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Grandes cultures

Situation tendue chez les céréaliers

Ayant beaucoup souffert de la sécheresse et de la canicule, les grandes cultures connaissent des rendements contrastés. Mais les cours sont à la baisse, alors que les charges fixes augmentent.
Situation tendue chez les céréaliers

« J'ai moissonné un tas de gravier ! » Robert Ballefin, producteur de céréales à Satolas-et-Bonce, dans le Nord Isère, ne cache pas son amertume. « Cette année, il aurait mieux valu ne pas semer et rester à l'ombre... » Blé, orge, colza, tournesol, maïs : aucune de ses cultures n'est épargnée. S'il a pu récolter 65 quintaux de blé à l'hectare et 20 à 28 quintaux en moyenne pour le colza, le reste est calamiteux. Pour le tournesol, il va rentrer 12 q/ha, au mieux. Quant aux maïs, même irrigués, « ils sont moyens : beaux en haut, mais il n'y a rien dans les fuseaux. Ça a mal fécondé ». On entend des propos identiques à Chamagnieu, Tignieu-Jameyzieu, Colombier-Saugnieu.« Tous les villages ont dérouillés » dans le Nord Isère, comme dans l'ensemble du département . « Ça devient tendu, confirme Jérôme Crozat, responsable de la commission Grandes cultures à la FDSEA. Les situations sont hétéroclites selon les exploitations. Même lorsqu'ils irriguent, les exploitants rencontrent des difficultés, car les charges liées à la consommation d'eau augmentent. »

Cours en baisse, intrants en hausse

Une situation d'autant plus critique que les cours sont orientés à la baisse, alors que « les engrais, les produits phyto et les services, comme le contrôle laitier, ne baissent pas, eux ». Et c'est bien ça qui désespère les céréaliers. « Cette année, nous n'avons ni les rendements ni les prix, fulmine Robert Ballefin. Aujourd'hui, les cours du pétrole baissent, mais le prix des engrais augmente. Tout mon bénéfice y passe. Avec 260 hectares, j'ai besoin d'énormément d'engrais à 400 euros la tonne. Sans compter que l'irrigation a tourné à plein régime. Mes frais d'électricité ont doublé, passant de 2 000 à 4 000 euros. Pour la flotte, ça double aussi. Mais, ça, c'est le climat : c'est le risque de tout le monde. Mon problème, ce n'est pas le climat, c'est l'engrais ! »
Le cas de Robert n'est pas isolé. Si l'agriculteur reconnaît qu'il s'en sort sans doute mieux que d'autres parce qu'il a depuis longtemps remboursé ses emprunts et que sa situation est « stabilisée », il pense aux collègues, aux jeunes notamment qui démarrent et enchaînent crise sur crise. Bernard Dumoulin, producteur de blé, orge, maïs et colza dans le même secteur, partage son appréhension. « C'est très compliqué de joindre les deux bouts, dit-il. Chez nous, les terres sont séchantes, les rendements médiocres. On gagne moins qu'il y a dix ans, c'est sûr. On n'achète plus rien, on fait avec ce qu'on a. On n'investit plus. Pour moi qui ai 57 ans, ce n'est pas trop grave. Mais les jeunes, eux, ils ne peuvent pas tenir longtemps comme ça. J'en connais qui essaient de faire du travail à façon, d'autres qui se lancent dans les semences. » Ou qui se résolvent à devenir double actif, comme Christophe Rose. Fils d'agriculteur, ce jeune céréalier s'est installé en 2000, à la belle époque. Mais depuis deux ans, le « matelas » qu'il s'était patiemment constitué au fil de ces 15 dernières années se dégonfle à vue d'œil. « On parle beaucoup des éleveurs, mais nous, les céréaliers, nous sommes dans le même monde. Les cours sont au plus bas, alors que les engrais, les remboursements d'emprunt ou le fermage ne baissent pas – j'ai pratiquement toutes mes terres en location. Sans compter l'irrigation : j'arrose depuis le mois de juin. Parce que, dans les cailloux, quand on n'arrose pas, c'est vite vu... »

Boucher les trous de l'an dernier

Chez Yannick Ollagnier, producteur de céréales aux Côtes d'Arey, où « les terrains ont du fond », la situation est à peine meilleure. « Je m'en sors plutôt bien par rapport à la saison qu'on a, estime-t-il. J'ai eu un bon rendement pour le blé et j'arrive à 28-29 q/ha pour le tournesol, alors que j'étais à 9 l'an dernier. Mais pour le maïs, on va moins rigoler : je vais sans doute faire entre 20 et 50 q/ha selon les parcelles. Mes maïs font 3 mètres 50 de haut, mais il n'y a rien dedans ! » Et si l'agriculteur, membre du réseau Isère sols vivants, est parvenu à diminuer de 50% ses doses de produits phyto – et donc à réduire ses charges en proportion -, pour les engrais, il est logé à la même enseigne que les autres : « Je n'ai pas d'élevage, je ne peux donc pas réduire la dose. En coût hectare, ce n'est pas là-dessus qu'on peut faire le plus d'économie avec nos sols à nous... » De fait, pour Yannick comme pour les autres l'année va être « dure à boucler, d'autant qu'il faut encore boucher les trous de l'an dernier ». Ce qu'il parviendra à faire avec la vente de bois de chauffage. Mais l'avenir de la céréale, il n'y croit plus trop. Quant à Christophe Rose, il ne s'est pas encore posé la question d'arrêter, « mais ça pourrait venir, parce que ça fait mal au ventre de travailler à perte ». Un propos entendu dans de nombreuses autres filières.

Marianne Boilève

 

Une conjoncture difficile

La récolte des colzas est en baisse.
Si, au vu des premiers bilans, les récoltes de blé sont fameuses en Isère comme dans le reste de la France, avec des rendements bons à excellents et une qualité au rendez-vous, les cours ne suivent pas. Ils décrochent même sérieusement. Début septembre, ils ont encore cédé 1,75 euros sur l'échéance de septembre (à 151,25 euros la tonne) et 1,25 euros sur celle de décembre (167,75 euros la tonne). En cause : l'abondance des récoltes mondiales.
La situation est exactement inverse pour les cultures d'automne, qui ont souffert des épisodes caniculaires et du manque de pluie du début de l'été. D'après les prévisions de production (au niveau national), « la récolte de maïs grain (y compris semences) atteindrait 13,7 Mt en 2015, en baisse de 27% par rapport au niveau record de 2014 » (1). Fin juillet déjà, le marché s'inquiétait de la situation, le maïs souffrant du manque d'eau et des fortes chaleurs en pleine période de floraison. D'où une hausse des cours. Une maigre consolation pour les producteurs de maïs, qui, en Isère, prévoient « des récoltes mauvaises, voire catastrophiques » en dépit des précipitations du mois d'août. De fait, des parcelles trop atteintes par la sécheresse seront récoltées en maïs fourrage, alors qu'elles auraient dû fournir du maïs grain.
Pour le tournesol, la conjoncture n'est guère meilleure. Au niveau national, les rendements seraient en retrait de 13% (21q/ha en moyenne) et la production de 18% (1). Fin août, le marché était orienté à la baisse, restant dans le sillage des autres graines oléagineuses. Mais les perspectives tendues en termes de récolte (de 12 à 30 quintaux hectares en Isère selon les secteurs) laissent entrevoir une atténuation de la pression baissière. A suivre.
MB