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Viticulture

Plein soleil sur les coteaux de la rive gauche

Ils sont treize producteurs et bientôt dix-sept à mener un combat de romain pour faire renaître le vignoble de l'Isère rhodanienne. Rare et réputé, le vin gagne à être connu et brigue l'AOC côtes-du-rhône.
Plein soleil sur les coteaux de la rive gauche

Chasse-sur-Rhône, Seyssuel, Vienne. Lovées dans la boucle du Rhône, ces trois communes de l'Isère rhodanienne alignent leurs coteaux plein sud pour capter des premiers aux derniers rayons du soleil. Les romains ne s'y étaient pas trompés, y installant la capitale des Allobroges et subséquemment, un vignoble. Les pierres sont restées et les ceps aussi, enfin, jusqu'à ce que le phylloxera ait raison de ces derniers, au tournant du XIXe siècle. Il faudra patienter une centaine d'années pour redonner souffle à ces vignes réduits à l'état de vestiges. Trois pionniers, issus de l'autre rive, Pierre Gaillard, Yves Cuilleron et François Villard ont remis les pieds - de syrah et de viognier - en Isère. Puis d'autres y ont cru. Avec passion, patience et intelligence, pour replanter, parcelle après parcelle, cette vigne qui a tant à donner. Conscients qu'il y avait là une pépite, ils ont constitué une association, Vitis Vienna, en 2004 pour travailler les mêmes perspectives sur ce terroir au formidable potentiel.

Echalas de châtaigniers

 

Le vignoble de l'Isère rhodanienne surplombe la vallée du Rhône sur la rive gauche.

 

Hervé Arvallet s'est installé en 2007. A 40 ans, sa carrière d'informaticien prenait un tournant. Un plan social lui a fait changer de vie. Une formation viticole et un BPREA* plus tard, il plante ses premières vignes à Seyssuel. « J'ai démarré avec une vigne familiale appartenant à mon père », confie le vigneron dont l'exploitation s'étend aujourd'hui sur six hectares de part et d'autre du Rhône, entre Seyssuel, la côte-rôtie, Condrieu, les côtes-du-rhône et saint-joseph. Le vigneron possède désormais 1,7 hectares en production à Seyssuel et s'apprête à planter 7 000 m2 supplémentaires. Son horizon serait de 10 ha de vignes à moyen terme. A la fois agriculteur et esthète, Hervé Arvallet conduit ses vignes sur des échalas de châtaignier, faisant de chaque cep une cathédrale dédiée à Bacchus. « J'utilise la même conduite que sur la rive droite, précise-t-il. Il ne faut pas faire n'importe quoi ».

Sur ces collines, les vignerons font face à plusieurs enjeux, à commencer par la reconnaissance. « Nous sommes sur du schiste, c'est un terroir typique pour faire des vins de qualité. De plus, il est exposé aux vents, de sorte que la vigne est beaucoup moins sensible à la pourriture et à la maladie ». Ce climat très favorable « attire du beau monde et des grands noms de la rive droite ». Alors qu'« il reste un peu de place », l'association Vitis Vienna a permis aux vignerons de se structurer autour d'une démarche d'AOC. « L'union fait la force », reconnaît Hervé Avallet. Pour convaincre l'Inao de faire traverser le Rhône à l'appellation côtes-du-rhône, ils mettent en avant ce terroir exceptionnel, la qualité de leurs vins et l'ambition des vignerons. Pour être crédibles, les surfaces sont contenues et limitées aux seuls coteaux. Les rendements sont les mêmes qu'en côtes-du-rhône, c'est-à-dire autour de 40 hl/ha maximum, bien que la moyenne s'établisse plutôt autour de 30hl en raison de la jeunesse du vignoble. Les raisins sont sélectionnés, les vignes travaillées manuellement et les vins bénéficient de cuvaisons longues.

Visites guidées

Le deuxième défi est celui de la notoriété. L'association a recruté un chargé de mission, Florian Marcelin, pour développer la communication autour de ce vin, qui se vend très bien auprès d'un public averti, mais peine à être reconnu, ne serait-ce qu'en Isère. Vitis Vienna a intégré depuis deux ans le concours des vins de l'Isère afin d'aller à la rencontre des autres vignerons et d'un nouveau public. « Nous aimerions le faire venir à Vienne », propose Florian Marcelin. L'association multiplie sa présence sur les événements locaux, en participant à Jazz à Vienne, à Vinalia, à la fête des vins renaissants, à Millésime ou en organisant des dégustations. « Nous souhaitons développer les synergies territoriales avec le vin comme fil conducteur », poursuit le chargé de mission qui lancera sous peu des visites guidées dans le vignoble de Seyssuel. Rares et déjà très bien cotés, les vins de l'Isère rhodanienne ont déjà réussi à se forger une belle réputation auprès des professionnels que sont les restaurateurs et les cavistes.

