Les éleveurs isérois testent le sorgho

Pour l'Earl du Broquet, à Courtenay, le choix du sorgho est avant tout économique. « Nous voulions faire baisser le prix de l'alimentation des bêtes ; le maïs irrigué revient trop cher. Et puis nous avions de la surface disponible... », expliquent les deux associés. La motivation est un peu différente pour Laurent Baffert, de l'Earl des Cyprès, à Vif. « J'en avais assez d'acheter des produits dont j'ignore la provenance et je voulais finir mes bêtes comme il faut, raconte l'éleveur de limousines. J'ai la surface pour m'autosuffire, alors j'essaie le sorgho. »
En dépit des conditions difficiles de cette année, les deux essais réalisés en Isère (une quinzaine de variétés à chaque fois) se sont avérés concluants. « Avec le sorgho, même s'il n'y a que trois gouttes de pluie, rien n'est perdu, car il supporte le manque d'eau et la chaleur, indique Jean-Pierre Manteaux, conseiller spécialisé bovin lait de la chambre d'agriculture (équipe Elevage Drôme-Isère) lors de la journée Innov'Action consacrée aux sorghos fourragers monocoupe BMR organisée en Isère au début de l'automne.
Solution miracle
Le technicien en sait quelque chose. Il suit cette culture dans la Drôme depuis 2010, dans le cadre d'un programme de recherche sur l'autonomie alimentaire des systèmes d'élevage drômois, de plus en plus fréquemment confrontés à la sécheresse. Pour beaucoup, le sorgho fourrager apparaît comme une « solution miracle » alliant résistance au sec, rendements élevés en ensilage et qualité fourragère. Mais sa culture est très technique. « Il faut apprendre à conduire le sorgho, insiste Jean-Pierre Manteaux. On se dit parfois qu'on peut le mener comme un maïs, mais ce n'est pas du tout la même chose. » Les éleveurs isérois qui ont fait leurs premiers essais cette année confirment : le mode d'emploi est strict, mais si on le respecte, on obtient satisfaction.
Première condition pour réussir sa culture : une bonne implantation. Le sorgho est une petite graine à faible énergie germinative qui a besoin d'un sol fin et chaud pour se développer. Les sols motteux sont donc à proscrire. Les semis doivent être pratiqués au printemps, sur une terre finement préparée et bien réchauffée (12 à 13 °C), généralement après le 15 mai en Isère (plutôt le 20 en Nord Isère). Si elles sont faciles à respecter en double culture derrière un méteil ensilage ou un trèfle incarnat, ces deux règles doivent être rigoureusement observées en culture principale, surtout sur sol séchant. C'est ce qui explique que les éleveurs de l'Earl du Broquet, dans le Nord Isère, aient dû attendre le 7 juin cette année pour semer leurs 220 000 pieds.
Une fois la variété choisie (1) et le sol préparé, il faut prendre soin de bien placer les graines pour limiter le taux de perte. « Le sorgho se prépare comme une prairie, mais se sème plus profond », précise Jean-Pierre Manteaux. Son collègue Jean-Pierre Chevalier conseille de « positionner la graine dans la fraîcheur » (2 à 3 cm) pour obtenir une levée rapide, et de rouler si nécessaire. « Avec des semis profonds et une levée rapide, l'ancrage des racines sera meilleur », rappelle le technicien. A Courtenay, les agriculteurs expliquent avoir « labouré, passé deux coups de vibro et planté à 3,5 cm avec la planteuse à maïs. L'outil allait très bien, car il avait plu deux jours avant ». Les essais menés depuis quelques années montrent cependant que la réussite des semis est meilleure lorsqu'elle est réalisée avec un semoir pneumatique.
Une plante économe
Autre atout du sorgho : c'est une plante économe en intrants. Il nécessite une fertilisation azotée précoce, mais faible : 60 à 70 unités à l'hectare dès le semis, et seulement 40 derrière un trèfle incarnat (éviter le fumier et le lisier avant la culture, car le sorgho valorise mal la fumure). Sur les terres qui reçoivent peu de matière organique dans la rotation, il est également recommandé de mettre 60 unités de phosphore et 150 de potassium à l'hectare.
Semé à raison de 220 000 grains à l'hectare, le sorgho est une plante qui recouvre vite quand elle est semée à 60 cm d'écartement. Elle évite rapidement la concurrence des adventices. Côté désherbage, Jean-Pierre Manteaux préconise donc le binage plutôt que le recours aux désherbants chimiques en raison de leur phyto-toxicité (si une intervention est nécessaire, ne surtout pas traiter avant le stade trois feuilles). Un passage de herse-étrille à partir de trois feuilles donne de bons résultats... à condition de bien régler l'outil. A Vif, Laurent Baffert a suivi ces indications et réalisé un binage fin juin. Le bilan a été jugé « très satisfaisant ».
Quatre mois plus tard, qu'en est-il ? Malgré le manque de pluie, le sorgho a plutôt bien poussé, même sur les terres graveleuses et séchantes de Courtenay. « Tout a souffert sur la ferme. Mais là où le maïs ne serait pas venu, le sorgho s'en tire », constatent les associés de l'Earl du Broquet. A Vif, Laurent Baffert se dit « très content », même si les analyses variétales sont encore en cours. Et pour 2017 ? Pas de doute : les deux exploitations iséroises vont repartir sur un sorgho. Dans les deux cas, l'implantation se fera après un méteil, histoire d'apporter de l'azote dans la ration.
(1) Les variétés précoces permettent de combiner l'ensilage avec celui du maïs pour simplifier la conduite de l'exploitation. Mais attention, au moment de l'ensilage, il faut veiller à supprimer l'écréteur maïs et à bien régler les couteaux.
Marianne Boilève