Début septembre, des lâchers de Ganaspis kimorum ont été réalisés sur deux exploitations situées dans la Drôme et l’Ardèche. Élevé en laboratoire, cet insecte doit permettre de baisser la pression provoquée par la mouche Drosophila suzukii sur les cerisiers.
Confortablement installées dans leur flacon, quelques micro-guêpes Ganaspis kimorum s’attardent avant de prendre leur envol sur les ronciers à proximité de vergers de cerisiers. Cette micro-guêpe capable de lutter contre la Drosophila suzukii, fléau des cerises et petits fruits (voir encadré), porte en elle les espoirs de toute une filière arboricole. Venus exprès de Sophia Antipolis, à Nice, Adrien Le Navenant, ingénieur de recherche et de l’Inrae, et Mélanie Huguet, technicienne de recherche, s’arment de patience et de délicatesse pour lâcher ces insectes, plus habitués au laboratoire confiné qu’au grand air.
Des lâchers effectués dans un environnement précis
Si l’élevage a demandé plusieurs années de recherches et une autorisation spécifique de lâchers, le choix des exploitations est tout aussi déterminant. Les chambres d’agriculture de l’Ardèche et de la Drôme, partenaires du projet, ont proposé des sites à l’Inrae selon des critères précis : « À proximité des vergers, sur des lieux ombragés, avec des plantes hautes, véritables réservoirs à drosophiles et des essences appréciées comme les ronces, les fraises des bois ou les pruniers sauvages », détaille Hélina Deplaude, conseillère spécialisée en arboriculture à la chambre d’agriculture. « Nous favorisons des zones refuges, à proximité de haies, de forêts ou de vergers abandonnés situés à proximité des parcelles qui ne sont pas ou peu traitées avec des produits phytosanitaires, afin d’augmenter les chances d’acclimatation de l’insecte et sa rencontre avec Drosophila suzukii », ajoute Adrien Le Navenant. Autant de critères parfaitement remplis par l’exploitation de Mathieu Rambaud, installé à Peyrins, au nord de la Drôme, depuis janvier 2023.
Faire chuter durablement la population de Drosophila
À Désaignes, en Ardèche, un premier lâcher de Ganaspis a eu lieu en mai dernier et un second en septembre. La commune de Vesseaux a également été choisie pour en réaliser un en septembre dernier. Il est préférable d’effectuer ces lâchers lorsque la nature est à son apogée, au printemps et à la fin de l’été, afin de maximiser les chances d’implantation du Ganaspis. D’ici 2025, l’Inrae aura ainsi effectué des lâchers sur une cinquantaine de sites de l’Hexagone. Chacun d’entre eux contient entre 150 et 400 Ganaspis élevés dans un seul objectif : pondre dans le premier stade larvaire de la Drosophila suzukii, la consommer et réduire ainsi efficacement sa population. « Le but est que la population globale de Drosophila suzukii chute et qu’il y ait une autorégulation entre les populations de Drosophila et de Ganaspis, ce qui causera moins de dommages aux fruits », énonce Adrien Le Navenant. Également originaire de Chine et du Japon, ce parasitoïde a une spécificité qui intéresse tout particulièrement les scientifiques : être spécialiste de la Drosophila suzukii sans causer de dommages aux autres variétés d’insectes.
Un suivi de population par la collecte
Afin de suivre l’émergence du prédateur, des prélèvements de fruits sont effectués au printemps et à l’automne. Une partie de ces suivis est effectuée par les chambres d’agriculture pour analyser les communautés de drosophiles, ainsi que les populations de Ganapis. « L’objectif est d’identifier les meilleures conditions d’acclimatation du Ganaspis. Lorsque nous collecterons des fruits sur les sites de lâchers au printemps prochain, nous espérons constater son émergence, afin de savoir s’il a survécu à l’hiver et aux prédateurs, et s’il est capable de s’implanter et de se diffuser », espère Lucia Latre, cheffe du service économie et filières à la chambre d’agriculture de l’Ardèche. À l’échelle mondiale, les pays confrontés au fléau de la Drosophila suzukii semblent être à un stade d’expérimentation similaire, avec un décalage d’une ou deux années. Seul hic : les Ganaspis sont très difficiles à élever en laboratoire. Chaque lâcher nécessite au moins une centaine de spécimens pour maximiser les chances de diffusion. Si les résultats sont concluants, des entreprises pourront s’emparer de cette solution afin de la déployer à plus grande échelle.
Marine Martin et Léa Rochon
« Au-dessus de 15 à 20 % de dégâts, on arrête de ramasser »
« La cerise fait aussi partie intégrante du patrimoine ardéchois », rappelle Lucia Latre, cheffe du service économie et filières à la chambre d’agriculture de l’Ardèche. Ainsi, lorsque la mouche Drosophila suzukii est arrivée d’Asie du Sud-Est en 2008, ce sont les 800 hectares de cerisiers et les 400 hectares de myrtilles qui s’en sont trouvés menacés. La mouche, dont le mâle est reconnaissable à ses points noirs sur les ailes, colonise, principalement par ses œufs et larves, les fruits rouges et sucrés, cerises et petits fruits en tête. Elle s’est implantée, année après année, en Europe et aux États-Unis, provoquant d’énormes dégâts du Nord au Sud de l’Ardèche. « De 2008 à 2012, on constatait les dégâts, mais on ne savait pas ce que c’était », se remémore Christel Cesana, arboricultrice et présidente de la FDSEA de l’Ardèche. Avec l’interdiction du diméthoate, sa prolifération est désormais difficile à contenir, au point que les récoltes sont parfois touchées jusqu’à 100 %. Le tri devient alors impossible et non rentable. « Au-dessus de 15 à 20 % de dégâts, on arrête de ramasser, il faut parfois un trieur pour quatre ramasseurs », témoigne l’arboricultrice. « Le fléau est tel qu’à ce jour, elle n’avait pas de prédateur. » Une lutte prophylactique a été engagée, car tous les départements français et plusieurs pays européens sont concernés. Plusieurs pistes sont aujourd’hui étudiées avec plus ou moins de succès. Mais si la micro-guêpe Ganaspis kimorum suscite de grands espoirs, Mathieu Rambaud, arboriculteur dans la Drôme, préfère jouer la carte de la prudence. « Cette solution est intéressante, mais elle va surtout permettre de baisser l’impact économique des attaques sur les cultures qui sont à cheval, comme la fraise ou le raisin, et pour lesquelles les filets n’existent pas encore… Or, en cerises, nous ne pouvons pas nous permettre un seul pourcentage de dégâts. » Après avoir installé ses premiers filets anti-drosophiles l’an passé, l’agriculteur compte davantage sur ces derniers qu’il décrit sans une once d’hésitation comme une solution « magique ».
Marine Martin et Léa Rochon