Le gouvernement avec le concours de FranceAgriMer et de Météo France a rendu public un rapport intitulé « Évaluation de la souveraineté agricole et alimentaire de la France ». Notre pays est encore largement souverain en matière agricole et alimentaire mais « avec des fragilités préoccupantes », souligne-t-il en détectant quatre enjeux majeurs à relever.
Qu’on se rassure, la Ferme France se porte plutôt bien. Elle reste la plus grande d’Europe en surface, avec 28,3 millions d’ha (2022) et avec de bons rendements, là encore parmi les plus hauts d’Europe, notamment en grandes cultures. Rien qu’en blé tendre, la France affiche environ 7,5 tonnes/ha contre 5,7 t/ha pour la moyenne européenne*. Ces rendements sont « comparables à ceux de l’Allemagne et largement supérieurs à ceux de la Pologne, de l’Espagne et de la Roumanie ». Notre pays consacre 20 % de sa production agricole en volume à l’export. Sa balance commerciale agroalimentaire reste globalement positive autour de 8 milliards d’euros (Md€) par an. « Nous sommes, en valeur, le premier producteur mondial de vin, le premier producteur européen de viande bovine, troisième en porc, quatrième en volaille, premier exportateur européen de céréales, etc. », rappelle le gouvernement. Elle « exporte deux fois plus de calories (toutes calories et tous usages confondus) que sa population n’en consomme sous forme d’alimentation humaine », souligne le rapport. La France est aussi, majoritairement exportatrice de produits bruts. Voici pour le côté pile de la souveraineté agricole et alimentaire française.
Dépendance aux intrants
Il existe cependant un côté face, un peu plus inquiétant selon les rédacteurs du rapport. En effet, le changement climatique est en train de modifier la cartographie des cultures et commence à impacter, de manière durable, les rendements. Ces derniers restent « globalement stables depuis 2000 », indique le rapport qui précise que « l’on n’observe pas à ce stade de corrélation forte entre l’interdiction de certains produits phytosanitaires et l’évolution des rendements ». Si la balance commerciale agroalimentaire s’est améliorée, en valeur, depuis dix ans vis-à-vis des pays tiers (vins, céréales, produits laitiers), elle s’est dégradée vis-à-vis de l’Union européenne (produits laitiers, viandes, farines, fruits & légumes frais et transformés). Les auteurs du rapport soulignent d’ailleurs que notre balance est « excédentaire sur les produits bruts (céréales, animaux vivants) ainsi que sur les vins et spiritueux », mais reste « globalement déficitaire sur les produits transformés hors produits laitiers », en raison d’un outil industriel défaillant ou absent. Cette dépendance est plus criante encore sur les engrais azotés. « En 2022, la France importait plus de 80 % de ses engrais, dont une large part de pays en dehors de l’Union européenne, créant une double dépendance : aux pays tiers et aux énergies fossiles (qui servent à fabriquer les engrais minéraux) », indique l’étude.
Taux d’approvisionnement
La souveraineté se mesure également à l’aune de l’autosuffisance des filières. Le rapport constate que notre pays est autosuffisant (taux d’auto-approvisionnement supérieur à 95 %) « pour 19 filières qui représentent 76 % de sa consommation totale en volume ». On retrouve ici les filières structurellement excédentaires comme les céréales, les vins et spiritueux, le sucre, et les produits laitiers. Six filières ont un bon taux d’auto-approvisionnement (compris entre 75 % et 95 %) mais qui se dégrade, en raison d’une hausse de la consommation domestique ou d’une production locale en diminution comme les volailles, le blé dur et les pommes de terre. Enfin, six autres souffrent d’une situation de dépendance aux importations (taux d’auto-approvisionnement inférieur à 75 %). C’est le cas des fruits et légumes, des protéagineux et produits associés (tourteaux). Ces filières font d’ailleurs l’objet de plans de souveraineté.
Regagner en souveraineté
Pour le gouvernement, l’avenir de la Ferme France, dans son volet souveraineté, repose sur la résilience des exploitations et des filières. Il insiste sur la nécessité de redonner du revenu disponible aux agriculteurs pour leur permettre de renouveler les générations et d’innover et plaide pour retrouver de la compétitivité, un volet pourtant absent du projet de loi d’orientation agricole, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes !
Aujourd’hui l’enjeu est quadruple note le rapport : Il faut tout d’abord « regagner en souveraineté pour les filières dont le taux d’auto-approvisionnement est le plus bas ». Comment ? Notamment en relocalisant des productions ou en adaptant certaines productions à l’évolution de la consommation mais aussi en modernisant et en développant des outils de transformation sur le territoire national. Il faudra, dans un deuxième temps, « limiter notre dépendance aux intrants amont essentiels à notre production agricole », c’est-à-dire les protéines végétales, l’azote minéral. Ensuite, il importe d’améliorer la résilience de nos exploitations agricoles en renforçant leur solidité économique (meilleur partage de la valeur) et en les adaptant aux changements climatiques à venir. Enfin, dans un dernier temps, il faudra élargir l’enjeu de la souveraineté alimentaire à une notion de souveraineté agricole (et même de souveraineté biomasse), particulièrement par la préservation des facteurs de production et en « régulant mieux les usages de la production agricole non alimentaire », conclut le rapport.
Christophe Soulard
(*) Chiffres 2023 – Grands moulins de Paris.