Syndicalisme
Penser une Europe agricole

Morgane Poulet
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Au cours de son congrès annuel, tenu à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs le 22 mars, la FDSEA de l’Isère est revenue sur la place/la gestion de l’agriculture dans l’Union européenne.

Penser une Europe agricole
La table ronde a réuni différents acteurs agricoles pour évoquer les besoins de l'agriculture dans l'Europe.

Alors qu’il a beaucoup été question de l’Europe pendant les mobilisations agricoles du mois de janvier et que les élections européennes commencent le 9 juin, la FDSEA de l’Isère a souhaité organiser une table-ronde sur le thème de « L’Europe autrement » pendant son congrès du 22 mars à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs.
 
Une création ambitieuse
 
« Trois institutions gouvernent l’Union européenne (UE), rappelle Jérémy Decerle, député européen Renaissance. Le Conseil européen, où se retrouvent les États membres, la Commission européenne, organe exécutif qui produit les textes et les lois beaucoup remises en cause en ce moment, et le Parlement européen, qui a la responsabilité de légiférer et d’amender les textes proposés par la Commission ».
Tout est ainsi décidé collectivement, entre les 27 pays membres et les 700 députés élus au Parlement européen. « Il y règne une culture du compromis et sans elle, nous ne pourrions rien faire, car il faut écouter les attentes et les besoins des autres pays », ajoute-t-il. C’est en cela que l’Europe a « apporté la paix », pour Christophe Chambon, secrétaire général adjoint de la FNSEA. « Avec l’Europe, il y a eu cette volonté de dire que pour que l’ensemble de la population européenne puisse se nourrir, il fallait créer la PAC, donc baisser les prix des denrées agricoles et compenser cette perte pour les agriculteurs avec les aides de la PAC, explique-t-il. Elle fournit une stabilité des marchés ».
Pour Aurélien Clavel, vice-président de la FDSEA de l’Isère, « l’Europe est un marché pour lequel, nous, producteurs, répondons. Presque toutes les filières y interviennent, et l’Europe pèse plus que si chaque pays membre allait négocier seul de son côté ».
Et en ce qui concerne le budget européen alloué à l’agriculture, Jérémy Decerle précise que la France est la première bénéficiaire et le deuxième pays contributeur. 9,5 milliards d’euros sont ainsi dédiés à ce champ d’action, constitué à 33 % par la PAC. « Mais chaque année, la France verse plus à l’Europe qu’elle ne reçoit en retour, explique-t-il, et toutes les politiques dédiées à la PAC ont été écrites, pensées, réfléchies et débattues avant la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ».
 
Des règles éprouvées
 
Pour autant, pour Michel Joux, président de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes, certaines règles et perceptions doivent être revues : « L’Europe est sans doute le seul continent qui dit que pour préserver l’environnement, il faut faire attention au reste. Sauf que l’agriculture n’est pas contre l’environnement et vice-versa ! » D’autant plus que l’on « exporte la pollution ailleurs pour se nourrir et nous perdons en plus l’économie qui y est liée ».
« L’agriculture est le premier budget européen, donc on peut en déduire que l’Union européenne ne se moque pas de son agriculture, constate Jérémy Decerle. Néanmoins, les décisions prises se montrent parfois contradictoires ». Et de préciser que selon lui, l’agriculture française respecte des standards de production les plus élevés au monde et se doit ainsi d’être protégée. « Et pour en demander plus aux autres pays, c’est-à-dire pour qu’ils fassent des efforts en matière de façons de produire, il faut mettre des moyens en place. »
Une Europe plus politique et « moins administrative » constituerait pour les élus de la table-ronde une forme de perspective pour l’avenir de l’agriculture européenne, avec « un Parlement qui donne les grandes lignes et qui ne s’occupe pas des plus petites, que les États membres gèreraient ».
« L’Europe devrait protéger son agriculture, l’orienter et l’accompagner, surtout que lorsque l’on interpelle les États au sujet de règlementations, ils se cachent derrière l’Europe alors que ce sont eux qui les font », rappelle Aurélien Clavel. Et de préciser qu’étant donné la diminution du nombre d’agriculteurs, il est légitime de se demander si les politiques mises en place sont suffisantes et satisfaisantes. Le statut du loup et de la prédation interroge, notamment, de même que les accords de libre-échange. « Être contre ne veut pas dire que l’on est contre le commerce international, mais plutôt que l’on désire qu’il respecte des règles. Or, aujourd’hui, à chaque nouvel accord de libre-échange, on biaise les règles, notamment celles qui concernent les frais de douane », relève-t-il. Et même au sein de l’Union européenne, de rudes concurrences existent. Dans le secteur fruitier, en particulier : l’Espagne et l’Italie sont les principales rivales intra-UE.
 
