Avec la crise sanitaire, les consommateurs isérois se sont (re)découvert un intérêt pour les produits locaux et les commerces de proximité. Reste à ancrer la tendance dans le long terme.
Consommer local, un acte devenu citoyen

Bonne nouvelle : depuis la mi-mars et le début du confinement, les Français se montrent plus sensibles au « consommer local ». Mieux : certaines enquêtes d'opinion (1) révèlent qu'une frange non négligeable de la population consentirait à une hausse des prix pour consommer du « made in France ». Une aubaine pour le local ? Sans doute. « La crise pose la question des circuits courts, en démontrant l'importance des produits locaux et des commerces de proximité, analyse Bruno Caraguel, le directeur de la Fédération des Alpages de l'Isère qui participe depuis plusieurs années à la structuration d'une filière agneau d'alpage. Le virus nous a juste jeté à la figure notre incapacité à compter sur le local. A nous de le réinvestir. »

Explosion de la demande

Bien pourvue en circuits de proximité, l'Isère a un temps d'avance. C'est d'ailleurs ce qui a permis la grande réactivité des agriculteurs face à l'« explosion » de la demande de produits locaux. Pour ceux qui pratiquaient déjà la vente directe, il n'y aura pas eu de problème particulier, si ce n'est de « mettre les bouchées doubles afin fournir les volumes », selon Sandrine Giloz, de La Bergerie des templiers. « Nous avons presque doublé nos volumes grâce au confinement, confirme Robin Vergonjeanne, de la ferme Bellevue (Le Moutaret). Nous avons nos clients habituels, mais aussi des gens qui, avant, achetaient plutôt leur viande en supermarché. Nous allons sûrement en garder une partie après la crise, notamment des familles qui découvrent un nouveau mode de consommation et dont les besoins sont plus importants que ceux d'un couple de retraités. »

La ferme de Bellevue, au Moutaret a presque doublé ses volumes durant le confinement imposé par la crise Covid. 
Crédit photo : Adabel

Les choses ont été un peu plus compliquées pour les agriculteurs en circuits intermédiaires et bien sûr pour ceux qui travaillent avec la restauration collective. Il a fallu trouver de nouveaux modes de distribution, s'approprier de nouveaux outils, se greffer sur des magasins de producteurs ou des sites de vente en ligne. Des groupements de producteurs, comme Mangez Bio Isère (MBI) ou ReColTer, ont exploré des pistes alternatives. Avec succès. « Pour l'instant, nous avons réussi à équilibrer, observe Denis Chardon, maraîcher à Saint-Prim et président de la SAS ReColter. Ce que nous ne pouvions plus commercialiser avec ReColTer, nous l'avons vendu en direct, en mettant en place un drive fermier qui marche très bien, en assurant les marchés et en fournissant des magasins de producteurs. Globalement, nous allons retomber sur nos pattes. L'enseignement que je tire de tout cela, c'est que 98% des clients sont satisfaits : ils nous disent qu'ils retrouvent le goût du légume. Beaucoup m'ont dit qu'ils allaient changer leur façon de consommer. D'autant qu'ils se sont aperçu que je n'avais pas bougé mes prix malgré la situation. »

Changement d'état d'esprit

Du côté de MBI, on confirme ce changement d'état d'esprit. L'arrêt de la restauration collective a conduit le structure coopérative à trouver des solutions en urgence pour écouler les stocks. C'est ainsi qu'elle a expérimenté les groupements d'achat de consommateurs. D'une dizaine au début du confinement, ils sont passés à une trentaine aujourd'hui, pour un chiffre d'affaires hebdomadaire d'environ 50 000 euros. Cette évolution donne quelques raisons d'espérer au président de la coopérative. « Avec nos groupements d'achats, les particuliers ont découvert qu'en se regroupant, ils pouvaient avoir accès à du bio local, de meilleure qualité et un peu moins cher », relève-t-il.

Privilégier le local

Ancien JA et éleveur à Chevrières, Franck Rousset n'est pas homme à s'en laisser compter : il sait bien qu'il faudra évaluer les comportements dans quelques mois. Mais il est convaincu que la crise a un peu changé la donne. « Le consommateur a pris conscience qu'il pouvait trouver en local les mêmes produits que dans son supermarché, estime-t-il. Peut-être pas dans toute leur diversité, car il y a la question de la saisonnalité, mais la région Rhône-Alpes est tout de même bien pourvue. Je pense que ça va laisser des traces et que peut-être 30% des gens vont garder cette habitude de privilégier le local. »

A Clelles, la laiterie du Mont Aiguille a mis en place une communauté de

C'est ce dont est également persuadée la patronne de la Laiterie du mont Aiguille qui, il y a quelques semaines, a lancé une communauté de « consomm'acteurs » via sa page Facebook. « Quand nous avons repris la laiterie du mont Aiguille, nous avons souhaité lui donner une nouvelle raison d'être : le maintien des agriculteurs de proximité dans cette zone de montagne, explique Florence Morize. Je souhaiterais profiter de ce moment particulier pour partager nos réflexions sur l'avenir des circuits courts, en rapprochant plus que jamais les consommateurs des producteurs du Trièves. Bien manger sera demain un acte citoyen qui n'aura plus rien d'anodin. » 

Marianne Boilève

(1) Sondage Vivavoice pour « Libération » le 31 mars ; sondage Odoxa-Comfluence pour « Les Echos » et Radio Classique le 13 avril, sondage Cetelem des 21 et 22 avril...