La gagée des rochers

Un vin de coteaux.

 

Le cercle vertueux ne demande qu'à se renforcer. « Mais connaissez-vous l'arrêté préfectoral de protection du biotope des coteaux de Seyssuel ? », interroge Hervé Avallet. Signé en 2013, il gèle environ 90 hectares de surfaces potentiellement agricoles pour protéger une petite fleur jaune des Alpes, la gagée des rochers. Tout changement d'affectation du sol y est interdit. « C'est le plus gros frein au développement de la vigne », regrette le vigneron qui pense que cela perturbe le processus d'accession à l'AOC. « Pourtant, il existe encore de beaux coteaux à planter, reprend-il. D'autant que c'est une production économiquement viable et un secteur attractif, où peut se développer l'œnotourisme, créateur d'emploi. Il faut un juste milieu ». Pour plaider la cause des vignerons, il met en avant les pratiques raisonnées respectueuses de la nature et de la biodiversité. Quant au coteau, les nombreuses cabanes qui y sont accrochées témoignent de son lourd passé viticole.

Isabelle Doucet

*Brevet Professionnel Responsable d'Exploitation Agricole

 

 

La vigne et les vignerons

Les deux cépages emblématiques des coteaux de la rive gauche, dont le vignoble s'étend désormais sur 35 ha, sont la syrah pour le rouge et le viognier pour le blanc. Souvent, en écho au passé gallo-romain, les cuvées portent des noms latins et évocateurs : sole occidente (soleil couchant) et pulchra terra (la belle terre) chez Hervé Avallet, le lucidus (clair) de Chapoutier ou encore le ripa sinistra (rive gauche) d'Yves Cuilleron.
Les vignerons ont 13 exploitations : M.Chapoutier, Pierre Gaillard, Michel et Stéphane Ogier, Maison A.Paret, Les vignobles de Seyssuel (Louis Cheze, Laurent et Pascal Mathouret, Georges Treynard), François Villard, les Vins de Vienne (Yves Cuilleron, Pierre Gaillard et François Villard), Hervé Avallet, Christophe Billon, Julien Pilon, Les Serines d'or (Jérôme Ogier et Damien Robelet), Pierre-Jean Villa. Un quatorzième vigneron entre en production en 2015, un quinzième plante cette année, un seizième et un dix-septième vont planter en 2016.

 

Visite des membres du CTPS dans le Trièves. 
(Crédit : VVT)

 

Reconnaissance

L'onchette sur catalogue

C'était un grand jour le 24 septembre dernier lorsque l'association Vignes et vignerons du Trièves a reçu la visite des experts du CTPS, le comité technique permanent de sélection, chargé de donner son avis pour l'inscription de nouvelles variétés au catalogue officiel. Et c'est l'onchette qui faisait l'objet de toutes les attentions. Ce cépage oublié, redécouvert il y a moins de 10 ans par les enfants du pays, a été replanté par des vignerons obstinés, et donne aujourd'hui ses premières cuvées. « Il n'y a pas de souci avec l'onchette », glissait prudemment Laurent Mayoux, secrétaire technique du CTPS au moment de rendre son avis. L'onchette fait partie de ces petits cépages porteurs de l'identité d'un terroir. « Pour exister, les vignobles périphériques s'intéressent à ces vieux cépages qui n'existent nulle part ailleurs, poursuit l'expert. Cependant le processus de reconnaissance est très long, et nécessite un accompagnement technique.» Dernière étape de leur démarche, les vignerons ont pu accueillir la délégation composée de représentant des viticulteurs, des pépiniéristes, de l'Inra, de l'IFV, de FranceAgrimer et des experts DHS (Distinction, homogénéité, stabilité). Ils étaient accompagnés des membres du Centre d'Ampélographie Alpine Pierre Galet très présents dans l'élaboration du dossier. Cette visite leur a permis d'apprécier l'onchette dans son environnement. Pour s'assurer du profil du vin, les experts se sont appuyés sur deux années de vinification. La démarche a nécessité la mise en place de parcelles aux variétés pures, soit un travail de sept années. En décembre, la section vigne du CTPS se réunira pour proposer l'intégration de la variété onchette au catalogue. La qualité de son dossier pèse largement en faveur d'un avis favorable rendu au ministère de l'Agriculture, lequel donnera son arrêté courant 2016. Ce qui permettrait à l'onchette d'être multipliée, plantée et ses vins commercialisés.
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