Politique
Le préfet Laugier en visite à Biol

Le préfet de l’Isère a visité l'exploitation des frères Clavel à Biol samedi dernier. Un bon moyen d’aller à la rencontre des exploitants et de toucher du doigt le malaise dans les campagnes.

Le préfet Laugier en visite à Biol

Le ministre l’a demandé, les préfets l’ont fait. Samedi après-midi 17 février, Louis Laugier, préfet de l’Isère, accompagné de Pauline Crépeau, cheffe du service agricole à la direction des Territoires (DDT), s’est rendu dans l’exploitation d’Aurélien et Steven Clavel à Biol. Objectif du représentant de l’Etat : aller sur le terrain prendre le pouls des agriculteurs alors que la colère couve encore et que chaque exploitant attend des réponses concrètes à ses difficultés. 

Structure typique

L’exploitation des frères Clavel n’a pas été choisie au hasard. Secrétaire général de la FDSEA de l’Isère, le jeune homme a l’habitude d’accueillir des visites politiques au sein de sa structure. Sollicité seulement la veille, la rencontre a pu être rapidement mise en œuvre. C’est aussi « une exploitation typique de l’Isère, assez représentative de celles que l’on peut trouver dans tout ce secteur des Terres froides, voire des zones difficiles du département », explique-t-il en accueillant Louis Laugier. Assise sur une production laitière originelle, elle connaît depuis quelques années une diversification en bière, noix, noisettes et miel. Une façon de s’adapter aux évolutions des débouchés, des prix, avec l’objectif de sécuriser les revenus, mais qui crée autant de contraintes supplémentaires, alors que la production laitière nécessite déjà la traite deux fois par jour. 

Une diversification nécessitée par l’arrivée de Steven en 2017 qui pour permettre son installation a dû apporter un atelier supplémentaire. La mise aux normes réalisée 10 ans plus tôt lors de l’entrée d’Aurélien dans le Gaec familial restait encore à payer. « Le projet s’est articulé assez facilement puisque j’ai un BTS production animale et que lui, en a un en production végétale », explique l’aîné. 

Guichet bloquant

L’exploitation produit 26 000 litres de bière en 2023 et ne compte pas faire progresser ce volume pour que le travail artisanal reste authentique et surtout maîtrisable. Cette installation réussie a permis d’évoquer les difficultés rencontrées par les jeunes candidats en ce moment. « Les retards dans les DJA et les versements PAC constituent un vrai handicap, voire un risque extrême pour les nouveaux arrivants », relèvent les différents responsables agricoles présents, Jean-Claude Darlet, président de la chambre d’agriculture et Jérôme Crozat, président de la FDSEA. 

D’autant plus que vient s’ajouter une réforme depuis l’an dernier censée simplifier les déclarations liées à la vie des entreprises. Remplaçant le centre de formalités des entreprises, dont un des acteurs était la chambre d’agriculture, le Guichet unique a beaucoup de mal à se mettre en place. De nombreux dysfonctionnements informatiques existent, ce qui empêche le bon déroulé des opérations. Un exemple présenté au préfet est significatif. Alors que des associés d’un Gaec ont respecté scrupuleusement leurs obligations et les dates de remise de dossier, ils n’ont pu obtenir leur Kbis le 31 décembre, privant leurs successeurs d’en obtenir un pour leur activité. Les uns ne touchent pas leur retraite, tandis que les autres ont une activité sans existence juridique. 

« Ces problèmes d’imbroglio et de non versement font ressortir que les agriculteurs qui ne respectent pas les dates des dossiers reçoivent une pénalité immédiate, souligne Jean-Claude Darlet, tandis que les retards de l’administration ne sont pas sanctionnés ». 

L’esprit ou la lettre

L’application trop rigide des textes a également été abordée devant le préfet. « Il faut une interprétation plus souple des textes, plaident les différents responsables agricoles. Une application trop technocratique aboutit à être contreproductif. » « Un collègue a écopé d’une amende l’an dernier parce qu’il a épandu du fumier 2 jours avant la date réglementaire, rapporte Jacky Gros, éleveur à la retraite, ancien responsable agricole. Alors qu’il l’a fait parce que la météo le permettait et que trois jours après les choses se gâtaient ». Tous autour du préfet pouvaient apporter ce genre de témoignage. Une pluie ou une période de sécheresse peuvent contredire la bonne application d’un amendement ou d’un produit de traitement. Les conditions optimales ne sont pas toujours réunies au moment où la réglementation le prévoit. Il faut une capacité d’adaptation et d’ajustement d’autant plus que si les dates sont rigides, les évolutions liées au changement climatique sont bien réelles et imprévisibles. « En 2021, 3 600 contrôles ont été effectués par l’OFB en matière agricole en France, cite Jean-Claude Darlet. Près de 400 ont été réalisés en Isère : 10% ». Le préfet a pris note. « Moi, je ne veux plus rencontrer l’OFB, déclare Jérôme Crozat. Nous avons eu des rencontres techniques, pédagogiques, d’échanges, leur attitude ne change pas. » Un déficit de formation des agents en matière agricole est souligné. 

Education à revoir

Mais aussi les positions colportées au sein de l’Education nationale y compris dans les établissements agricoles. « Certains enseignants ne jurent que par l’environnement et l’agroécologie. Mais il y a une véritable déconnexion avec les réalités du terrain. Nous ne sommes pas contre l’agronomie et les connaissances environnementales, mais il faut intégrer ces aspects dans une démarche économique », relèvent plusieurs participants. Yannick Neuder, co-président du lycée agricole de La Côte-Saint-André, acquiesce et appuie ce constat. 

Dans cette lignée, les agriculteurs du secteur de Biol ont raconté les démarches de protection exemplaire d’un captage prioritaire local aboutissant à lutter contre la présence de nitrates et de résidus de produits phytosanitaires. Les objectifs ont été atteints au prix d’adaptation importantes des pratiques culturales (valorisation du fumier composté par exemple) tout en ayant soin de garder un équilibre économique, condition sine qua non pour conserver les pratiques dans le long terme. Une interprétation de l’ARS est venue remettre en cause ces avancées. « Il faut arrêter d’imposer des injonctions contradictoires aux exploitations de la part des différentes administrations », plaident les interlocuteurs du préfet. Celui-ci est reparti avec un carnet de notes bien rempli. 

Jean-Marc Emprin

Visite en images