Piloter l'azote pour gagner en protéines

La tactique est presque guerrière. Affichant sa volonté de « reconquérir durablement le marché meunier », la coopérative Dauphinoise a lancé cette année une offensive d'envergure. Nom de code : « Challenge Quali'Blé ». Objectif : augmenter le taux de protéines des blés livrés par les adhérents. « L'exigence de nos clients évolue, explique Jean-Marc Lapierre, directeur du réseau Centre-Est. Aujourd'hui, nous sommes dans l'obligation d'améliorer la qualité de nos blés, et notamment de respecter des niveaux minima de protéines à 11,5%. » Un impératif qui s'impose d'autant plus que les reliquats d'azote en sortie d'hiver sont faibles (climatologie chaude et humide) et que les rendements annoncés sont supérieurs aux prévisions : 4,3 quintaux de plus à l'hectare selon les estimations Farmstar. Or chacun sait que la hausse des rendements se fait souvent au détriment de la qualité. D'où le « plan d'action protéines » déclenché par la coopérative ces dernières semaines.
Préconisation sur mesure
Ce plan, baptisé « Challenge Quali'Blé », vise à alerter les agriculteurs sur « le défaut de protéines et le risque de potentiel de qualité récolte défaillante » et à leur proposer un conseil en fertilisation adapté au besoin de chacune de leur parcelle. Pour ce faire, la coopérative a déployé une panoplie de trois outils d'aide à la décision : la technologie Farmstar (expertise agronomique à partir d'images satellitaires), le diagnostic Hydro N-Tester et la télédétection par drone. Pourquoi de tels outils high-tech ? « Pour affiner la préconisation et adapter les niveaux d'azote en troisième apport », répond Damien Ferrand, responsable Conseils, R&D à la Dauphinoise.
Que les agriculteurs exploitent des terres situées en zone vulnérable ou non, les conseillers terrain de la coopérative ont en effet pour consigne de sensibiliser les adhérents à la nécessité d'adapter la fertilisation aux besoins de la plante. Le troisième apport permettant d'ajuster la dose d'engrais azoté aux conditions pédo-climatiques de la campagne, le pôle végétal de la coopérative a déployé son artillerie high-tech dès la fin avril. Près de 2 800 hectares ont ainsi été analysés avec Farmstar et 500 autres survolés par un drone dans la plaine de Lyon, dans le secteur de Mens et en Bièvre-Valloire. En complément de ces prestations, une dizaine d'« actions protéines » ont été organisées dans les agricentres du groupe, offrant à quelques 200 céréaliculteurs la possibilité d'effectuer une mesure du niveau de chlorophylle dans leurs feuilles de blé à l'aide de N-Tester. Depuis la fin avril, plus de 400 parcelles ont été diagnostiquées de la sorte, permettant de déterminer précisément la quantité d'azote requise.
Répercussions économiques
Pour les secteurs déclarés en « zones vulnérables », ce pilotage fin permet de se libérer du carcan du « calcul GREN ». En effet, dans les îlots culturaux se situant en zone vulnérable, si l'on s'en tient au plan de fumure et à la grille de calcul de la fertilisation azotée (références établies par le GREN), le blé doit recevoir 40 unités d'azote en troisième apport. Pas une de plus. Mais, selon les parcelles, cette préconisation standard risque de dépasser les besoins de la plante ou, au contraire, se révéler insuffisant. D'où l'importance de connaître précisément l'état de la plante en fin de montaison-début de gonflement pour adapter l'apport d'azote à ses besoins réels. Autrement dit de réduire ou d'augmenter la dose, en disposant d'un document officiel basé sur les mesures Farmstar ou N-Tester. « Si l'on s'en tient au calcul GREN, on risque d'avoir 0,6 à 0,8 point de protéine en moins, donc une baisse de qualité, qui aura des répercussions sur le revenu économique », argue Damien Ferrand. Et d'enfoncer le clou, en avançant que le pilotage de la fertilisation azotée, et donc le passage à 11,5 points de protéines, « pourrait faire gagner quatre à cinq euros la tonne sur la campagne, et parvenir à 80% de blé meunier », contre 30% l'an dernier.
De quoi faire réfléchir les plus récalcitrants. Cela étant, si la plupart des mesures établies par Farmstar ou N-Tester sont fiables et cohérentes, il arrive qu'il y ait des ratés. « Il y a deux ou trois ans, j'ai fait un essai avec Farmstar, confie Serge Garboud-Billot, céréaliculteur à Bévenais venu chercher un appui technique auprès de l'agricentre du Grand-Lemps. Mais ce n'a pas été très concluant : le suivi de ma parcelle ne m'avait préconisé aucun apport, et je me suis retrouvé avec un taux de protéines exécrable. J'espère qu'avec N-Tester, ce sera plus fiable. » Selon les conseillers de terrain, ce genre de couac existe, mais il est rarissime. Reste que le pilotage, si précis soit-il, doit composer avec la nature. « La gestion de l'azote n'est pas mathématique, confirme Damien Ferrand. C'est l'élément le plus capricieux en agriculture. »
Marianne Boilève