Vulgarisation scientifique
« Nous sommes capables de trouver des solutions »
L’agroclimatologue Serge Zaka délivre un discours à la fois scientifique et accessible afin que le grand public prenne la mesure du défi de l’adaptation au changement climatique en agriculture.
Serge Zaka ne passe pas inaperçu. Avec son look de cow-boy, ce docteur en agroclimatologie et ingénieur agronome s’est fait le chantre de la vulgarisation de l’impact du changement climatique sur l’agriculture.
C’était le thème de la conférence qu’il a animée le 7 novembre dernier à Grenoble, sur l’invitation de Grenoble Alpes métropole, en présence d’un public venu nombreux.
« Les solutions les plus importantes sont les plus longues et les plus coûteuses. »
Les pieds bien ancrés dans la terre, le scientifique déploie force énergie et démonstration pour lutter contre les idées préconçues et les solutions toutes faites en agriculture, replaçant dans son contexte un changement climatique rapide et le temps long de l’adaptation.
Il énumère ces années atypiques du point de vue du climat qui donnent désormais le ton de ce qu’il adviendra d’ici 2050.
En 2021, un printemps pluvieux, suivi d’une grande douceur puis du gel en avril, a provoqué deux milliards de dégâts sur les cultures.
Le gel d'avril 2021
2022, qui a été « la deuxième année la plus chaude et la plus sèche depuis 1959, sera une année normale en 2050 », explique Serge Zaka.
Entre 2023 et 2024, c’est l’humidité qui prédomine, entravant les semis et les récoltes. Il souligne l’accentuation des phénomènes de sécheresse et des périodes de pluie, mais également la multiplication des canicules qui sont quatre fois plus nombreuses depuis 2000.
« Les épisodes extrêmes sont en augmentation et donc les pertes de rendement augmentent aussi. »
Le rôle de l’animal
L’agroclimatologue décrit l’évolution des limites géographiques des différents climats, à l’instar du climat méditerranéen qui remonte vers Lyon.
« Toutes les dates de floraison et de saisonnalité vont évoluer », explique le spécialiste.
Dates des vendanges, de sortie des animaux, des semis sont de plus en plus précoces avec le risque que le gel de printemps ne détruise les bourgeons que la douceur hivernale avaient fait apparaître.
« Les aires de répartition des cultures vont évoluer, ainsi que les paysages. »
Serge Zaka prend l’exemple de la vigne, « une culture positive au changement climatique », dont les cépages s’adaptent en remontant.
Pour autant, la prudence est de mise.
Planter ne suffit pas. Encore faut-il construire toute une filière autour de ces nouvelles cultures comme les cacahuètes, les pistaches ou les pois chiches… et cela prend, une bonne trentaine d’années pour parvenir du champ aux habitudes de consommation.
Le rôle primordial de l'élevage.
Parlant de consommation, celle de la viande, pointée du doigt par certains, est un cas d’école.
« Manger moins mais manger mieux » : car si la production est responsable d’émissions de gaz à effet de serre, elle est aussi « importante pour l’économie des territoires et pour la protection des zones fragiles : bocages, alpages, zones humides ».
Serge Zaka insiste : « l’animal a un rôle dans le paysage et l’agriculture. Et il est le seul moyen de fertilisation non chimique ».
Atténuer les extrêmes
Passant en revue tous les domaines d’adaptation, il met en avant la nécessité de « ralentir, infiltrer et stocker l’eau d’écoulement des surfaces », dont la course s’est accélérée dans les paysages remembrés.
Il préconise « la modulation du paysage comme solution au changement climatique », l’objectif étant « d’atténuer les extrêmes ».
Dans son discours vulgarisateur, le scientifique effleure cependant les changements que cela entraîne en termes de conduite d’exploitation, même s’il évoque le développement des couverts végétaux hivernaux comme leviers de fertilisation et de maîtrise du climat à l’échelle de la parcelle.
Il termine son propos avec un focus sur la forêt dont la surface a doublé en France depuis 1908, « mais qui est deux fois plus en mauvaise santé » car « elle stocke deux fois moins de C02 ».
La forêt ou la « mortalité silencieuse ».
Il parle de « mortalité silencieuse » ; « la régénération étant moins rapide que le changement climatique ».
Quant aux solutions, qu’il s’agisse de migration assistée ou de diversité génétique, leur mise en place réclame des décennies.
« Nous sommes capables, dans le monde agricole et scientifique, de trouver des solutions pour faire face au changement climatique, mais jusqu’à un certain niveau et à condition de se donner les moyens d’anticiper », martèle le scientifique en guise de conclusion.
Isabelle Doucet