Communes
Entre crèches et Ehpad, l’impossible choix

Isabelle Doucet
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Attirer des jeunes quand bien même la population vieillit est un exercice de politique publique auquel sont confrontés tous les élus locaux. L’association des maires de l’Isère a mis le sujet en débat lors de son congrès à Crolles.

Entre crèches et Ehpad, l’impossible choix
Entourant Daniel Vitte, le président de l'AMI, Julien Damon, sociologue et Jérôme Fourquet, analyste politique observe les évolution démographiques de la France. photo : ID TD

Investir dans des crèches ou dans des Ehpad : les collectivités hésitent à l’aube du « grand vieillissement » de la population.
Lorsqu’elles déclinent leurs aménagements les communes ont à faire face à des équations à plusieurs inconnues, notamment entre le vieux rêve pavillonnaire français, les nouvelles formes familiales et les besoins des aînés.
Cette réflexion a été partagée dans le cadre du congrès de  l’Association des maires de l’Isère (AMI), que préside Daniel Vitte, samedi 12 octobre à Crolles.
Grands témoins, Julien Damon, sociologue, et Jérôme Fourquet, analyste politique, mettent en perspective l’évolution démographique et ses conséquences pour les communes.

Ils portent l’accent sur les mutations des structures familiales. La conséquence majeure du doublement du nombre des familles monoparentales en 30 ans est un besoin accru de logements pour un même nombre d’habitants, observe Jérôme Fourquet.
Moins de mariages, plus de naissances hors mariage, des crises sanitaires et sociales qui viennent réinterroger les trajectoires résidentielles, de nouvelles formes de travail : les lignes bougent et ce n’est pas au profit des villes moyennes.
Cela se traduit par « une périurbanisation et une course à la mer », analyse encore Jérôme Fourquet.

Tous à la mer

Les dynamiques démographiques d’aujourd’hui creusent la diagonale du vide, tandis que les zones frontalières de la Suisse attirent en raison de la pratique de salaires élevés.
Les grandes couronnes périurbaines, de Paris à Bordeaux, de Nantes à Lyon et de Rennes à Toulouse ou Montpelier, voire Grenoble, gagnent en population.
Jérôme Fourquet précise : « 70 % des Français ne télétravaillent pas. En revanche les 30 % qui télétravaillent se sont mis en mouvement. Ils n’ont pas changé de vie. Ils ont juste cherché une pièce en plus. » Faire quelques kilomètres de plus lorsque l’on ne se rend pas tous les jours sur son lieu de travail, « c’est à considérer », poursuit l’analyste.
Et ces mêmes cadres télétravailleurs « sont venus s’empiler là où la croissance démographique est déjà forte », soit toutes les zones touristiques de France, des littoraux atlantique et méditerranéen ainsi que les Alpes.


« Un des moteurs des mouvements de population réside dans la qualité de vie ainsi que l’attractivité résidentielle et touristique que peut représenter un territoire et l’Isère, compte tenu de ses atouts, est plutôt bien placé », indique Jérôme Fourquet à l’intention des élus isérois.
Interrogé sur l’intérêt des jeunes ménages à venir s’installer dans une commune, Julien Damon répond : « Il faut des crèches, des haltes garderies, des assistantes maternelles, mais aussi des logements adaptés. Mais si vous faites trop en ZAN (1), vous bridez les parents ».
Sentant l’inquiétude des élus face à la baisse de natalité, il déclare aussi que l’isolement des personnes explique la faible fécondité.
« Organisez des bals et des événements festifs », a-t-il enjoint aux élus pour faire se rencontrer de futurs parents.

Après la petite enfance

Alors « les enfants ou les aînés ? » questionne un maire. « Si vous voulez être réélu, il faut faire des choses pour les enfants », avance Julien Damon tout en précisant que l’intérêt des familles pour les structures de petite enfance dure environ 10 ans.
En revanche, les aînés sont concernés par ce que leur propose leur commune… pendant 40 ans. « C’est un sujet démographique qui peut devenir démocratique », glisse-t-il.
D’autant que les plus de 65 ans, s’ils « représentent 35 % des inscrits sur les listes électorales, pèsent pour 40 à 45 % des votants », reprend Jérôme Fourquet.


En France, la décrue démographique débuterait à partir de 2040, voire une quinzaine d’années plus tard dans des territoires dynamiques comme l’Isère, ce qui pose la question de l’aménagement des villes et du vieillissement dans de bonnes conditions.
Il convient donc de « repenser la densification, les modes de construction, de déplacement », prévient Julien Damon.

Isabelle Doucet

(1) Zéro artificialisation nette en 2050, selon la loi Climat et résilience de 2021.