L’agriculture au centre
 
« Cela fait des années que l’on dit que l’on souhaite une harmonisation européenne et les BCAE1 constituent en cela un bon exemple », explique Christophe Chambon. Les zones humides concernent par exemple 3 % des cartes aux Pays-Bas, quand elles concernent 30 % des zones en France. « Nous ne sommes pas harmonisés en Europe, donc comment rassurer nos agriculteurs ? »
Les BCAE ont ainsi pour Jérémy Decerle « des effets inopérants pour l’environnement et l’agronomie » et doivent être revues. Or, en remettant en cause ces mesures et autres dispositifs, il craint que le « caractère commun de la PAC » explose. L’idée serait alors plutôt de fortement simplifier les règles et de se doter de « mesures agroenvironnementales plus intelligentes et au même niveau pour tous les pays européens, car on ne peut pas demander aux autres de respecter nos normes si elles sont différentes dans tous les pays ».
Mais les problèmes sont difficilement réglables lorsque l’Europe n’en a pas conscience. « En 2015-2016, les producteurs laitiers étaient dans la rue car le prix du lait était bien trop bas, ils ne pouvaient pas vivre de leur métier. Mais l’Europe ne pensait pas que le lait était en crise car les entreprises laitières ne fermaient pas et tournaient », rappelle Aurélien Clavel. D’où l’importance, pour lui, de réussir avant tout à s’accorder sur ce qu’est une crise et à accepter de prendre en compte les aléas des productions, liés à la rémunération et au climat.
Pour Christophe Chambon, il serait intéressant de « maintenir le budget agricole européen, mais que l’ensemble des agriculteurs soient payés au prix réel que coûtent leurs produits et que les aides reviennent à la population pour qu’elle puisse s’acheter à manger ». Les clauses miroirs devraient aussi être appliquées. « Il ne faut pas que nous soyons la variable d’ajustement des négociations entre les différentes importations. Nous devons être reconnus pour ce que nous faisons et sommes », a-t-il conclu.

Morgane Poulet

1 Bonnes conditions agricoles environnementales.

Explications de la DDT

Pauline Crépeau, cheffe du service agriculture et développement rural à la DDT de l’Isère, explique qu’il n’est « pas possible de demander des aides à la conversion bio en même temps que celles pour les MAEC systèmes, qui concernent par exemple la réduction du carbone dans les exploitations ». En revanche, il est possible de cumuler des aides à la conversion bio avec les MAEC API et PRM.
Concernant les MAEC localisées, seules quelques surfaces de l’exploitation ou des éléments linéaires, comme les haies, peuvent être engagées et cumulées avec des aides à la conversion bio si cela ne porte pas sur les mêmes éléments.
Il existe également une dérogation pour l’entretien des haies. Les DDT peuvent prolonger le délai au-delà de la date initialement fixée (le 15 mars) et celle de l’Isère a choisi de prolonger cela d’un mois pour tout le département.

MP

Ils ont dit…

Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l’Isère
« Lors des mobilisations de janvier 2024, notre objectif était de nous faire entendre et de garder l’opinion publique de notre côté. Cela a fonctionné et la FNSEA a retenu une soixantaine de mesures à travailler avec le gouvernement. »
 
Jean-Claude Darlet, président de la Chambre d’agriculture de l’Isère
« Il faut une économie porteuse et qui donne des perspectives. Sans solution, pas de changement. Nous ne faisons pas exprès d’utiliser des produits, c’est que nous n’avons pas le choix. En ce qui concerne l’énergie, l’augmentation des coûts est liée à une désorganisation nationale et il faut maîtriser l’agrivoltaïsme et le photovoltaïque. »
 
Louis Laugier, préfet de l’Isère
« Je suis agréablement surpris de la qualité des permanences agricoles mises en place. Nous répondons à un véritable besoin dans le département. Nous sommes sur une moyenne de 9 à 12 personnes qui viennent à chaque fois. »
 
Jean-François Charpentier, président de l’Association des irrigants de l’Isère
« On s’aperçoit qu’il y a un rétro pédalage aujourd’hui, une pression écologiste qui remonte de tous les côtés. Nous sommes 1 800 agriculteurs irrigants en Isère. Nous n’allons que vers de petites mesures, nous n’avons pas de solution de stockage, notamment en zone humide. (…) Nous demandons un volume d’eau pour 2024 sans ressource, une transparence de tous les usagers de l’eau car nous le sommes depuis une vingtaine d’années et au mètre cube près. »
 
André Coppard, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Isère
« Avec les prix actuels des matières premières, comment allons-nous faire l’année prochaine ? La situation est déjà difficile cette année, mais avec des prix en-dessous des seuils de rentabilité, que répondre aux agriculteurs qui s’interrogent quant à leur avenir ? »
 
Yannick Neuder, député de l’Isère
« Un plan a été voté à l’unanimité pour les agriculteurs. La Région Auvergne-Rhône-Alpes se dote de plus de 20 millions d’euros pour eux, ce qui fait monter l’enveloppe dédiée à l’agriculture régionale à plus de 120 millions d’euros. »
 
 
Cyrille Madinier, vice-président du Département en charge de l’agriculture
« 82 % des communes françaises sont rurales et l’Isère compte 97 collèges. 54 % des produits fournis aux repas sont locaux ou bio et l’objectif pour 2028 est que ce chiffre monte à 100 %. »

MP