Lait
La filière laitière en mutation

Morgane Poulet
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Le 19 décembre, la Chambre d’agriculture de l’Isère organisait une journée de restitution sur les difficultés du lait dans le département, à La Côte-Saint-André.

La filière laitière en mutation
Lors de la présentation d'une étude dédiée à l'avenir du lait en Isère, la chambre d'agriculture a indiqué que le cheptel laitier diminuait dans le département.

Dans le cadre de l’Observatoire des filières agricoles de la Chambre d’agriculture de l’Isère, un diagnostic de la filière lait a été réalisé en 2023. Ce dernier essaye de déterminer quel pourrait être l’avenir du secteur laitier dans le département au vu de la situation actuelle. Il a été présenté au cours de la journée lait organisée par la chambre d’agriculture, le 19 décembre à La Côte-Saint-André.
reconnaissant que les projections ne sont pas forcément bonnes, Aurélien Clavel, administrateur à la Chambre d’agriculture de l’Isère et élu en charge de l’étude, soutient qu’il faille « investir dans la filière lait iséroise et aller de l’avant ».
 
Moins de vaches, mais plus de lait
 
Une transformation de la ferme laitière a en effet lieu depuis quelques décennies, en Isère. En 25 ans, le nombre d’exploitations laitières a été divisé par quatre. En 1997, elles étaient environ 1 700 en Isère et en 2022, elles n’étaient plus que 392. « Néanmoins, depuis 2014, moins de fermes disparaissent chaque année, explique Audrey Vigoureux, conseillère à la Chambre d’agriculture de l’Isère. Il faut désormais compter sur la perte d’environ 20 exploitations par an, contre 51 auparavant ».
Les effectifs de vaches laitières ont également diminué dans le département. Il faut compter 28 % d’animaux en moins depuis quinze ans. En 2008, un peu plus de 34 000 laitières étaient présentes sur le territoire isérois, quand plus qu’environ 24 500 l’étaient en 2022. En revanche, le litrage livré en Isère par exploitation a augmenté : en 1997, environ 100 000 litres étaient livrés par exploitation iséroise, et en 2022, la barre des 350 000 litres a été dépassée. La productivité a ainsi été multipliée par trois en vingt ans. Mais cela n’a pas suffi à rattraper la baisse des volumes de lait livrés en Isère. Ils sont passés d’un peu plus de 190 millions en 1997 à 155 millions en 2022.
 
De nouveaux profils
 
Le profil des exploitants change aussi. Selon Octagri(1), 172 exploitations iséroises comprenaient au moins un exploitant de plus de 55 ans au 1er janvier 2023. Parmi elles, 49 se présentent sous la forme d’une entreprise individuelle et 123 sous celle d’une société (dont 32 ont deux exploitants de plus de 55 ans). Ainsi, 44 % des exploitations laitières du département sont concernées par un départ à la retraite dans moins de dix ans. En termes d’agriculteurs, 744 élèvent des vaches laitières en Isère. Parmi eux, 204 ont plus de 55 ans. Ils sont ainsi 27 % à partir à la retraite dans moins de dix ans.
Cela pose notamment problème dans les petites exploitations de moins de 40 vaches âgées de plus de deux ans, qui auront plus de mal que les autres à faire perdurer leur activité si elles ne parviennent pas à transmettre. En 2022, elles étaient 83 en Isère et comprenaient 50 % d’agriculteurs de plus de 55 ans et seulement 25 % ayant moins de 40 ans. Dans les 133 exploitations moyennes du département, c’est-à-dire celles qui ont entre 41 et 70 vaches de plus de deux ans, 36 % des exploitants ont plus de 55 ans et 42 % ont moins de 40 ans. Les 175 grandes exploitations de l’Isère (plus de 70 vaches de plus de deux ans) semblent moins en difficulté, car 47 % de leurs agriculteurs ont plus de 55 ans et 55 % ont moins de 40 ans.
Selon l’Inrae, deux problèmes principaux se posent pour les fermes laitières. Il s’agit du renouvellement des générations ainsi que de « la tension entre un discours sur la nécessaire réduction de consommation des produits animaux et le maintien de l’élevage en zone de montagne », explique Sophie Madelrieux, de l’Inrae.
Pour l’institut, les difficultés de recrutement dans ce domaine doivent faire partie des constats à prendre en main pour améliorer la situation. « Cela pousse les laiteries à accentuer leur recours aux prestataires de services, mais cela limite également la capacité de production, qui est elle-même limitée par le volume de lait disponible et une certaine incertitude face à la quantité de lait disponible dans le territoire », ajoute-t-elle.
 
