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Moissonnera-t-on un jour des céréales pluriannuelles en France ?

Elles font l’objet de recherches uniques en France au sein de l’Isara Lyon. Depuis plus d’un an, les céréales pérennes attirent toute l’attention d’Olivier Duchene, doctorant à l’institut supérieur d’agriculture Rhône-Alpes (Isara). Cet ingénieur agronome tente de comprendre de quelle manière certaines cultures céréalières pourraient être capables de fructifier plusieurs fois dans leur existence et de produire des épis plusieurs années consécutives. Ce mode de production pluriannuel serait-il imaginable et profitable aux agriculteurs de demain ? S’il est trop tôt pour l’affirmer, plusieurs indicateurs se révèlent prometteurs.
Moissonnera-t-on un jour des céréales pluriannuelles en France ?

https://youtu.be/tSC0yfZPcMQ

Plusieurs pays s’intéressent de près au sujet comme les États-Unis ou encore l’Australie. Les céréales pérennes, portées par une communauté scientifique réduite dans le monde, suscitent aussi depuis quelques années l’intérêt d’Olivier Duchene. Précurseur en France, ce doctorant de l’Isara Lyon, a décidé d’investir son temps et son énergie pour mieux comprendre le fonctionnement des céréales pluriannuelles. Aujourd’hui, les agriculteurs sèment au printemps ou à l’automne et moissonnent cinq à six mois plus tard d’une année sur l’autre. Mais que se passerait-il si leurs cultures pouvaient être rentables sur trois, quatre ou cinq années consécutives sans qu’ils aient à ressemer tous les ans ?

 

Cliquer pour voir le reportage video sur les recherches de'Olivier Duchene, Isara Lyon (4'23)

Le kernza, une plante modèle

Ce que l’on sait, à ce stade, c’est que les céréales pérennes, par leurs propriétés métaboliques et physiologiques, interagissent davantage avec leur environnement par rapport aux variétés classiques cultivées aujourd’hui. « Elles créent un système racinaire dense et très ramifié capable de coloniser des horizons très profonds du sol. Cette activité est très bénéfique pour la stimulation et la fertilité biologique du sol via le stockage et le relargage de carbone et d’éléments nutritifs. La biomasse racinaire produite pourrait donc être intéressante à valoriser et pour l’agriculteur et pour l’environnement », explique Olivier Duchene. Des questions primordiales se posent néanmoins : les productions de cette céréale seraient-elles rentables et suffisamment conséquentes pour satisfaire l’alimentation humaine et animale ? Leur processus biologique permettrait-il une protection et une fertilité des sols suffisantes pour se passer de fertilisants ? La comparaison des racines d’une culture annuelle et d’une culture pérenne au microscope au laboratoire apporte des premiers éléments de réponse. Sur les sept céréales pérennes testées dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, le doctorant travaille plus particulièrement avec une plante pluriannuelle modèle, appelée kernza (Thynopyrum intermedium), une graminée sauvage non croisée et extrêmement robuste, sélectionnée par le Land Institute, Kansas (USA), partenaire de l’Isara. « Un des facteurs que nous sommes en train d’analyser, c’est la colonisation des champignons mycorhiziens, un indicateur important que l’on retrouve dans le blé, par exemple, et qui permet d’apprécier l’intensité des processus de symbiose, la présence de microorganismes bénéfiques et d’estimer un potentiel d’acquisition des ressources du sol par la plante », reprend Olivier Duchene. Ces petits champignons sont également présents dans le kernza. De quoi donner bon espoir au doctorant et à son encadrant de thèse Florian Celette, enseignant-chercheur à l’Isara-Lyon.

Évaluation en plein champs

Dans la région, une poignée d’agriculteurs a décidé de s’impliquer dans ce projet de recherche, en mettant à disposition de l’équipe scientifique une partie de leurs parcelles pour des essais agronomiques en plein champs. Semé il y a un an sur une parcelle expérimentale à Maubec (Rhône), près d’une culture de blé classique, le kernza cultivé par Roland et Francis Badin dépasse déjà presque du double en hauteur son voisin. Visuellement, c’est très parlant. À droite, cette culture de blé a été sélectionnée depuis des dizaines d’années pour réaliser de très bons rendements de grains. Tous les épis sont à la même hauteur et bien garnis mais après la récolte la plante n’est pas en capacité de continuer à produire de nouveaux épis ou de la biomasse. « L’inconvénient, c’est que tous les ans on doit détruire ce couvert, retourner la parcelle et réimplanter une nouvelle culture. Ce qui demande du travail du sol, des intrants, des pesticides, l’utilisation d’énergie fossile pour faire passer les tracteurs. Il s’agit d’une culture extrêmement productrice mais coûteuse pour l’environnement », souligne Olivier Duchene. À gauche, le kernza, a lui évolué différemment au fil des années. Cette plante sauvage domestiquée mais non hybride est restée beaucoup plus rustique, semblable à son état d’origine. Elle produit beaucoup plus de biomasse, ses épis ne sont pas réguliers, son nombre de talles plus important par pied avec une tendance à occuper l’espace malgré une production de grains faible.

