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« Cette façon de régler la question de la qualité de l’air est pénalisante »

Isabelle Doucet
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Vincent Chriqui, vice-président du Conseil départemental en charge de la transition écologique, alors que la collectivité a demandé le report général de l’application de la ZFE de trois ans.

 « Cette façon de régler la question de la qualité de l’air est pénalisante »
Vincent Chriqui, vice-président du Conseil départemental en charge de la transition écologique. Photo : Département de l'Isère

Les véhicules Critair’5 seront interdits dans 13 communes de l’agglomération à partir de juillet 2023. Le Département a demandé le report général de l’application de la  Zone à faibles émissions (ZFE) à trois ans. Pour quelle raison ?
Après analyse, nous observons qu’il y a une très longue liste de cas qui justifient une dérogation à la mise en place de cette mesure, notamment en raison de leur activité professionnelle particulière. Et si on entre dans le détail, on s’aperçoit que cela touche davantage les personnes qui travaillent dans la métropole mais qui n’ont pas les moyens d’y habiter. Il y a donc des raisons sociales à demander ce report. L’autre raison est que pour mettre en place une ZFE, il manque encore beaucoup de choses en termes de transports en commun, d’organisation de covoiturage, de bornes électriques. Il convient donc d’abord de lister les besoins pour que cette ZFE fonctionne, puis de la mettre en œuvre.

N’aurait-on pas pu y songer avant ?
C’est l’éternel problème : l’absence de mesures structurelles pour répondre aux problèmes est suivie de mesures punitives et non justifiées. S’il n’a pas été pris de mesures pour faire fonctionner la ZFE, en revanche d’autres, concernant la qualité de l’air ont été mises en œuvre. Il s’agit notamment des normes imposées aux véhicules pour réduire les émissions de particules atmosphériques. Si bien que depuis 10 ans cette qualité de l’air s’est améliorée pour passer en dessous des normes (1). L’urgence est donc relative et permet un temps d’adaptation.

La métropole lance une concertation et a demandé au Département d’émettre un avis. Est-ce une position politique ?
Oui, dans le bon sens du terme. Il s’agit de concilier des exigences politiques importantes dont dépendent l’emploi et l’insertion. Or, cette façon de régler la question de la qualité de l’air est pénalisante car les mesures mises en place touchent les personnes les plus en difficulté. Si les personnes ne peuvent plus se déplacer aujourd’hui et que l’offre de transports en commun est pensée pour demain, alors on va au-devant de difficultés. Il y a des façons plus constructives d’instaurer le changement, avec des mesures plus incitatives, et en tous les cas qui ne posent pas de problèmes de ségrégation. C’est le cas des normes plus strictes imposées aux véhicules qui permettent une adaptation plus souple au fur et à mesure que les gens changent de voiture. Avec un coût écologique moindre que de mettre des véhicules à la casse.

Pourquoi cette réflexion intervient aujourd’hui ?
On arrive à un moment où les adaptations vont s’imposer et cela arrive en même temps que les augmentations de carburant alors que les gens n’ont pas de solution. Les ménages les moins favorisés ne pourront plus avoir accès au centre-ville, ce qui est extrêmement violent. Toutes les communes se posent des questions car le problème n’est pas simple. C’est pour cela que nous demandons le report intégral de la mise en œuvre de Critair’.

Quelle est la prochaine étape ?
Le dossier est aux mains de la métropole. Si les mesures sont mises en place, le Département réfléchira à la façon d’accompagner les publics les plus fragiles dont il a la charge. Mais c’est à la métropole de décider comment faire pour accompagner les ménages dans cette transition. Le problème, c’est que ce sont les habitants de la périphérie qui sont les plus concernés.

N’y a-t-il pas une contradiction à être en charge de la transition écologique et de demander le report d’une mesure contre la pollution de l’air ?
Je suis favorable à une transition écologique qui est juste, réfléchie et qui tient compte des réalités économiques et sociales. Les élus d’opposition de gauche, nous reprochent en permanence de ne pas être assez solidaires et sont d’accord avec une mesure profondément antisociale et de surcroît un dispositif zéro contrainte pour les ménages les plus aisés. On va au-devant de difficultés considérables pour les ménages peu favorisés dans leurs déplacements quotidiens. Je parle de ces personnes qui font des ménages dans le centre de Grenoble, qui travaillent de nuit, ne peuvent pas prendre de transports en commun et qui, si elles veulent continuer à travailler devront mettre 20 000 euros sur la table. Pour elle, il y a zéro solution.

Propos recueillis par Isabelle Doucet

(1) Plus aucun dépassement des seuils réglementaires européens de PM10 à Grenoble depuis 2014. Pas de dépassement en NO2 en 2020-2021.