Syndicalisme
Rendre à la France son appareil productif agricole

Isabelle Doucet
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Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, était en Isère le 1er août à la rencontre des acteurs du monde agricole. Si l’appareil législatif est en panne, les corps intermédiaires sont toujours actifs.

 

Rendre à la France son appareil productif agricole
De d à g : Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l'Isère, Aurélien Clavel, secrétaire général et Amandine Vial, sur Suaci, jeudi 1er août au Pleynet. Photo : ID TD

« Quand plus grand-chose ne tient, il est nécessaire d’avoir des corps intermédiaires puissants. Face aux incertitudes, nous continuons à nous battre afin que ce que nous avons porté prenne corps à travers la décision publique ».
Au cœur de l’été, jeudi 1er août dernier, Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, était au Pleynet, en Belledonne, à la rencontre des agriculteurs isérois.
Il y fut question de politique agricole nationale, avec le coup d’arrêt donné à la loi d’orientation agricole (LOA) suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, mais aussi de problématiques locales telles que l’agriculture de montagne, la prédation ou l’arboriculture.

Un seul contrôle par an

Le président de la FNSEA a rappelé les priorités défendues par le syndicat majoritaire : le revenu, la dignité des agriculteurs et la simplification du métier.
« Nous sommes partis pour une période de chienlit », lance-t-il.
La segmentation de l’Assemblée en trois blocs ajoute désormais de la difficulté au vote de certains textes sur l’agriculture. « Nous avons besoin d’une vision dans un pays qui est en train de perdre son appareil productif agricole », défend-il.
C’est la raison pour laquelle la FNSEA a préparé « un texte de loi avec toutes les mesures à mettre en œuvre » qui sera soumis au futur Gouvernement, qui devrait être connu vers la mi-août.
Ce document traite de la fiscalité des entreprises, de leur compétitivité, du renouvellement de générations, de la valeur - en perspective avec Egalim - et de la simplification réglementaire.
À cela s’ajoutent des mesures qui entreront dans le cadre de la prochaine loi de finances : la fiscalité des installations-transmissions (abattement fiscal pour le cédant, crédit d’impôt pour le repreneur) ; dotation sur les aléas climatiques ou sanitaires ; franchise sur la TFNB (1).


Jérôme Crozat, président de la FDSEA38 et Arnaud Rousseau, président de la FNSEA.

Arnaud Rousseau, indique que le gouvernement actuel gérant les affaires courantes, si l’appareil législatif est en panne, des mesures réglementaires peuvent encore être prises.
La FNSEA demande notamment que les agriculteurs ne subissent plus qu’un seul contrôle par an et non plus les 35 à 40 visites que l’Administration pourrait leur réserver, souvent à n’importe quel moment des travaux agricoles.
« Nous avons le sentiment d’avoir envoyé un message clair et qu’il n’a pas été reçu. Ce qui crée beaucoup de frustrations dans le monde agricole », dénonce encore le président de la FNSEA.
Désengagement des organisations et radicalisation sont le pendant de cette absence de réponse. « On était au boulot, même si la FDSEA et JA ont été vilipendés. Nous avons travaillé au niveau départemental et national, toutes filières confondues », renchérit Jérôme Crozat, le président de la FDSEA de l’Isère. Mais nous avons perdu six mois. »

« Un combat que l’on ne peut pas perdre »

Deux sujets ont particulièrement intéressé les exploitants agricoles venus à la rencontre d’Arnaud Rousseau : l’eau et l’élevage de montagne.
Denis Rebreyend, le président de la Fédération des alpages de l’Isère, a expliqué que la sécheresse posait surtout des problèmes d’abreuvement des troupeaux en alpages.
Depuis 2003, les investissements ont permis d’aménager citernes, réserves collinaires, adductions et remontées d’eau en zones pastorales.
Mais aujourd’hui, ces équipements sont confrontés à des actes de vandalisme.
« Le sujet n’est pas celui d’une gestion de la ressource, mais de gestion des flux », abonde Arnaud Rousseau.
Il cite quelques chiffres : il pleut sur la France 500 Mrd de m3 d’eau par an (1 000 Mrd cette année). Sur cette quantité, 200 Mrd de m3 sont exploitables, mais seulement 32 Mrd de m3 utilisés, dont 3,2 Mrd de m3 pour l’agriculture.
« Il y a de l’eau si l’on accepte de la stocker. Mais c’est un combat culturel, certains considèrent les réserves comme une privatisation. »


Debout, Jérôme Crozat, président de la FDSEA38, présente à Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, les acteurs de la filière viande et élevage de montagne en Isère.

