Irrigation
Les irrigants isérois réclament plus d'eau pour plus d'agriculture
L’ADI 38 a tenu son assemblée générale le 8 février à Brézins. Les responsables ont montré leur volonté de favoriser le développement des projets d’irrigation, indispensables à la poursuite de l’activité agricole.
« Sans irrigation, il n’y aura plus d’agriculture, et donc plus d’alimentation ». Tel est le message qui a été délivré, repris, martelé, par les participants à l’assemblée générale de l’Association départementale des irrigants de l'Isère (ADI 38), tenue jeudi 8 février à Brézins dans une salle comble.
Le propos était incontestablement offensif. « Notre objectif est de vous apporter la quantité d’eau dont vous avez besoin pour vos projets de développement de l’irrigation, et non de restriction », a ainsi annoncé Jean-Claude Darlet, le président de l’Organisme unique de gestion collective (OUGC 38) (1), estimant même « avoir commis des erreurs au cours des cinq années d’existence de l’organisme, en affectant moins d’eau à certains qui en avaient besoin, alors que l’état de la ressource l’aurait permis ».
En réaffirmant le caractère fondamental de la souveraineté alimentaire et la nécessité d’utiliser la ressource du mieux possible, le responsable a aussi indiqué « ne pas vouloir contraindre les irrigants plus que nécessaire ». Mais cette problématique de l’eau, présentée comme un « patrimoine commun », il veut qu’elle soit partagée avec les concitoyens. « Je veux qu’on revienne à du bon sens et que la population accepte ce bon sens ».
Capacité de production
En 2023, les irrigants ont utilisé 40 millions de m3 d’eau (2). Pour Jean-François Charpentier, le président de l’ADI, « c’est bien. Mais c’est mal. Certains ont fait évoluer leurs systèmes de cultures, ont fait d’autres choix dans la conduite de leur exploitation, qui sont allés à l’encontre de l’économie de leur ferme. Je ne peux m’en réjouir. Je veux qu’on envisage un développement de l’irrigation, et notamment dans les bassins versants qui jusqu’à présent n’avaient pas de besoin. Je veux que nous puissions continuer à travailler. Je ne veux plus que nous nous battions pour obtenir des dérogations. Je veux que le monde agricole ait des perspectives. Nous avons des devoirs, mais nous voulons aussi des droits », a-t-il assuré.
Cheffe du service environnement à la DDT de l'Isère, Clémentine Bligny, est d’accord avec cette nécessité de se projeter dans l’avenir et sur l’évolution du climat. « Il y a des territoires qui n’ont jusqu’à présent, pas eu besoin de mettre en œuvre des projets, mais qui vont devoir le faire, notamment dans les zones d’élevage de montagne », a-t-elle indiqué.
François-Claude Cholat, de la maison François Cholat, indique la nécessité d’être aux côtés des agriculteurs. « Nous devons leur donner les moyens de réussir, faire preuve d’innovation. Nous devons identifier les cultures les plus intéressantes à implanter, imaginer des semences capables de résister à la chaleur et qui aient du rendement…. L’enjeu est de nourrir nos concitoyens mais aussi de continuer à exporter. Cela aussi, c’est le rôle de la France. Et pour cela, les exploitants doivent retrouver une capacité de production qui leur garantisse un revenu. Ce n’est pas un gros mot qu’un agriculteur gagne sa vie ».
Christophe Revil, en tant que vice-président du Département de l’Isère délégué à la gestion de l’eau, partage ce point de vue. « Il faut que les exploitations les plus exposées puissent continuer à produire et que leurs revenus soient sécurisés », a-t-il affirmé.
Transparence
Les irrigants isérois, par la voix des présidents de l’ADI et de l’OUGC, ont rappelé à quel point ils avaient réalisé des efforts en termes de gestion de l’eau et à quel point ils étaient transparents dans leurs usages depuis plus de 20 ans. « Nous sommes en capacité de préciser au m3 près notre consommation d’eau », a ainsi explicité Jean-François Charpentier.
Cette transparence a été saluée.
Le président de l’ADI estime que, grâce à elle, les agriculteurs ont pu éviter l’an dernier certaines restrictions, et que grâce à l’apport d’éléments à l’Office français de la biodiversité (OFB), des contrôles ont été évités.
Clémentine Bligny l’assure également : « Dans le cadre de la gestion de la ressource dans un département, la présence d’un OUGC, l’existence d’une gestion volumétrique, compte. En Isère, nous avons une connaissance ancienne, grâce à des études, des compétences locales, des schémas d'aménagement et de gestion des eaux… C’est un atout car c’est bien à l’échelle des territoires que la question de l’eau est pertinente », estime-t-elle.
C’est donc pour continuer d’avoir des données que l’ADI 38 porte un projet de mise en place d’un nouveau réseau composé d’une quinzaine de piézomètres pour mesurer en temps réel le niveau des ressources. Cela leur permettra d’apporter des données supplémentaires au moment des prises de décisions.
