Prendre 50 ans d'avance
Ils préparent l’avenir de nos enfants. Les techniciens de l’Office national des forêts (ONF) ont présenté le 2 juin des plantations expérimentales de sapins dans le cadre du réseau de site d’avenir, à Pierre-Châtel.
En Matheysine, le climat évolue. Déjà sensible, cette évolution va mettre à l’épreuve la capacité de résistance de nombreuses forêts. Pierre-Châtel possède une forêt communale qui commence à connaître des faiblesses notamment du côté des résineux. Le réseau expérimental forestier en place en Isère tente de devancer les changements climatiques pour adapter les espèces en place.
Plus haut ou plus loin
« Pour connaître les mêmes conditions qu’aujourd’hui, les arbres devraient se déplacer de 800 kilomètres plus au nord ou à 600 mètres plus haut en altitude d’ici 50 ans, explique Eric Salvatori, technicien expert de l’ONF, très au fait de ces évolutions. Les espèces ne se déplaceront pas aussi vite. Nous tentons de devancer ces changements inéluctables pour favoriser une adaptation plus rapide des espaces boisés. »
L’idée poursuivie par l’ONF est d’implanter localement des essences plus méridionales et analyser leur comportements au fil des décennies. Le sapin pectiné étant fréquent dans le sud Isère, c’est dans ce groupe végétal que les techniciens ont fait leur marché. « Le groupe sapin est un complexe d’espèces que l’on peut qualifier de sous-espèces, tente de vulgariser Eric Salvatori. Elles sont hybridables entre elles. » Autrement dit, qu’ils soient pectiné, de Nordmann, de Bormüller, de Céphalonie, pectiné de Corse, ces sapins sont très semblables. Ils possèdent simplement des adaptations à leur habitat d’origine. Et là, les forestiers sont allés chercher des plants issus de semis dans l’Aude, les Pyrénées Orientales ou en Corse. « Ils sont tous d’origine française, ce qui permet d’éviter l’importation de pathogènes extérieurs », rassure le forestier. Implanter ces espèces à 1050 mètres d’altitude reste un pari. « Certaines résistent bien au sec estival, mais craignent les gelées tardives que nous connaissons encore dans cette station, même si c’est moins fréquent qu’avant, explique Eric Salvatori. Nous allons aussi étudier l’appétence au regard de la faune locale, essentiellement du chevreuil. On sait que les cèdres, implantés dans une autre commune sont moins broutés que les autres arbres, mais il faudra voir pour ces sapins et étudier les moyens de prévention. Nous allons faire un suivi à un an pour juger du taux de reprise, puis tous les dix ans pour voir l’adaptation. »
Des décennies d'observation
Ces expérimentations portent sur des dizaines d’années, la maturité envisagée, donc celle à laquelle ces sapins seront récoltés, étant fixée par les promoteurs de l’opération à 100 ans. « Nous réalisons un travail de repérage et de compilation le plus fin possible afin que nos successeurs puissent avoir une connaissance parfaite de l’histoire de ces parcelles », explique le technicien forestier.
« Le choix des espèces implantées doit répondre à trois critères : avoir des individus capables de résister à une augmentation inévitable des températures quels que soient les scénarios. Surtout les plus extrêmes. Ensuite ils doivent pouvoir donner du bois d’œuvre de qualité car il y a toujours une fonction économique. Enfin, avoir la capacité de se régénérer naturellement car les plantations impliquent une intervention coûteuse. Ce n’est pas notre souhait d’autant plus que nous pratiquons aujourd’hui la futaie jardinée le plus souvent possible. » Les placettes vont donc servir de réservoir d’ensemencement local et de point de pollinisation. Un participant à la visite, sensible à la cause environnementale, s’est interrogé sur le risque d’hybridation des espèces locales. Mais c’est justement une hybridation qui est recherché afin d’apporter en douceur des caractéristiques de résistances aux nouvelles conditions environnementales. « Les différences entre les différentes sous-espèces utilisées sont indécelables sans une analyse génétique, explique Eric Salvatori. On a simplement constaté que le sapin de Corse a formé ses aiguilles un peu plus tôt que les sapins des Pyrénées-Orientales. Mais la plantation n’a que deux mois et ce n’est pas significatif. »
Une intervention utile pour l'homme
Denis Pélissier, technicien du CRPF, ajoute pour sa part que « ces placettes de 1 500 m2 chacune, sont largement inférieures en potentiel de pollinisation au regard des dizaines voire de centaines d’hectares de sapins implantés localement. » Il n’y aura pas de bouleversement des caractéristiques des peuplements existants. « On travaille par bouquet, trouée, dans une forêt volontairement entretenue en mosaïque pour maintenir à la fois la qualité du paysage mais aussi favoriser une biodiversité liée aux différentes espèces, résineuses ou feuillues », précise l’ONF.
« On n’est pas obligé d’intervenir dans la forêt, reconnaît le technicien forestier au cours du débat improvisé sur place. La nature peut très bien s’adapter toute seule sans intervention humaine. Les forestiers le font car on veut conserver des fonctions au profit de l’homme : chauffage, bois d’œuvre, paysage et agrément de balade, lutte contre les gaz à effet de serre. Dans 50 ou 100 ans, ces fonctions perdureront et la chimie du bois nous apportera certainement davantage. »
Jean-Marc Emprin
L’épicéa c’est encore bon dix ans pour les scieurs, ensuite, il n’y en aura plus.