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Alimentation

Une certaine idée du champ de blé

La filière Valcétri, qui réunit les agriculteurs, les collecteurs et la minoterie du Trièves, fête ses 20 ans en montrant la voie de l'interprofession.
Une certaine idée du champ de blé

« 20 ans, ce n'est pas rien », lance Philippe Corréard, le dirigeant de la minoterie du Trièves installée depuis plus de cent ans à Clelles.

L'aventure Valcétri, pour Valorisation des céréales du Trièves, c'est d'abord l'histoire d'une rencontre. Celle de ce groupe d'agriculteurs désireux de valoriser leur blé et celle du meunier, qui s'est investi sans compter dans le projet.

 

Le dirigeant de la minoterie du Trièves, Philippe Corréard, s'est investi sans compter auprès des producteurs de blé.

 

« Cette volonté commune », note Philippe Corréard, s'est rapidement propagée aux trois collecteurs du secteur, les établissements Payre, Martinello et la coopérative Dauphinoise.
Aujourd'hui, la filière fête ses 20 ans et représente une collecte de 3 500 tonnes de blé, cultivées sur 752 hectares par 42 producteurs, ce qui équivaut à plus de 30% des surfaces de blé emblavées dans le Trièves. Elle pèse pour 25% des volumes écrasés par la minoterie.

Une centaine d'artisans-boulangers ont fait le choix de cette farine, dont la moitié en exclusivité.

Blé de montagne

Marc Blais, le président de Valcétri se souvient « des longues soirées de débats à Mens ». A l'époque, on les appelait « le club des 10 », ces agriculteurs qui sont partis en premier, avec André Villard à leur tête.

Marc Blais reconnaît que la démarche « demande beaucoup d'implication pour la mise en valeur d'un savoir-faire et le suivi d'une production hors du commun en termes de qualité ».

Il précise que le blé du Trièves a toujours été de qualité. Le territoire est d'ailleurs reconnu pour être « la plus grande région de France productrice de blé meunier à cette altitude », c'est-à-dire entre 600 et 800 mètres.

 

Marc Blais, président de  Valcétri.

 

« Mais il fallait créer ce lien entre les producteurs, les collecteurs et la minoterie pour amener de la plus-value. » L'interprofession sera le ciment de Valcétri, son pari sur l'avenir, ses trois collèges permettant de décider de l'emblavement au regard de l'évolution du marché.
Cette « volonté de sortir de la banalisation » peut être séduisante sur le papier, mais Marc Blais rappelle « qu'il y a toujours eu des périodes de doute dans l'implication des producteurs ».

Car il y a les convaincus, séduits par la démarche et passionnés par l'itinéraire technique, quand d'autres agriculteurs se sentent plus éloignés ou changent d'orientation par exemple pour passer en bio.

« Et puis, la culture du blé vient parfois en deuxième ou troisième rang des productions d'une exploitation », précise le président.

Dans le Trièves, c'est l'élevage qui prévaut et ceux qui produisent pour Valcétri ont d'autant plus de mérite.

« Il faut du temps pour faire adhérer un producteur, reprend Marc Blais. C'est une démarche volontaire, qui demande l'utilisation de semences certifiées et nécessite la mise en place de la traçabilité et la mise à disposition d'un recueil des données et des pratiques. Pour autant, les contrats annuels sont largement atteignables ! »

La relève

C'est ce que Bernard Clavel, autre cheville ouvrière de Valcétri, appelle « être mieux agriculteur ». Une condition pour avancer.

« Nous avons une obligation de résultats, avec notamment une gestion très précise de l'azote et des visites de parcelles obligatoires. Cela va dans le sens de l'agriculture raisonnée, autour d'un projet et d'un produit sain, explique-t-il. Et des jeunes commencent à s'intéresser à cela. »
Car 20 ans après, les pionniers songent à la transmission de leur démarche.

 

Les producteurs de blé Valcétri réunis pour les 20 ans de l'interprofession.

 

« Il ne faut pas attendre le dernier moment pour prendre la relève décisionnelle et des grandes orientations. Ce n'est pas aux agriculteurs à la veille de la retraite de penser à ce qui sera plus tard », déclare Marc Blais.

La valeur ajoutée apportée par les contrats représente environ 20 euros/tonne soit une centaine d'euros par hectare. Les agriculteurs ont pour habitude de dire que « ça paye la moissonneuse ».

Le rôle des boulangers

Au cœur du dispositif, la minoterie du Trièves, son dirigeant Philippe Corréard et ses deux fils Sébastien et Fabrice, ont suivi leur intuition pour amorcer le dispositif.

« Nous avons toujours été dans l'innovation et il y a 20 ans, nous avons mis en place une station de mélange », explique-t-il. L'outil était prêt à concrétiser cette envie de bâtir cette expérience collective.