« Car même si nous avons déjà des mesures, elles ne sont pas assez prises en compte. Nous en voulons donc des nouvelles incontestables », explique Jean-François Charpentier.
Afin de garantir le caractère « incontestable » de ces données, l’ancien président des irrigants, Franck Doucet propose que leur recueil soit opéré sous le contrôle d’huissiers de justice.
Equité de traitement
Pour autant, les irrigants attendent que la même transparence soit demandée à tous les usagers de l’eau. « Nous en sommes loin et c’est un vrai problème. Il est indispensable que nous fassions tous l’objet des mêmes exigences et des mêmes contraintes. Nous voulons une équité de traitement », assurent-ils d’une même voix.
L’absence de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) a été vivement déplorée. De nombreux participants attendaient une explication précise concernant les contrôles opérés dans le domaine de l’industrie. Yannick Neuder, député de l’Isère, s’en est ému. « La transparence des chiffres fait partie des éléments qui permettront de restaurer la confiance entre les agriculteurs et les services de l’Etat », a-t-il lancé.
(1) La Chambre d’Agriculture de l’Isère, présidée par Jean-Claude Darlet, a été désignée par le préfet pour la mission de répartition des volumes d’eau à usage agricole pour l’irrigation des cultures sous le nom d’Organisme unique de gestion collective.
(2) contre 60 millions de m3 les années sèches
Isabelle Brenguier
Jean-François Charpentier, président de l'ADI 38, présente la volonté de la structure de créer un réseau de 15 piézomètres.
Expliquer l'irrigation
Pour mieux faire comprendre au grand public les enjeux de l'irrigation et combattre les idées reçues, les irrigants veulent accentuer leur communication.
La disponibilité de la ressource en eau en France et en Isère, a été évoquée à plusieurs reprises. Mais comme l’ont indiqué Jean-François Charpentier et Eric Fretillere, le président des Irrigants de France, l’agriculture est souvent montrée du doigt, parce que contrairement à celle des autres utilisateurs, sa consommation est visible.
« Nous avons un travail majeur à accomplir en termes de communication vis-à-vis du grand public. Grâce aux manifestations de ces derniers jours, les médias ont complètement basculé leur discours, et le grand public aussi. Nous devons en profiter. Nous devons expliquer que l’eau que nous puisons et dont nous nous servons pour irriguer nos cultures ne s’évapore pas, notamment parce qu’elle est trop froide et parce qu’elle est distribuée sous la forme de grosses gouttes », a ainsi lancé Eric Fretillere.
Confiance
Car il y en a des messages à faire passer, des idées reçus à combattre, les responsables qui suivent ces dossiers à longueur d’années en sont convaincus. « Grâce aux évolutions de matériel, grâce à l’accompagnement prodigué, l’agriculture a déjà diminué sa consommation d’eau de plus de 25 %. Mais cela ne se sait pas. Il faut que l’on dise ce que l’on fait et pourquoi on le fait », avance Jean-Claude Darlet. Jean-François Charpentier aussi est bien décidé à investir ce terrain-là.
« Il faut que nous mettions en œuvre la communication la plus claire possible, que nous mettions à disposition des communes des éléments précis expliquant l’irrigation afin qu’elles servent de relais avec nos concitoyens ». Les élus invités se sont montrés empressés à l’idée de jouer les intermédiaires. Mais Christophe Revil, vice-président du Département délégué à la gestion de l’eau, a modéré cette nécessité. « Je vous invite à vous présenter comme des professionnels et à simplement demander à la population de vous faire confiance. Elle doit le comprendre ».
IB
Le soutien des collectivités
Le Département de l’Isère et la région Auvergne-Rhône-Alpes se présentent tous deux en soutien des besoins des irrigants. Sur le plan financier, Christophe Revil, vice-président Département de l’Isère délégué à la gestion de l’eau, rappelle « qu’entre 2015 et 2023, douze millions d’euros ont été attribués à 168 projets et que le nouveau programme Feader laisse entrevoir de nouvelles opportunités pour lesquelles la collectivité a prévu un budget de 700 000 euros ». Elle est aussi engagée au travers de l’étude sur la ressource qu’elle a lancée l’année dernière pour récolter des données fiables et qui vise à rassembler autour de la table tous les acteurs impliqués.
S’agissant de l’aide apportée par la Région, Yannick Neuder a indiqué qu’entre 2014 et 2022, elle s’est établie à hauteur de 55 millions d’euros.
IB
« Remontée spectaculaire »
Selon Clémentine Bligny, cheffe du service environnement à la DDT de l'Isère, au sujet de l’état de la ressource en eau en Isère en ce mois de février 2024, « nous ne sommes clairement pas dans la même situation que l’an dernier. Nous sommes même plutôt dans une situation satisfaisante. Après une année 2022 très sèche, 2023 qui n’avait pas bien démarrée, nous avons assisté à une remontée spectaculaire depuis l’automne ».
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