Entretien
« La question du revenu est prioritaire en agriculture »
François Gorieu, directeur Départemental des territoires (DDT) est arrivé en Isère il y a un peu plus de six mois. Il revient sur une demi-année agricole riche en actualités agricoles.
Vous avez pris vos fonctions en avril 2024 en Isère. Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis arrivé en Isère le 29 avril 2024. Issu du milieu agricole — mes grands-parents avaient des fermes : une en Normandie et l’autre en Bretagne — j’ai suivi mes études en lycée agricole ainsi que mes classes préparatoires avant d’intégrer l’Enita ou Bordeaux sup agro. J’ai effectué une première partie de ma carrière en tant qu’ingénieur des travaux agricoles à la Draaf (1) de Normandie où j’ai souhaité approfondir mes connaissances en développement rural. Je suis aussi diplômé de l’École nationale du génie rural des eaux et forêts. Je suis ensuite arrivé dans le Sud-Est, en charge du service agriculture à la Direction départementale de l’agriculture de la Drôme, puis en tant que directeur adjoint de la DDT de l’Ardèche et enfin, en tant que directeur des DDT de la Haute-Loire, puis du Vaucluse. C’est un parcours marqué par l’administration territoriale de l’Etat qui témoigne de mon envie d’être proche de ce qui se passe dans la vraie vie. J’ai un véritable attachement pour le monde agricole.
Après plus de six mois à la direction du territoire, quel regard portez-vous sur l’agriculture de notre département ?
Il y a une grande diversité agricole en Isère, à l’image des milieux physiques qui vont de la vallée du Rhône à la haute montagne. Il y a beaucoup de modèles d’exploitation et de productions différentes. De plus, la surface moyenne des fermes est plus faible qu’à l’échelle nationale, ce qui pousse les structures à chercher à récupérer de la valeur ajoutée. Deux filières dominent dans le territoire, la nuciculture et l’élevage laitier. Cependant, il y a peu d’AOP et c’est un vrai sujet au regard du soutien au revenu des agriculteurs. Même si l’AOP ne fait pas tout – la crise de la noix en 2022 en est un exemple –, elle peut protéger les productions et au-delà, structurer une filière. Car une des difficultés de l’agriculture est de s’organiser en filière. Mais on observe que la capacité d’adaptation ou celle à capter de la valeur ajoutée va plus loin dans les territoires contraints. Enfin, l’agriculture iséroise a été fortement touchée par les aléas climatiques conjoncturels, qui tendent à devenir structurels. Ce qui la fragilise car à cela s’ajoutent des aléas sanitaires.
Quels sont les dossiers agricoles prioritaires selon vous ?
La question du revenu est prioritaire. Elle repose sur deux leviers majeurs : jouer sur le chiffre d’affaires ou sur les charges. Il est peut-être intéressant de se poser la question du rendement à l’hectare et de la performance technique qui sont très présents dans les exploitations, alors que l’enjeu est celui de la performance économique. Il s’agit de croiser les produits et les charges. Certaines exploitations dégagent du revenu avec des systèmes a priori modestes. Il peut s’agir de circuits courts ou de vente directe, mais pas seulement, certains ont des compétences en plus de produire. En écho au sujet de la Nuit de l’agriculture (2), la prise de recul est importante dans le monde agricole, car elle permet d’opérer des choix stratégiques. Agir en tant que chef d’entreprise, c’est aussi se former. Enfin, l’exposition aux aléas climatiques et la question de l’assurance multirisques sont à prendre en compte pour sécuriser un revenu. On ne peut pas engager autant d’argent avec autant de risques sans qu’ils ne soient couverts. Un autre sujet majeur est celui de l’eau et de sa gestion de façon sobre. Le lien avec la société est important pour comprendre les enjeux de l’agriculture.
Un autre sujet est celui du foncier. De nombreuses infrastructures sont en projet, notamment en Nord-Isère. Comment éviter que les compensations environnementales empiètent systématiquement sur les terres agricoles ?