Garant des débouchés de la filière, le meunier consacre 50% de son budget communication pour sa promotion. Sensibiliser les boulangers qui font eux-mêmes passer le message au consommateur : la tâche est immense et sans cesse renouvelée.

« Des journées comme celle-là (les 20 ans de Valcétri ndlr), avec la visite de la plateforme d'essai, cela parle aux boulangers. Ils comprennent que produire du blé, cela n'est pas seulement semer et récolter six ou huit mois après. C'est un travail de tous les jours ». Michel Payre, le dirigeant de la société Payre, insiste sur l'engagement de toutes les parties et notamment sur l'accompagnement des entreprises. « Et pour une petite région comme le Trièves, c'est énorme.»
L'avenir de Valcétri se décide aujourd'hui. Le blé du Trièves bénéficie d'une belle reconnaissance dans le Sud-Est, mais la concurrence des grandes enseignes pareillement inscrites sur le créneau des farines du terroir, est rude. Ce qui décuple la motivation du meunier et pousse l'interprofession à réfléchir à quelques pistes d'évolution : farines normées, labellisées ?

« Il faut conserver l'entité territoriale, celle de la montagne et du Trièves », insiste Bernard Clavel.

Isabelle Doucet
Valcétri

Un cahier des charges drastique

« Tout le blé est stocké sur place et ne sort de la zone de production que sous forme de farine », insiste Marc Blais.
L'achat de semences certifiées inscrites dans le catalogue variétal mis en place avec la minoterie est obligatoire.
Une variété ne doit pas représenter plus de 30% du blé récolté. Tout l'art de la minoterie repose dans les panachages et les mélanges qu'elle réalise.
Les nouvelles variétés sont testées pendant deux campagnes sur des parcelles d'essai avant d'être validées.
Chaque année, 15 à 20 variétés sont implantées : blés barbus ou non, blé de force, ils offrent de petits rendements certes, mais de qualité.
Le travail des collecteurs est extrêmement précis : identification des lots, reconnaissance de toutes les variétés, allotemment à part et stockage dans des cellules ventilées à froid, déclassement si nécessaire. Ils procèdent également au diagnostic de nutrition azotée (qui détermine les 3e ou 4e passage d'azote) à l'aide de N-tester et plus récemment de drones.
Michel Payre, dirigeant de la société Payre  et André Durand technico commercial.
 

 

Paroles de boulangers

« On ne se rend pas compte de tout ce travail »

Gérard Dalmasso a été boulanger à Vif durant toute sa vie professionnelle avant de céder son entreprise il y a trois ans.
« C'est un précurseur, il a toujours travaillé avec Valcétri, insiste Philippe Corréard, il s'est investi dans la démarche. »
Le boulanger est l'héritier d'une tradition familiale. « Nous avons toujours travaillé avec des blés locaux, du terroir », affirme-t-il.
Enfant du pays, il a trouvé avec Valcétri « un produit qui convenait à la clientèle, mais il a fallu l'implanter. » C'est la raison pour laquelle, il s'est engagé auprès des acteurs de la filière.
« Un des agriculteurs fondateur de l'association, Bernard Personnaz a su m'expliquer. J'ai passé deux jours avec lui dans son exploitation, j'ai compris ce qu'il cherchait et cela m'a aidé à informer ma clientèle et à la fidéliser. »
Gérard Dalmasso a été un des premiers boulangers à utiliser la farine Valcétri.
Le boulanger a passé du temps avec les collecteurs, avec le meunier, à comprendre les variétés, les mélanges, la récolte, le stockage. « Cela m'a donné des éléments pour répondre à la clientèle. C'est un travail de tous les jours, mais il faut être motivé soi-même. »
Se démarquer
Curieux, Bastien Grimaldi, jeune boulanger à Pierre-Châtel, l'a été aussi de découvrir la production de blé dans le Trièves, à l'occasion de la visite de la plateforme d'essais variétaux.
« Lorsqu'on reçoit la farine, on ne se rend pas compte de tout ce travail en amont », déclare-t-il.
Bastien Grimaldi, boulanger à Pierre-Châtel utilise la farine du Yrièves.
« C'est une farine merveilleuse, aux qualités irréprochables et c'est une fierté de travailler avec une farine qui est produite à côté de chez moi », affirme ce salarié qui rêve d'avoir sa propre boulangerie.
Il lui importe « de faire de la qualité et de se démarquer des grandes enseignes, de montrer qu'une petite boulangerie artisanale peut se différencier des autres. Pour beaucoup de gens, le pain, c'est de la farine et de l'eau, alors que c'est complexe à fabriquer, poursuit-il. Pour avoir un bon pain, il faut avoir une bonne farine faite à partir de céréales adaptées. »
ID

 

En savoir plus :

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