Monument
La tour Perret n'est plus en péril

Isabelle Doucet
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À Grenoble, pour rendre la tour Perret ouverte au public, un vaste chantier de rénovation a été lancé depuis un an. La restauration de cet édifice en béton fait appel à des techniques novatrices.

La tour Perret n'est plus en péril
Transformée en dame blanche, la tour Perret sera bientôt rendue aux Grenoblois. photo : ID TD

Elle fut la première et donc la plus haute tour en béton armé construite au monde. Pour ses 100 ans, la tour Perret, qui trône au milieu du parc Paul Mistral à Grenoble, s’offre une cure de jouvence. Et il était temps. Car la dame de 88 mètres de haut souffrait d’un mal profond. Au fil des décennies, la rouille avait gagné les armatures de ses huit piliers, faisant éclater le béton et rendant l’édifice des plus fragiles.
Monument en péril fermé au public depuis plus de soixante ans, la tour fait l’objet depuis un an d’une vaste opération de rénovation d’un coût de 15,5 millions d’euros (1). Sa façade octogonale s’est désormais parée d’un vaste manteau blanc pour protéger les opérations de restauration. L’état de la tour nécessite en effet la reconstruction de l’ensemble des piliers depuis leur base et par tranche de deux mètres de haut.
Le maire de Grenoble, Éric Piolle, rappelle que la tour a fait l’objet d’un chantier école (2) pendant deux ans afin de savoir « comment rénover un édifice en béton armé. C’est un enjeu majeur pour l’architecture civile ».
Lorsqu’elle sera rendue à la visite du public, en 2025, la tour Perret sera identique à sa conception d’origine. Même l’ascenseur d’époque a bénéficié d’une réfection unique opérée par un spécialiste suisse. Il pourra de nouveau accueillir 19 personnes pour accéder en haut de cette « tour faite pour observer les montagnes », comme il se disait, lors de son ouverture, en 1925 pour l’Exposition Internationale de la Houille Blanche et du Tourisme de Grenoble. Elle a été classée monument historique en 1998. Elle appartient à la ville de Grenoble qui est maître d’ouvrage.

Un sauvetage

« C’est un défi entre la conservation du patrimoine et le respect des règles de sécurité actuelles », souligne, François Marie, directeur régional adjoint des affaires culturelles.
La prouesse technique a débuté par les fondations, qui présentaient un peu de gîte. Les 70 pieux en béton qui soutiennent la tour ont été entièrement repris auxquels ont été ajoutés 40 pieux supplémentaires.
Ensuite, la tour a été complètement vidée avant d’attaquer le gros œuvre. Pour qu’elle conserve sa solidité, des butons de deux tonnes reliant les piliers ont été montés à l’intérieur de l’édifice. Au-dessus de l’entrée et faisant le tour du bâtiment, la casquette a été détruite au 7/8e, les maîtres d’œuvre n’ayant gardé qu’un petit bout de référence. « C’est un sauvetage plus qu’une restauration », reconnaît François Botton, architecte en chef des monuments historiques, en charge de la restauration de la tour Perret. Le chantier force les opérateurs à chercher des méthodes dans toutes les techniques employées dans les travaux publics et à les adapter. Ainsi le béton projeté sur la tour se fait par voie sèche (3), les mélange liquide s’opérant au moment de la projection, au contact de la surface. C’est la seule solution possible pour le projeter le matériau à plusieurs dizaines de mètres de haut. Une autre technique utilisée est celle de détection de la ferraille afin de gratter le béton « seulement au bon endroit ».
L’échafaudage en lui-même est aussi une prouesse technique. Autostable, « il ne peut pas s’appuyer sur la tour tant qu’elle n’est pas consolidée », explique Adrien Errigo, chef d’agence bâtiment, Freyssinet France. Petit à petit, le chantier gravit les niveaux et peut s’arrimer à la tour. Une équipe est plus particulièrement en charge des finitions du béton projeté afin de retrouver l’aspect « brut de décoffrage initial » et d’effacer les traces du chantier. C’est la technique de l’estampage.

Isabelle Doucet

(1) Financement à hauteur de 5 M€ par l’État, 3 M€ Département de l’Isère + collecte Fondation du patrimoine
(2) Le chantier de sauvetage a été lancé en 2020 (chantier test, puis restauration à partir de 2023).
(3) Cette méthode est notamment utilisée pour consolider les falaises.

Un parc paysager au pied de la tour
Les abords de la tour seront entièrement aménagés. Photo : ID TD

Un parc paysager au pied de la tour

La réouverture de la tour au public s’accompagne de la création d’un parc paysager à son pied. Il sera agrémenté de sept stations d’interprétation pour comprendre l’histoire du monument : les années vingt ; l’Exposition internationale de 1925 ; Auguste Perret ; l’architecture de la tour ; les paysages ; la ville en 1968 ; le chantier de restauration. Ainsi, les visiteurs pourront patienter en découvrant la tour. Le départ du parcours découverte se fera depuis la buvette du petit train entièrement rénovée en lieu d’accueil du public. Il faut dire que 40 000 visiteurs/an sont attendus.
Une aire de jeu paysagère reprendra la thématique de l’hydroélectricité, tout en s’inspirant des montagnes et du cycle de l’eau. Parc et aire de jeu reprendront le béton dans leurs structures, faisant écho au matériau de la tour. Le montant de ces aménagements s’élève à 1,6 M€.
ID

 

Pourquoi le béton de la tour s’est ainsi dégradé ?
Sous l'effet de la corrosion, les piliers de la tour se sont rapidement dégradés, fragilisant la construction. photo : ID TD

Pourquoi le béton de la tour s’est ainsi dégradé ?

Lors de la construction de la tour, les fers, qui armaient le béton, étaient placés trop près de la surface des piliers et n’étaient pas suffisamment séparés entre eux par de la matière. Atteints par la rouille, ils se sont dégradés, les sections les plus fines en premier, les plus gros dans un deuxième temps, faisant éclater le béton. La dégradation de la tour a débuté 30 ans après sa construction.
Le chantier de conservation est un chantier test, qui conjugue une restauration totale des piliers (le béton est purgé par hydrodémolition) à une protection cathodique par courant interposé (PCCI). Il s’agit, par cette technologie, de protéger la corrosion des armatures en injectant en permanence un faible courant électrique dans les aciers. Des anodes de titanes reliées par câbles sont installées sur les piliers tous les 40 cm.
Le béton purgé est réemployé sur le chantier.
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Une collecte de la Fondation du patrimoine

Objectif 500 000 € affiche Bernadette Cadoux-Delachenal, déléguée territoriale Grenoble et Métropole de la Fondation du patrimoine. L’institution a lancé un appel aux dons pour cette opération de rénovation du patrimoine. En fin d’année, 125 000 € avaient été récoltés. La déléguée rappelle que ces dons sont déductibles des impôts : 60 % pour les entreprises, 75 % pour les particuliers. « La collecte a débuté doucement, indique Bernadette Cadoux-Delachenal. C’est typique des grandes villes, les gens sont très sollicités. Mais avec les échafaudages, la curiosité s’est installée et la collecte dure jusqu’à la fin des travaux. » La déléguée est aussi une témoin de marque car elle fait partie des grenoblois (es) qui ont eu la chance, durant leur enfance, de monter dans la tour Perret alors qu’elle était encore ouverte au public.
ID