INTERVIEW
« Nous ne devons plus perdre ni litre de lait ni actif pour le produire »

Éleveur laitier dans les Vosges, Yohann Barbe a été élu à la tête de la FNPL (producteurs de lait, FNSEA), le 9 avril, pour succéder à Thierry Roquefeuil. Le nouveau président nous détaille sa feuille de route, entre renouvellement des générations, juste rémunération et renforcement des organisations de producteurs.

« Nous ne devons plus perdre ni litre de lait ni actif pour le produire »
Yohann Barbe, président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). ©️JMVignauFNPL

Vous venez d’être élu président de la FNPL. Quelles sont les priorités de votre mandat ?

Yohann Barbe : « Ce qui va nous guider lors de cette mandature, c’est la fin de la concentration des exploitations laitières. Nous ne devons plus perdre ni litre de lait ni actif pour le produire. Le point essentiel sera le renouvellement des générations, rendre la filière attractive pour les jeunes et moins jeunes, et mettre sur les rails et garantir la souveraineté alimentaire. »

Que faire pour attirer de nouveaux porteurs de projet dans la filière laitière ?

Y.B : « Nous allons travailler sur un indicateur de prix de revient qui prend en compte les besoins de transmission et d’installation. Lorsque vous vous installez, les charges sont bien plus élevées : il faut une rémunération qui garantisse les coûts de production et le remboursement des prêts sur les quinze prochaines années. En fin de carrière, il faut aussi donner un nouveau souffle. À 55 ans, si la salle de traite est vieillissante, on n’investit pas, puis cela se dégrade et elle n’est plus transmissible. Enfin, dans le calcul des indicateurs, nous voudrions remplacer les deux Smic par le salaire médian français. »

Emmanuel Macron a annoncé des prix planchers pour les produits agricoles, et une proposition de loi écologiste en ce sens a été adoptée en première lecture à l’Assemblée. Quelle est votre position sur le sujet ?

Y.B : « Le terme de prix plancher ne nous convient pas. Nous voulons des prix indicateurs. Ce que nous reprochons aux prix planchers proposés par Marie Pochon (députée écologiste), c’est qu’ils seront le fruit d’une négociation et non pas d’indicateurs. Or, le fruit d’une négociation, c’est toujours dangereux. Il faut appliquer des indicateurs décidés au sein de l’organisation de producteurs ou de la coopérative qui créent indirectement le prix plancher, un seuil en deçà duquel on ne peut pas aller. Ces indicateurs doivent évoluer dans le temps et être reconnus par l’interprofession. Bon nombre d’industriels calculent leurs propres indicateurs (de coûts de production, NDLR). Il faut aussi retirer l’indicateur de prix de vente industriel (PVI) des formules. Les producteurs ne peuvent pas supporter le manque de compétitivité des industriels. »

Au sujet des indicateurs, y a-t-il eu des avancées pour trouver un accord interprofessionnel sur la valorisation beurre poudre ?

Y.B : « La FNPL siffle la fin de la partie. Nous ne pouvons plus attendre. Nous allons demander une rencontre avec l’interprofession et, s’ils ne sont pas d’accord pour publier rapidement un indicateur, nous demanderons à l’institut de l’élevage (Idele] d’en calculer un. Nous voulons également porter le sujet de la valorisation export au niveau interprofessionnel. Aujourd’hui, il n’y a pas d’indicateur sur les produits de grande consommation vendus à l’export. On utilise le prix du lait allemand, italien ou un mix… Les producteurs ne récupèrent pas la vraie valorisation de leur production sur les marchés étrangers. Alors que les fromages français sont au moins aussi bien valorisés dans les supermarchés allemands que dans l’Hexagone. »

Faut-il encore faire évoluer le cadre des relations commerciales ?

Y.B : « Nous voulons la pleine et entière application des lois Égalim. C’est une des solutions pour rémunérer les producteurs de lait bio. Nous serons force de proposition sur une potentielle loi Egalim 4. Il faudrait retravailler l’option 3 en créant une obligation de transparence sur le prix des matières premières agricoles principales (MPA), qui représentent plus de 50 % de la valeur de la MPA. Il faut aussi qu’Égalim s’applique de la même façon dans les coopératives que dans les entreprises privées. Surtout, nous demandons une date butoir pour les négociations entre les organisations de producteurs et les transformateurs. À l’heure où l’on parle de prix en marche avant, des industriels vont négocier avec la grande distribution avant de négocier avec les OP. Nous sommes encore dans l’ancien monde où les producteurs reçoivent ce qu’il reste. »

Les organisations de producteurs peuvent-elles encore monter en puissance ?

Y.B : « Chaque passage chez le médiateur, c’est un consensus mou à la clé. La date butoir obligera les entreprises à trouver des accords, car elles ne pourront pas envoyer leurs conditions générales de vente à la grande distribution. Les OP sont responsables, on ne peut pas leur reprocher de ne pas trouver un accord ! »

Comment financer les organisations de producteurs ? Dans certains cas, l’entreprise met à disposition un salarié ou paye une cotisation, cela peut fonctionner mais quid de l’indépendance ?

Y.B : « La première mission des OP est de massifier l’offre et de négocier le prix du lait. Certaines OP veulent avoir des missions plus larges. C’est très bien, mais à elles de trouver une source de financement. Pour le socle de base, nous devons trouver une voie commune. Je ne dis pas qui paye, mais on doit trouver ce mode de financement. »

Quelle place doit prendre la FNPL au sein de la FNSEA ?

Y.B : « Nous continuerons de travailler avec la FNSEA et les associations spécialisées animales (FNB, FNO…) pour porter la voix de l’élevage au sein de la FNSEA, et vice versa. Nous ne serons pas d’accord sur tous les sujets, mais il faut faire avancer nos idées en les partageant et en les travaillant au sein de la FNSEA. Je garde d’ailleurs ma place de porte-parole de la FNSEA, au titre des AS animales. »

Propos recueillis par Juliette Guérit et Alizée Juanchich