Il préconise un stockage « corrélé à la réalité du terrain » et met en garde contre les initiatives individuelles, considérant « qu’il y a des économies d’échelle à faire ».
Il ajoute : « Le combat pour le stockage de l’eau est un combat que l’on ne peut pas perdre. » Il en appelle à l’efficacité des collectivités locales et à leur capacité d’investissement pour que de tels projets aboutissent.
Depuis le 16 juillet, indique-t-il, un arrêté assouplit les conditions de stockage en zone humide pour les retenues de moins d’un hectare.

« Les paysans crèvent en silence »

Chantre de l’autonomie alimentaire, Arnaud Rousseau dénonce les discordances entre « une agriculture des plus respectueuses de l’environnement au monde » et le comportement des consommateurs à travers leurs « actes d’achat des produits les moins chers ».
Il fustige : « C’est une question de sens du métier et de dignité. L’agriculture est un secteur d’ajustement. Les paysans crèvent en silence et quand il n’en restera que 150 000 en France, nous irons chercher les produits dans le reste du monde. »
Alors en Isère, il ne peut que saluer les efforts développés par ceux qui vont à la recherche de la valeur, en circuits courts, intermédiaires ou longs, sans opposer un système à l’autre.


Lors des échanges entre les représentants professionnels et Arnaud Rousseau.

Amandine Vial, représentante du Suaci (2), a ainsi présenté les travaux du programme Viand’Alpes, de structuration de la filière viande de montagne, toutes espèces confondues.
Ce travail ne peut être mené sans la présence d’outils de proximité, dont les plus importants sont les abattoirs, condition « du maintien de nos élevages dans nos secteurs », insiste l’éleveuse du Trièves.
« Cela demande beaucoup d’énergie pour la mise en place de filières spécifiques et pour maintenir le flux », déclare Denis Rebreyend en prenant exemple de la valorisation de l’agneau d’alpage.
Aurélien Clavel, secrétaire général de la  FDSEA de l'Isère et président du Pôle agroalimentaire, détaille l’action du pôle pour structurer les éleveurs, qu’il s’agisse des Viandes agropastorales ou des Éleveurs de saveurs « pour chercher des débouchés, créer un maillage et mener un travail étroit entre l’outil économique et la marque départementale IsHere ».


Eric Rochas (à g.), président de l'abattoir de Grenoble, et Sylvain Thilly, maire du Haut-Bréda.

« Il y a trois abattoirs en Isère, c’est une force », reprend Eric Rochas, le président de l’abattoir de Grenoble, qui traite 2 500 tonnes, toutes espèces, par an. Entre tendance du marché et contrôles à outrance, l’outil doit son équilibre financier à son développement économique. « Nous devons trouver des solutions pour rester », explique Eric Rochas en rappelant que l’abattoir appartient au Département dont il bénéficie du soutien financier en termes d’investissements, avec la Métro et les autres collectivités.
La partie découpe et bientôt le secteur viande hachée surgelée font partie des 8 millions d’euros investis dans l’abattoir depuis 10 ans.
« Ce sont des outils qui fédèrent », insiste encore son président.
À La Mure, l’abattoir est détenu depuis 24 ans par les éleveurs. Son président, Paul-Dominique Rebreyend, témoigne lui aussi des difficultés pour faire tourner un outil essentiellement dédié à la vente directe.
« Nous découpons 90 % de ce que nous abattons », explique-t-il, soit 400 tonnes par an, alors que l’abattoir faisait 500 tonnes dans les années 2000.
« L’argent de l’abattoir vient seulement de la redevance et d’une subvention du Département. » Le président dénonce la surtransposition des normes, notamment celle relative à l’ICPE (3), l’Europe exigeant une autorisation à partir de 50 t/jour alors que la France l’a abaissée à 5 tonnes. Résultat, l’équipement devrait réaliser un bac de rétention d’eau en cas d’incendie d’un coût de 200 000 euros.
« La collectivité n’est pas capable de payer et nous de l’amortir ». « Un cas concret de surtransposition » a bien noté Arnaud Rousseau en remerciant tous ces responsables isérois « de jouer le jeu de la création de valeur ».
Le président de la FNSEA sera de retour à Grenoble les 25, 26 et 27 mars pour le congrès national qui se déroulera à Alpexpo. Jérôme Crozat veut profiter de cet événement pour « dédiaboliser » les préjugés en ouvrant les portes de l’agriculture au grand public, le temps d’une journée.

