Transmission
Rencurel et ses fermes

Morgane Poulet
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Avec le lancement du mois de la transmission, la Chambre d’agriculture de l’Isère a organisé une rencontre à la Ferme des Dahus, à Rencurel, le 6 novembre.

Rencurel et ses fermes
Jean-Baptiste Camerlynck et Fanny Bichebois, au centre, ont repris l'exploitation d'Henri Chabert, à gauche, en début d'année.

Alors que le mois de la transmission aura lieu du 14 novembre au 14 décembre, la Chambre d’agriculture de l’Isère a souhaité ouvrir le bal dès le 6 novembre par une rencontre avec de nouveaux installés.  Car pour réduire au maximum le fossé entre le nombre d’agriculteurs partant à la retraite et celui de nouveaux installés, la structure consulaire mise sur le soutien apporté aux cédants et aux porteurs de projet pour que les transmissions se déroulent au mieux.
A Rencurel, dans le Vercors, la parole a ainsi été donnée à ceux qui ont vécu cette passation.
 
Reprise à l’identique
 
La transmission de l’exploitation de Henri Chabert s’est bien déroulée. Installé en 1988 sur trois hectares, au moment de céder sa ferme il y a trois ans, il réalise une étude de transmission auprès de la chambre d’agriculture. « J’avais déjà des candidats avant même de la terminer », précise-t-il. Il choisit finalement de confier la reprise à Jean-Baptiste Camerlynck et à Fanny Bichebois, une enfant du pays. Ils ont repris les rênes de la Ferme des Dahus en janvier 2023.
« Nous avions visité une dizaine de fermes et nous avions été freinés par la capacité de production, par le capital à engager… Chez Henri, les choses se présentaient bien », explique le couple. D’autant plus qu’il y a seulement six propriétaires auxquels les terres sont louées, un petit chiffre comparé à la moyenne nationale de 14 propriétaires.
Jean-Baptiste Camerlynck et Fanny Bichebois ont ainsi repris les 50 hectares de l’exploitation et ses 28 laitières. Et même si la reprise s’est faite à l’identique, quelques innovations sont à venir. « Nous avons gardé le bâtiment en l’état, précisent-ils, et nous faisons des travaux pour créer un bâtiment de transformation. » Leur objectif est en effet de transformer 20 000 litres de lait sur les 150 000 litres produits actuellement. Le reste continuera d’être envoyé à Vercors lait.
En agriculture biologique, comme leur prédécesseur, et situés sur le territoire de l’AOP bleu du Vercors-Sassenage et de l’IGP saint-marcellin, ils souhaitent s’essayer à la production de mozzarella et de raclette avec vente à la ferme et sur les marchés.
 
Des enjeux importants
 
Autre cas de transmission à Rencurel, celui de Lucie Chauvet, il y a presque dix ans. Son cédant, Renaud Callet, s’était installé en 1989 et est passé par le Répertoire départ installation (RDI) pour trouver son successeur.
« Je ne voulais pas transmettre mon exploitation à un élevage bovin, car il y a trop de broussailles sur mon terrain, les chèvres sont plus adaptées », explique-t-il. Mais c’est une autre condition qui l’a séduit : « Je voulais vivement trouver un jeune repreneur qui puisse vivre là avec sa famille afin de maintenir l’école de Rencurel ouverte pour que la commune reste en vie. Lorsque j’ai vu Lucie arriver enceinte, je me suis dit que c’était elle. »
Après un stage 21 heures et un plan de professionnalisation personnalisé (PPP), elle s’est finalement installée en 2014, d’abord seule puis en Gaec avec son ex-compagnon. Son cheptel de 24 chèvres lui permet de faire ses fromages, qu’elle transforme elle-même et vend ensuite sur les marchés.
Mais la reprise d’une exploitation existante n’était pas qu’une formalité administrative pour elle. « Nous reprenons ce qu’un agriculteur a mis toute sa vie à construire, c’est important, donc j’ai fait en sorte que Renaud garde son matériel et son logement et aujourd’hui, nous nous entraidons. Il vient aider de temps en temps et je lui coupe du bois, par exemple. Pour mon fils, il est comme un grand-père, c’est plus que transmettre une exploitation. »

Morgane Poulet
Installation

Un manque d’installations

Il y a aujourd’hui trop peu de repreneurs pour succéder aux agriculteurs partant à la retraite, en particulier en bovins lait.

Même si l’année 2022 a été marquée par un nombre record d’installations en Isère - 116 installations ont été aidées par le biais de la Dotation jeune agriculteur, contre une cinquantaine habituellement – il y a encore trop peu de repreneurs pour les fermes françaises, en particulier en bovins lait.
 
Un écart qui se creuse
 
160 exploitations en bovins lait ont aujourd’hui disparu sur les 600 que comptait le département en 2010. Il s’agit de la filière la plus touchée par le recul du nombre de repreneurs. En cause, le capital, souvent très important pour pouvoir s’installer. « Entre 200 000 et 225 000 euros sont en moyenne investis pour s’installer en bovins lait, et nous avons déjà rencontré une personne étant allée jusqu’à 600 000 euros », explique Audrey Pangolin, conseillère à la Chambre d’agriculture de l’Isère.
La raison foncière est également très forte, car en France, 65 % des terres agricoles n’appartiennent pas aux agriculteurs. Il faut en général compter 14 propriétaires auxquels les exploitants doivent louer leurs terres. « Mais en Isère, on s’approche plutôt de la vingtaine de propriétaires », ajoute Aymeric Bosnéagu, conseiller à la chambre d’agriculture.
Mais il faut aussi réussir à trouver des collaborateurs - associés comme salariés - étant sur la même longueur d’ondes que l'exploitant. « En moyenne, il y a 2,4 équivalents temps plein (ETP) en bovins lait », constate Audrey Pangolin.
 
Se grouper
 
Pour faire fi des difficultés à s’installer dans cette filière, des solutions existent pourtant. « En élevage, nous sensibilisons de plus en plus sur l’installation à plusieurs », explique Aymeric Bosnéagu. Cette dernière permet en effet de réduire les coûts, mais aussi de pouvoir se relayer et d’avoir du temps pour faire d’autres choses.
« Avant de se lancer, il peut être très intéressant de travailler au service de remplacement ou à Agri emploi, ajoute Alexandre Escoffier, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Isère. Le salariat est une très bonne école qui permet de voir de nombreuses activités différentes, mais aussi de voir ce que l’on ne veut pas faire dans son exploitation. C’est très formateur ».

MP

La transmission en chiffres

« Dans une dizaine d’années, un agriculteur sur deux sera à la retraite, explique Alexandre Escoffier, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, et même les écoles agricoles ne réussiront pas à tous les remplacer ». Pourtant, 2 000 contacts de repreneurs sont faits auprès de la chambre d’agriculture pour 200 contacts de cédants chaque année.
Et d’ajouter : « Le profil des repreneurs a changé, désormais, il y a moins de porteurs de projet issus du cadre familial et de plus en plus de reconversions professionnelles ». Les pratiques vertueuses sont également de plus en plus souvent mises en place par les repreneurs.
En Isère, il y avait 7 200 agriculteurs en 2010 contre 5 900 en 2020. « En moyenne, nous comptons une installation pour deux départs », remarque Audrey Pangolin, conseillère transmission à la Chambre d’agriculture de l’Isère.

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