Frédéric James et Richard Armanet ont tous les deux été installés en agriculture. Mais la vie les a contraint à changer de cap. Sans regrets, ils montrent que les exploitants aussi peuvent faire évoluer leur vie professionnelle.
Les agriculteurs aussi peuvent se reconvertir. Ce n’est pas courant, c’est vrai. Et c’est certainement très difficile. Mais c’est possible. Ce n’est pas parce qu’ils se sont engagés de tout leur cœur dans ce métier passion que les exploitants agricoles ne peuvent cesser d’exercer cette activité et en choisir une autre.
Frédéric James et Richard Armanet, installés respectivement à Montseveroux et à Saint-Chef, en ont tous deux fait l’expérience. Ils l’ont partagé à l’occasion de l’assemblée générale d’Ecout’Agri le 16 mars dernier, dans les locaux de la MFR de Moirans.
La bonne décision
Frédéric James et son épouse Elodie étaient installés depuis 2017. En Gaec tous les deux, ils avaient une ferme pédagogique bio, au sein de laquelle ils élevaient des brebis et produisaient des petits fruits. La suppression des aides au maintien de l’agriculture biologique, la perte de leur logement, la crise sanitaire qui a fait cesser les visites des écoles, puis des attaques du loup et enfin, le propriétaire des parcelles qu’ils exploitaient qui a souhaité les reprendre pour son fils, furent autant d’éléments qui ont rendu leur conduite d’exploitation difficile. Impossible même. « Un jour, ma femme m’a dit, « on arrête ». Mais on n’arrête pas comme ça, du jour au lendemain, un élevage de 200 brebis… C’est pourtant la décision que nous avons prise. Progressivement », explique ainsi Frédéric James.
Le négociant en bestiaux, Max Josserand, les a aidés à faire partir les bêtes. Frédéric James est allé travailler dans un laboratoire de découpe et en novembre 2021, son épouse a transporté ses serres sur des terres familiales à Brézins.
La décision fut difficile à prendre, ils le reconnaissent. « Le plus dur était de ne plus rien entendre dans la bergerie. Et puis le sentiment d’échec que nous avons eu. Et aussi le fait de ne plus partager notre activité professionnelle alors que notre installation était un projet de couple. Mais je pense que nous avons pris la bonne décision. Au bon moment. Si nous avions continué, nous aurions travaillé pour payer nos dettes, alors qu’aujourd’hui, nous travaillons pour gagner notre vie », raconte l’ancien éleveur, qui maintenant travaille six mois de l’année chez un agriculteur de Brezins et le reste du temps avec sa femme à s’occuper des fraises. Le couple, par ailleurs parents d’enfants en bas âge, considère que leur prise de décision a été facilitée par le fait qu’en tant qu’hors cadres familiaux, ils n’ont pas subi de pression de leur entourage. Ils considèrent aussi avoir été bien entourés et accompagnés. Par leurs proches. Par Ecout’Agri. Par le Crédit agricole.
Plus libre
Installé avec son épouse, Richard Armanet a été chevrier pendant 24 ans. Mais il y a eu un moment où ils ont voulu arrêter. « J’étais arrivé au bout de ce que je pouvais supporter », explique-t-il. Sa femme est devenue Atsem (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles) et lui, a voulu élever des brebis. Mais le changement ne s’est pas passé comme prévu et Richard Armanet a dû travailler à l’extérieur. Il a intégré un service de remplacement du nord-Isère pour lequel il réalise des missions dans des exploitations caprines. « Cette formule me convient tout-à-fait, puisqu’elle me permet d’avoir un complément de revenu non négligeable et de continuer mon activité. Je considère que c’est toujours intéressant d’aller dans d’autres exploitations. Et puis dans le cadre du remplacement, on se sent vraiment utile, car on aide un agriculteur à passer une période difficile. Cela donne du sens à notre action. Dans certaines situations de crise, on est presque considéré comme le « Messie ». C’est très valorisant ».
Au début, après avoir cessé d’être exploitant, Frédéric James avoue avoir eu besoin de devenir salarié. « Mais quand on est animé par l’esprit d’entreprise, cela manque ». Le compromis qu’ils ont trouvé aujourd’hui avec son épouse lui convient. « On voit l’avenir plus sereinement. On se sent plus libre », estime-t-il. Quant à Richard Armanet, il considère que « ce n’est pas toujours évident d'avoir un lien de subordination ». Mais il se sent libre dans le choix de ses missions.