Couverture permanente

« Grâce à son comportement « pérenne », après la récolte des grains, malgré les tiges coupées, la plante se redéveloppe à l’automne et réeffectue un cycle d’épiaison l’année suivante. On a donc une couverture du sol qui peut être permanente sur plusieurs années et limiter ainsi l’érosion par le travail intensif du sol », reprend-il. Le kernza a naturellement pris l’habitude pour survivre d’aller chercher ses ressources loin dans le sol, ce qui fait d’elle une plante qui semblerait être plus résistante aux aléas climatiques. « L’idée, c’est de la mettre dans des conditions optimales pour réussir à produire un grain qui n’est pas là simplement pour faire joli mais qui aurait des vertus technologiques et alimentaires dont on pourrait se servir et valoriser pour l’alimentation humaine et animale ». Cette céréale est attendue non seulement pour sa production de grains mais aussi pour la valorisation de sa biomasse fourragère énergétique ou encore pour son stockage de carbone dans le sol, ce qui pourrait faire d’elle une véritable plante « multiservices ». L’association avec d’autres cultures type légumineuses représente une piste intéressante pour son utilisation et développement afin de conserver de la diversité au champ et ramener de l’azote dans le sol.  « Je travaille en agriculture de conservation, souvent en semis direct. Ce qui m’intéresse le plus, c’est ce système racinaire très puissant qui pourrait me permettre de restructurer mes sols en profondeur en faisant des économies sur les produits phytosanitaires », explique Francis Badin.

L’Inra s’investit dans le projet

 L’Inra s’est également associé aux travaux d’Olivier Duchene, mettant à sa disposition une parcelle expérimentale sur le site de Crouël à Clermont-Ferrand, où sept variétés de céréales pérennes sont cultivées et comparées : du kernza en domestication directe, du seigle et du blé en croisement avec d’autres variétés annuelles. « L’objectif, c’est déjà de comprendre l’intérêt de ces deux schémas de sélection mais aussi de remarquer le comportement de la plante en termes de précocité, de date de floraison, de longévité … », précise le doctorant. EtThierry Langin, directeur de l’unité de recherche génétique, diversité et écophysiologie des céréales (GDEC) du site clermontois d’ajouter. « L’intérêt pour nous, c’est de mieux connaître ces céréales sur lesquelles nous n’avons pas de recherche spécifique pour le moment. Si d’ici trois ou quatre ans, les résultats sont positifs, nous pourrions lancer un programme de sélection. Ces céréales pourraient être un vivier potentiel de gènes nouveaux à introduire dans des variétés déjà existantes pour améliorer leurs performances ».Cette première année d’études a montré une dynamique d’implantation lente du kernza, ce qui rend la culture très sensible au développement d’adventice pendant cette phase d’implantation.

 

Recherche mondiale

Depuis quelques années, les céréales pérennes intéressent aussi les Américains, notamment ceux situés le long de la rivière Mississippi où de gros dégâts de pollution de nitrates préoccupent la population. « Là-bas, énormément d’espoir repose sur cette question. Les céréales pérennes sont perçues comme un possible outil de génie biologique pour résoudre ce problème majeur. »
À l’autre bout de l’Europe, ces expériences inédites ont aussi interpellé Linda-Maria Mårtensson, chercheuse suédoise en écologie des sols au Campus universitaire Alnarp. Elle travaille sur les céréales pluriannuelles en partenariat avec la station d’expérimentation de Lönnstorp. L’université a installé il y a deux ans des parcelles de kernza et de luzerne pérennes observées sur une quarantaine d’hectares et comparées à des cultures de blé annuel. Début juin, elle est venue observer les parcelles expérimentales de la région pour les comparer à celles de son pays. « Ce que je vois ici, c’est tout à fait comparable à ce que je constate en Suède malgré le climat différent. Il faut continuer à observer les plantes dans les années à venir pour comprendre s’il y a tout de même un climat plus adapté aux céréales pérennes », explique la chercheuse. « Ce qui est sûr, c’est que ces céréales ont des qualités nutritionnelles élevées, notamment en taux de protéines », soutient-elle. 
Alison Pelotier