Territoire riche
 
Le territoire isérois est tout de même riche d’atouts pour le secteur laitier. En termes de géographie, il compte des zones très riches en eau, notamment autour du Rhône et de l’Isère, ainsi que des zones marécageuses, ce qui est intéressant pour la pousse de l’herbe. Le secteur des Terres froides, autour du lac de Paladru, ainsi que le secteur à proximité de Saint-Jean-de-Bournay, sont assez dynamiques, avec de nombreuses exploitations laitières implantées. Mais il faut également compter sur une dynamique positive se développant dans le Sud-Isère grâce à la mise en place de la collecte par La Fermière(2).
Qui plus est, l’Isère est un des départements français comprenant le plus de producteurs fermiers. 120 opérateurs économiques ont également été identifiés par l’Inrae. « Ils interviennent dans toute la procédure de valorisation du lait », précise Sophie Madelrieux. La transformation est à ce compte une activité importante en Isère, avec de nombreux outils en place et des prestataires de services disponibles.
Des interactions fortes entre la filière laitière et les autres filières sont également constatées, notamment envers les grandes cultures. L’élevage représente un débouché important, par exemple au regard du lactoserum et des pertes de fromage, qui peuvent être valorisées par la méthanisation. Cette dernière constitue un débouché économique important pour les 38 exploitations laitières iséroises impliquées dans un projet de méthanisation.
Le département compte également aujourd’hui deux fois plus de producteurs de lait bio qu’en 2014. 60 exploitations sont en effet en bio et produisent 11 millions de litres de lait par an, soit 6,6 % du litrage départemental. Mais depuis 2021, le lait bio est en souffrance. Ses tarifs sont similaires à ceux du lait conventionnel, avec un prix de base proche des 440 euros les 1 000 litres (pour 410 euros les 1 000 litres comme prix de base en conventionnel en 2022). Pour Aurélien Clavel, « nous avons intérêt à nous exprimer d’une voix commune, dans les années à venir. Très peu d’organisations d’éleveurs ont proposé des prix, or, si l’on veut garder une carte iséroise de producteurs laitiers, il faudra investir dans des organisations de producteurs et des coopératives ». Il rappelle que la filière laitière est le premier secteur agricole du département. « Le lait installe plus d’agriculteurs, et ce devant la production maraîchère. A nous de faire en sorte que cela continue et que nous puissions vivre de notre travail. »
138 exploitations iséroises sont aussi placées sous le signe d’une appellation fromagère, soit 35 % des fermes du département : saint-marcellin, bleu du Vercors-Sassenage, saint-félicien (en projet) et Label rouge raclette.
Et pour Thomas Huver, conseiller à la Chambre d’agriculture de l’Isère, la terminologie « Alpes » pourrait être davantage utilisée dans le département. En l’état actuel des choses, « on voit assez peu écrit « Alpes » sur les produits laitiers, mais cela pourrait être une piste de développement. Cela se fait beaucoup dans les départements voisins et en Italie et c’est vendeur car empreint d’images de terroir et de production locale ».
 
Des hypothèses

Si les mutations dans la filière continuent de la même manière que les années précédentes, l’étude propose le chiffre de 250 exploitations laitières iséroises en 2030. Le volume de lait produit pourrait être de 153 millions de litres et, dans la prévision la plus pessimiste, de 117 millions de litres. « Le nouveau profil des installés est plutôt tourné vers de petits cheptels et vers la transformation à la ferme, ce qui, mêlé aux effets négatifs de l’agribashing, ne nous incitent pas forcément à aller vers une hausse des volumes de lait », précise Thomas Huver. Et d’ajouter que de manière générale, il faut parler « d’une installation pour deux départs ».
Néanmoins, « nous remarquons que Lactalis, Sodiaal et Danone pèsent moins qu’auparavant dans la collecte », explique Aurélien Clavel. Aujourd’hui, ces entités représentent 60 % du lait prélevé contre 70 % en 2010, ce qui laisse espérer aux agriculteurs présents lors de la présentation de l’étude « de reprendre la main sur leur production et sur les prix pour faire face aux défis de demain ».

Morgane Poulet

(1) Outil de gestion de la relation-client du réseau des chambres d'agriculture.
(2) Entreprise de transformation laitière.

La production laitière en Auvergne-Rhône-Alpes

Aura : 8 083 exploitations laitières et 2,5 milliards de litres
- 10,5 % de la production de l’Hexagone
France : 54 000 exploitations laitières et 23,8 milliards de litres

Les agriculteurs présents espèrent réussir à reprendre la main sur la transformation laitière ainsi que sur les prix.