Arrêter suffisamment tôt
Ces deux témoignages ont touché l’assistance, forcé le respect et l’admiration. Avec le recul, ni Frédéric James, ni Richard Armanet, ne regrettent leur choix. Ils sont convaincus que c’était le bon. Pour autant, il fallait oser ce changement. Philippe Allagnat, le président d’Ecout’Agri, a salué leur décision. « Ce qui est intéressant dans vos parcours, c’est que vous avez réussi à arrêter suffisamment tôt. Avant que ce ne soit encore plus compliqué. Car, plus on attend, plus c’est douloureux. Et au lieu d’être choisi, le changement, en l’occurrence, l’arrêt, est subi », a-t-il déclaré. Max Josserand, qui a été aux côtés de Frédéric et Elodie James, souligne qu’« ils ont su préserver leur couple et surmonter les difficultés, ce qui leur permet de voir l’avenir sous de meilleurs auspices ».
Dans les situations difficiles, les bénévoles d’Ecout’Agri sont aux côtés des agriculteurs et leur conseillent de prendre du recul. « Nous leur disons que lorsque ce n’est plus supportable, ils peuvent arrêter. Le plus souvent, il faut du temps pour que l’idée fasse son chemin. Mais ce n’est surtout pas nous qui leur disons d’arrêter. Le choix leur appartient », expliquent Philippe Allagnat et Didier Moreau, le président et le trésorier de l’association d’aide aux agriculteurs en difficulté.
Isabelle Brenguier
La théorie du changement
Thérapeute familiale et directrice de l’IFATC (l’Institut de formation et d’application des thérapies de la communication), Estelle d’Ambrosio a profité de l’assemblée générale d’Ecout’Agri sur le thème du changement, pour donner quelques clés de compréhension sur le sujet.
En indiquant que « l’être humain avait une préférence pour la stabilité et que, spontanément, il avait tendance à résister au changement », elle a expliqué aussi qu’« il avait des difficultés à quitter ce qu’il connaît par peur de l’inconnu, qu’il avait peur de perdre un certain pouvoir, son autorité face aux autres, ses compétences, et peur aussi d’abandonner ce qui était acquis ». Estelle d’Ambrosio est revenue sur certains à-priori que nous pouvons avoir, à être convaincus que « les décisions prises antérieurement ne sont pas modifiables ».
Pour autant, elle a également donné quelques éléments permettant d’aborder le changement. Elle estime en effet qu’« il doit s’opérer dans le respect de chacun, dans celui des responsabilités, de l’autorité, de la légitimité et du pouvoir. La mise en valeur des compétences et des habiletés ne doit pas être oubliée. Le temps et les moyens fournis doivent être adaptés ».
IB
Fort engagement
Depuis plus de 20 ans, Ecout’Agri vient apporter son aide aux exploitants qui rencontrent une période difficile.
L’assemblée générale d’Ecout’Agri le 16 mars à la MFR de Moirans fut l’occasion pour l’association de revenir sur l’accompagnement qu’elle a réalisé en 2022, auprès de 65 exploitations en difficulté. Comme ses responsables l’ont précisé, les difficultés ont porté sur « des problèmes familiaux, des tensions et des conflits, de la gestion administrative ou financière, des problèmes de santé, de maladies ou d’accidents, des sentiments de solitude, d’isolement, des tensions au sein de la société, des problèmes techniques ou juridiques, ou en lien avec une conjoncture économique défavorable ou des aléas climatiques ».
Entourés de nombreux partenaires de services bancaires, sociaux, de l’administration, d’élus locaux, de gestionnaires RSA (Revenu solidarité active), les bénévoles d’Ecout’Agri ont accompagné les personnes en difficulté dans différents domaines et procédures.
Accompagnement
« Après les années 2020 et 2021 marqués par le Covid, l’année 2022 nous a apporté sa particularité avec ce contexte économique très dégradé suite à la guerre en Ukraine, à laquelle s’ajoute une sécheresse historique qui a laissé des traces dans presque toutes les exploitations iséroises », a indiqué le président de l’association, Philippe Allagnat. C’est pourquoi, la structure s’est engagée à poursuivre son investissement en « accompagnant en binômes les personnes qui en font la demande, à pratiquer des temps de relecture collective pour aider les accompagnants qui peuvent eux-mêmes se retrouver en difficulté dans certains suivis, à organiser des formations pour les bénévoles et à poursuivre les contacts avec ses partenaires ». L’association a aussi besoin de se faire encore davantage connaître pour trouver de nouveaux bénévoles.
IB