questions de rendement de la fernor ! »
Fin de non-recevoir
Pour l'heure, rien n'est acté. L'interprofession n'a encore déposé aucune demande concernant la fernor. Elle avait bien tenté de le faire en 2009, au moment où il a fallu réécrire le cahier des charges pour se mettre en conformité avec les normes de l'Union européenne. Mais l'Inao avait alors opposé une fin de non-recevoir, arguant que l'introduction d'une nouvelle variété constituait un véritable changement et non une simple adaptation.
Depuis janvier dernier, la situation a évolué. Le cahier des charges de l'AOP noix de Grenoble, dans sa version européenne, est applicable... et le dossier fernor peut être réouvert. Reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle. « Cette demande d'introduction n'est pas une fin en soi, précise Yves Borel. Il ne s'agit pas de se battre pour ou contre fernor. L'important est de penser à l'avenir de la noix de Grenoble, d'avoir des données chiffrées fiables et de déterminer l'incidence de fernor sur le territoire. » C'est ce qui a conduit le CING à lancer une étude sur l'« impact de la variété fernor dans la filière AOP noix de Grenoble ».
Enjeu économique
Confiée au Ceraq (1), l'étude devra dire si fernor est en capacité - ou non - de « sécuriser durablement la production d'AOP noix de Grenoble ». Les éléments de réponse permettront ainsi d'« éclairer les orientations stratégiques » du CING. A l'issue de ce travail d'enquête, deux options s'offriront à l'interprofession : soit l'étude aura fourni des arguments solides pour étayer une demande d'intégration auprès de l'Inao, soit le pari sera considéré comme trop risqué et il faudra alors sans doute se contenter de développer un « label de terroir » spécificique à la fernor.
Pour les partisans de l'intégration, l'enjeu est avant tout économique. Si certains s'inquiètent de la densité des vergers de fernor, d'autres défendent sa rentabilité. « On est dans la vraie vie : les producteurs plantent de plus en plus de fernor pour des raisons de rendement », constate le Drômois Christian Nagearaffe, par ailleurs secrétaire du CING. Jean-Claude Darlet, producteur de noix bio à Saint-Bonnet-de-Chavagne et président de la chambre d'Agriculture de l'Isère, enfonce le clou sans sourciller : « J'espère que la fernor rejoindra l'AOP pour la pérenniser. Ça correspond à une atttente des consommateurs, à un besoin économique, mais aussi à un problème d'évolution climatique. » Reste à convaincre l'Inao.
Marianne Boilève
(1) Centre de ressources pour l'agriculture de qualité et de montagne.