Des investissements revus à la baisse
Jean-Pierre Barbier, président du Département de l'Isère, entouré des vices-présidentes et vices-présidents. Phot : ID TD

Des investissements revus à la baisse

L’effort financier annoncé pour les collectivités locales dans le cadre du projet de loi de finances a jeté un grand trouble dans l’assemblée des élus locaux, le 12 octobre à Crolles. David Lisnard, le président de l’AMF et Jean-Pierre Barbier, président du Département de l’Isère, ont été corrosifs.

Emboîtant le pas de David Lisnard, président de l’Association des maires de France (AMF) et invité du congrès de l’AMI — lequel a fustigé la politique de l’Etat qui réclame 5 milliards d’économie aux collectivités territoriales – Jean-Pierre Barbier, le président du Département, s’en est vivement pris « aux énarques de Bercy, à la technostructure qui a échappé au contrôle politique ».

Jean-Pierre Barbier

Le budget du gouvernement Barnier ne passe pas du tout chez les élus locaux. Le président du Département a dénoncé les « sept suppressions d’impôts jamais compensées par tous les gouvernements successifs ».
Il explique que le seul levier fiscal reste les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et que la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) représente un manque de 618 millions d’euros entre 2014 et 2017.
Jean-Pierre Barbier dénonce la piste du gouvernement de non-retour du Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) sur les travaux effectués car « normalement, il n’y a pas de rétroactivité ». En conséquence de cette « rupture de confiance avec l’Etat », le Département organise sa riposte.
« Nous allons arrêter les interventions dans les domaines où nous nous substituons à l’Etat », annonce le président. Le programme d’investissement de la collectivité, qui s’établissait à 400 millions d’euros lors de son dernier budget, a été revu à 280 millions d’euros et « va encore baisser », assure Jean-Pierre Barbier.
Rénovation du CHU, bâtiment du Samu, investissements pour l’Université, projet ferroviaire sont autant de projets sur la sellette. « L’aide aux communes sera une question, ajoute-t-il. Emmanuel Macron risque de faire ruisseler la misère sur les communes. »
Les collectivités — contrairement à l’Etat, précise l’élu — ayant pour obligation de voter des budgets à l’équilibre, le manque à gagner pour le Département sera cette année de 120 millions d’euros.

Gestion de la crise agricole

« Je ne suis pas venu pour rien », a rétorqué le préfet Louis Laugier après la salve d’attaques contre l’Etat perpétrée par les élus.
Il fait valoir le souci de proximité de ses services ; l’engagement humain, notamment des forces de l’ordre ; la lutte contre le trafic de stupéfiants ; l’accompagnement des communes en matière de sécurité civile et l’engagement de l’Etat dans le cadre de France 2030, qui s’élève en Isère à 4,5 milliards d’euros pour 365 projets dont celui de STMicroelectronics à hauteur de 2 milliards d’euros.
Enfin, il a insisté sur la gestion de la crise agricole et les multiples rencontres avec les syndicats, la Chambre d’agriculture de l’Isère et les autres représentants du monde agricole.
« Tout ce qui a été dit a été remonté : les problèmes européens, les questions nationales et locales. »
Il rappelle la mise en place de 15 permanences spécifiques permettant de prendre en compte et d’accompagner 80 cas d’agriculteurs en difficulté.
« Nous continuons avec la FCO en organisant des réunions techniques et en envoyant une information à chaque éleveur », a déclaré le préfet.
Il a conclu son discours en insistant sur « l’importance de travailler ensemble », communes et État. « La qualité de notre coopération est la condition pour mener à bien des projets locaux. »
ID

L’évolution démographique en chiffres

Il y avait en France 3,1 personnes par ménage en 1960 contre 2,2 de nos jours. Il y en aura moins de 2 en 2050. En cause, la décohabitation et le nombre croissant de personnes âgées isolées.
25 % des familles sont monoparentales et les femmes sont à la tête de 80 % de ces familles.
La fécondité est de 1,7 enfant par femme (1,65 en Isère) c’est peu, mais la France est au premier rang des pays occidentaux. La fécondité baisse depuis 15 ans.
Il y a 30 000 centenaires en France aujourd’hui. Ils seront 200 000 en 2070.
Le nombre d’Ehpad est passé de moins de 3 000 dans les années 80 à plus de 7 300 aujourd’hui. Ces secteurs sont en tension au niveau de l’emploi, 71 % des recrutements sont jugés difficiles contre 37 % il y a 5 ans.
(Source : présentations de Julien Damon et Jérôme Fourquet)

Le dessinateur Cambon a croqué l'ensemble des débats. Photo : ID TD