La loi ZAN (3) pose des contraintes aux collectivités dans leur extension. Beaucoup d’EPCI (4) savent qu’ils ne peuvent plus consommer de foncier. Et les agriculteurs pourront tirer bénéfice de ces enjeux de territoire écologiques. Il existe aussi des outils de préservation du foncier comme les PAEN (5) portés par le Département. Quant aux grands chantiers, il convient de rendre compatibles tous les usages et les compensations ne vont pas forcément à l’encontre de l’activité agricole. Elles permettent aussi la restauration de certains milieux. Ainsi, la dernière session de la Chambre d’agriculture de l’Isère a vu la présentation du document cadre sur le photovoltaïque au sol et l’identification des parcelles pouvant recevoir des installations. C’est à la fois une opportunité et un risque. En effet, les EPCI travaillent sur les zones d’accélération de la production d’énergie renouvelables (ZAER) et il serait bon que le monde agricole prenne la main sur les enjeux majeurs que cela représente vis-à-vis du foncier. Le photovoltaïque représente une ressource régulière pour les exploitations agricoles tout en donnant l’occasion de mettre aux normes les bâtiments d’élevage ou de valoriser des terres moins intéressantes d’un point de vue agronomique. Mais ce sont des systèmes complexes avec des intérêts divergents à l’image de celui de la biodiversité et de la préservation des milieux.
La crise de la FCO fait encore rage en Isère. Quels sont les moyens mis en œuvre ? Quelle leçon tirer de cette catastrophe ?
Les services de l’Etat ont réagi en quelques jours. Par ailleurs, on observe que tous les éleveurs ne sont pas adhérents du GDS. Or, en période de crise et de difficultés, il ne faut pas rester isolé, mais être inscrit dans des démarches collectives. C’est un acte volontaire. Cela suppose de participer aux réunions collectives, de s’entraider. Il y a des réseaux professionnels et techniques et il faut y consacrer du temps pour son information et sa formation. Récemment, des foyers de FCO3 se sont déclarés dans le département et je conseille de ne pas attendre. Il est nécessaire de vacciner. Un dispositif de diffusion de l’information a été lancé depuis le mois d’août avec une infolettre utilisée par la DDPP. C’est la DDT qui gère les mesures d’accompagnement. La ministre de l’Agriculture a mis en place un plan d’urgence de 75 M€ qui couvre aussi les pertes liées à la FCO8. Mais la FCO8 est une maladie déréglementée et c’est aux filières professionnelles de s’organiser. Le FMSE (5), qui est financé à 65 % par l’Etat est géré par la profession. Cette crise vient interroger la question des charges qui représentent un coût important pour la vaccination. Ces épisodes sanitaires, dont la grippe aviaire, renvoient à la position du chef d’entreprise soumis à des risques importants et aux enjeux de sécurité et de protection contre ces risques. À ce jour, trop peu d’éleveurs ont d’ailleurs demandé la reconnaissance du cas de force majeure.
Que faire pour faciliter l’entretien des fossés et que les agriculteurs ne soient pas exposés à des contrôles abusifs alors que les territoires sont de plus en plus souvent confrontés à des épisodes cévenols ?
Il convient d’abord de mieux communiquer sur la réglementation. Cela fait partie des mesures de simplification qui seront mises en œuvre. Il faudra arriver à une seule définition du cours d’eau. La question du contrôle renvoie au dialogue avec la société. Retenir ou faire passer l’eau, gérer les risques d’inondation, les phénomènes extrêmes : les syndicats de rivière sont déclarés d’intérêt général et il existe des plans d’entretien des cours d’eau. Le sujet doit être abordé de façon posée, car il y a des intérêts contradictoires. L’enjeu est que les eaux pluviales aillent dans des zones de réinfiltration et que la nappe profite à tout le monde.
Propos recueillis par Isabelle Doucet
(1) Draaf : Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt
(2) Organisée par le Conseil de l’agriculture départemental, la Nuit de l’agriculture s’est déroulée le 8 novembre à La Côte-Saint-André et avait pour thème le bien-être en agriculture.
(3) ZAN : Objectif Zéro artificialisation nette en 2050 issu de la loi Climat et résilience
(4) EPCI : Établissement public de coopération intercommunale
(5) FMSE : Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental