Prédation
L’Isère sous la pression du loup

Jean-Paul Celet, préfet référent loup a rencontré les éleveurs Isérois dans le cadre d’une journée dédiée à la prédation, l 2 décembre dernier. Il les assurés de quelques avancées. 

L’Isère sous la pression du loup
Le premier rendez-vous était fixé sous le panneau situé à Pierre-Châtel.

L’Isère a subi 400 attaques de loup en 2020, qui ont fait 1 221 victimes. Ce sinistre résultat place le département parmi ceux qui essuient une des plus fortes pressions lupines en France et surtout, à contre-courant des autres zones où les attaques et le nombre de victimes tendent à se stabiliser (1).
Cette situation particulière et inquiétante de l’Isère, que les éleveurs ne cessent de dénoncer, valait bien la visite, mercredi 2 décembre dernier, du préfet référent national loup, Jean-Paul Celet, et du préfet de l’Isère, Lionel Beffre. La rencontre était organisée en Matheysine, à l’initiative de la FDSEA et de JA de l’Isère. 

Ce que coûte le loup

Le premier rendez-vous était donné sous le panneau positionné sur la RN85, avant Pierre-Châtel.  « C’est une route très fréquentée, explique Cédric Fraux, référent prédation loup JA Isère, mais les habitants ne savent pas ce qu’il se passe quand on parle du loup avec eux et surtout, ils ne savent pas ce que le loup coûte ». En l’occurrence 2,3 millions d’euros juste pour l’Isère.
Des chiffres, certes, mais surtout des femmes et des hommes venus dire la spécificité de leurs secteurs : des attaques au gré des meutes qui se forment et se déforment dans le Vercors, sur des bovins en Oisans, dans les piémonts et sous les noyers dans le Sud-Grésivaudan, en cours de sédentarisation plus au nord en Isère, très nombreuses aux portes de Grenoble.
« Difficultés pour travailler, abandon des alpages, perte de biodiversité, changement d’orientation des exploitations voire élevages hors sol : c’est tout le système d’élevage extensif qui est remis en cause », déclare Edouard Pierre, JA référent national loup présent aux côtés des éleveurs isérois. 

Des attaques sur bovins

En présentant le fragile équilibre de l’agriculture en Matheysine, notamment perturbé par la pression du loup, Fabien Mulyk, vice-président du conseil départemental, pose la question de la levée du plafond de prélèvements. En 2020,  14 loups ont été tués en Isère, dont deux accidentés (2).
Le nombre de louvetiers a été multiplié par deux. Ils sont les auteurs de la moitié des prélèvements. 
Le préfet de l’Isère a exposé la situation caractéristique du département : une concentration dans le sud du département, notamment en Oisans et Matheysine, de nouveaux territoires comme le Royans et la Métropole, une prédation supplémentaire sur les bovins et des attaques à proximité des habitations.
Amandine Vial, éleveuse de bovins à Clelles et élue à la chambre d’agriculture, a indiqué au préfet combien les éleveurs bovins, « qui ne veulent pas être achetés », sont inquiets quant à leur système d’indemnisation qui n’est « pas clair ».

Grenoble, capitale du loup

Après une visite des lieux de prédation aux portes des habitations à Ponsonnas, les échanges se sont poursuivis en mairie.
C’est Jérôme Crozat, président de la FDSEA Isère, qui a introduit le débat en déclarant « Grenoble capitale des Alpes devient aussi la capitale du loup ». Il a rappelé l’objectif demandé par la profession de « Zéro attaque ».
Marie-Laure Mauny, éleveuse d’ovins à Nantes-en-Rattier et référente prédation loup à la FDSEA de l’Isère, a interpelé le préfet en dressant le constat que « le plan loup 2018-2025 a bien marché pour le loup, mais est une catastrophe pour l’élevage ».

En effet, en 2019, le seuil de renouvellement de l’espèce canis lupus a été atteint en France. Sa population est estimée en 2020 à 580 individus.
Elle augmente d’environ 20% chaque année alors que la capacité de prélèvement a été fixée en 2020 à 19%, soit un seuil de destruction porté à 110, quasiment atteint à ce jour. Problème : le loup frappe toujours fortement en Isère, Haute-Savoie et dans le Vaucluse. C’est la raison pour laquelle Jean-Paul Celet a demandé aux Isérois de quels moyens spécifiques ils auraient besoin.

« Il n’y a plus rien à part le loup » 

Car il y a urgence en Isère où, à la question des carnages systématiques, s’ajoute celle de la multiplication des effets indirects.
La prolifération des patous pose des problèmes de sécurité et d’accès à la montagne. « Ce qui pourrit la vie des éleveurs, c’est la relation entre les chiens et les autres usagers du territoire », explique Claude Font, référent prédation FNO. Plainte, rappel à la loi, relation avec les maires, avec la population, pancartes arrachées sont le lot des éleveurs déjà harassés par la prédation.
Jean-Marc Laneyrie, le maire de Ponsonnas souligne que c’est tout le tourisme qui est touché par la menace que représentent ces chiens dans les territoires ruraux.
Jean-Claude Darlet, le président de la chambre d’agriculture, dénonce une incompatibilité entre l’alpagisme et la présence du loup.  « Il n’y a plus rien à part le loup ».
La perte de biodiversité est criante : « en Oisans, il n’y a plus de mouflons, il n’y a plus de moutons ». Abandon des éleveurs, abandon des territoires, disparition du gibier, destruction de l’économie de montagne, présence du loup aux abords des villes, il brosse un scénario inquiétant de cette évolution. 

Caractériser les pertes indirectes

L’argument de la perte de biodiversité a fait mouche chez les préfets, qui demandent à ce qu’elle soit caractérisée. Des analyses du bol alimentaire de chaque loup prélevé devraient permettre de mesurer son impact sur la faune sauvage.
Les pertes indirectes en termes d’infertilité, d’avortement ou de défaut d’engraissement des animaux soumis au stress sont plus difficilement mesurables. « Mais cette question doit être reposée au ministère de l’Ecologie », a assuré Jean-Paul Celet.
Enfin, il semble, d’après la Draaf, que dans l’Arc Alpin, rien n’indique que le nombre des élevages soit en baisse. 

Cependant, en Isère figurent quatre élevages sur les 50 les plus prédatés en France et 20 et sur 200 les plus touchés. « Ils savent se protéger et subissent encore des attaques, indique le préfet référent. Ce qui réclame un accompagnement ou une expertise supplémentaire. »

Louvetiers sous-équipés 

La sénatrice et conseillère départementale Frédérique Puissat a rappelé les quatre points réclamés par les éleveurs isérois : l’élargissement à l’échelle de la commune des tirs de défense renforcés (et non de l’exploitation), l’allongement du délai de déclaration de 72h, la simplification de la procédure de déclaration et un meilleur équipement des louvetiers.
Le premier point est acquis, a rassuré le préfet Celet.
Pour les délais, le protocole est en cours de redéfinition, mais reste la nécessité de disposer « d’éléments probants » pour imputer la responsabilité au loup, l’appréciation en revenant au préfet.
Enfin, Jean-Paul Celet a assuré que les louvetiers peuvent disposer de caméras thermiques et d’appareils de visée nocturne, la seule condition étant leur financement. Il en coûte environ 10 000 euros pour équiper correctement un tandem de louvetiers, a expliqué leur président Philippe Caterino. Il déplore la perte de temps passé à récupérer le rare matériel de piètre qualité, mais aussi à attendre l’ONCFS pour un déplacement de cadavre de loup qu’ils ne sont pas autorisés à effectuer.
Le préfet référent a assuré les louvetiers qu’il existe des aides de l’Etat et des collectivités pour financer leurs équipements.
Par ailleurs, si la simplification des déclarations passe par leur réalisation par les éleveurs, Sylvie Hauser, référente loup à la FNSEA, émet les plus grandes réserves. « Il y a toujours une raison pour que l’ASP ne paye pas ».
Enfin, les éleveurs regrettent la méconnaissance de leur travail de la part du grand public. Aussi, une des pistes à approfondir est celle de la communication autour de l’activité pastorale et Jean-Paul Celet assure qu’il existe des moyens dédiés. 

Isabelle Doucet 

(1) Il y a eu en 2019 en Isère 330 attaques pour 1 171 victimes. En 2019 comme en 2020, la Matheysine et l’Oisans totalisent plus de la moitié de l’ensemble des victimes. Au niveau national, le nombre de victimes était de 9 084 au 30 septembre dernier.
(2) Source : Dreal Aura 01/12/20

Jean-Paul Celet, préfet référent loup et Lionel Beffre, préfet de l'Isère, ont rencontré les éleveurs et responsables agricoles à Ponsonnas.
Attaques / Au plus près des habitations
A Lavaldens, Cédrix Fraux a subi dix attaques en alpage au cours de l'été dernier.

Attaques / Au plus près des habitations

A Ponsonnas comme àLavaldens ou à Claix, le loup ne connaît aucune limite pour s’en prendre aux troupeaux.

C’est dans un champ, en contrebas d’une des maisons du village de Ponsonnas, que le carnage a eu lieu. C’était en décembre 2019.
« Il y avait des cadavres partout », décrit Jean-Marc Laneyrie, le maire du village.
Le troupeau d’ovins appartient à Marie-Laure Mauny, éleveuse à Nantes-en-Rattier. « J’ai subi quatre attaques en 2019 qui ont fait 110 victimes ». L’éleveuses a aussi subi des pertes en 2020. La colère le dispute à la détresse et au dégoût.

Souffrance animale et humaine

Les attaques à proximité des habitations, comme à Ponsonnas, se multiplient.
Le témoignage de Benjamin Mistri, à Claix, fait froid dans le dos. Il a subi deux attaques, au mois de mars et début octobre.
« J’avais 16 brebis pleines, il n’en restait que trois debout. Le loup passe dans les maisons, il s’en est même pris aux vaches. Je ne sais pas comment gérer ça. »
Il décrit les 150 mètres de clôtures arrachées, les animaux qu’il faut calmer, les chiens que les riverains ne supportent pas.
« Ma compagne voulait s’installer, mais elle fait machine arrière. Sur 90 mères début 2020, il ne m’en reste que 53 », compte-t-il.
L’éleveur dispose d’un appareil pour capter les images nocturnes du loup, où l’on voit l’animal se balader en toute impunité.
Impossible dans ces conditions de mettre les bêtes dans les coteaux, comme il s’en était engagé auprès de la Métro.
Le jeune éleveur parle du stress des animaux, de la souffrance animale, des agnelles éventrées et des fœtus qui pendent de leurs entrailles, de celles qu’il faut achever d’un coup de couteau, quand le vétérinaire n’est pas là. « Il y a des gens qui passent à la ferme », se désole-t-il d’un spectacle aussi effrayant.
Car l’élevage, ce n’est pas ça. La situation crie l’impuissance et l’incompréhension, jusqu’aux louvetiers pour lesquels il est délicat d’intervenir en milieu périurbain. 

« Loup tué brebis papa »

Enfin, à Lavaldens, Cédric Fraux déplore 10 attaques dans la saison et la perte de 62 brebis sur 1 000. Les moyens de protection sont au maximum avec cinq chiens de protection et l’emploi de deux bergers, bien au-delà des recommandations.
« Je perds 20% de mon troupeau tous les ans. Ce n’est pas rien ».
Il raconte une vie professionnelle et familiale bouleversée, la crainte tout au long de l’été du coup de fil qui annonce un nouveau carnage et les premiers mots prononcés par sa fillette : « loup tué brebis papa ».
Alors les éleveurs espèrent avoir été entendus par les autorités suite à cette visite de terrain au plus près des réalités de l’élevage isérois soumis à la pression permanente du loup.

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