Isabelle Doucet

(1) TFNB : taxe sur le foncier non bâti
(2) Suaci : Service d’utilité agricole à compétence interdépartementale réunissant les chambres d’agriculture de l’Isère et des Savoie.
(3) Installation classée pour la protection de l'environnement.


Les agriculteurs isérois à la rencontre d'Arnaud Rousseau, au Pleynet, en Belledonne.

Des fruits au juste prix
Dans la vallée du Grésivaudan, le problème n'est pas tant celui de vendre les productions agricoles que de les produire en raison du grignotage du foncier. Photo : ID TD

Des fruits au juste prix

En visite dans une exploitation au Cheylas, le président de la FNSEA a pris la mesure des difficultés de la production fruitière en France.

Le déplacement du président de la FNSEA en Isère s’est poursuivi dans l’après-midi par la visite de l’exploitation du Verger des Iles au Cheylas.
Le Gaec est composé de trois associés, le couple Patricia et Cyril Brunet-Manquat ainsi qu’Anthony Girault. La SAU d’une centaine d’hectares compte 80 ha de céréales, 16 ha de fruitiers (pêches, nectarines, abricots, pommes, poires) et deux ha de maraîchage. L’exploitation a aussi une activité de travaux agricoles.
L’ensemble de la production fruitière est vendu en direct, à la ferme et dans deux magasins de producteurs dont le Gaec est associé. Seules les poires sont vendues au négoce. Une orientation prise dans les années 2000 « pour inverser la tendance, explique Patricia Burnet-Manquat. On maîtrise nos ventes. »
Dans la vallée du Grésivaudan, où le consommateur est au rendez-vous, le problème pour les exploitants agricoles est davantage de produire que de vendre, en raison de la forte pression foncière.


Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, a rencontré les arboriculteurs au Cheylas.

« Notre chance, c’est la multi-activé » ajoute la productrice en soulignant l’exposition des fruitiers aux aléas climatiques : gel il y a trois ans ou punaise diabolique aujourd’hui. Les exploitants disent ne pas être assurés pour ces productions.
« C’est un choix de chef d’entreprise, relève Arnaud Rousseau. La réalité, c’est que la sinistralité explose partout. »
À la question de relever la moyenne olympique pour un meilleur calcul assurantiel, il signale que « le changement climatique nous percute de plein fouet ».
Une moyenne plus large peut être favorable les premières années et désavantageuse par la suite. Le système assurantiel étant dans un entre-deux, la solidarité nationale jouera encore à 50 % pour les non-assurés victimes d’aléas climatiques cette année, mais le taux est appelé à diminuer dans les années à venir.

Une production en baisse

Administrateur de la FNPF (1), et représentant de la filière au niveau départemental et régional, Jérôme Jury, fait part des difficultés de la valorisation de la production fruitière en filières longues. « La production nationale baisse tous les ans », déclare-t-il en donnant en exemple les pêches qui sont tombées « à 40 % d’autosuffisance ».
Car d’un autre côté, « des distributeurs ne jouent pas le jeu de l’origine France, avec des pêches et des abricots qui viennent d’Espagne depuis le début de la saison. Ils attendent que les stocks en France soient constitués pour faire baisser les prix. Nous sommes agacés par la grande distribution qui impose un prix d’achat. Le prix payé de l’abricot est inférieur aux coûts de production. »
Il appuie : « La France est autosuffisante à seulement 47 % en fruits et légumes, alors que nous avons le meilleur terroir pour une production de qualité. »
« Nous allons continuer à mettre la pression sur la grande distribution », assure Arnaud Rousseau, tout en signalant qu’en France, « l’organisation des producteurs de fruits et légumes n’est pas au top » et que « les fruits ne sont pas dans Egalim ». Il ajoute : « Nous avons du travail à faire dans les productions déficitaires. »
Jérôme Jury réclame : « Nous voudrions plus d’éthique dans nos relations commerciales. »

Isabelle Doucet

(1) FNPF : Fédération nationale des producteurs de fruits