Réactions
Maintenir le cap

Morgane Poulet
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Déçus par les annonces gouvernementales du 26 janvier, les agriculteurs isérois restent mobilisés au niveau du pont de Catane.

Maintenir le cap
Le 29 janvier, Jean-Claude Darlet, président de la Chambre d'agriculture de l'Isère, s'est rendu au barrage de Grenoble.

« Nous sommes toujours là car rien n’a été annoncé », se désole Alexandre Dollé, éleveur bovin à Saint-Martin-de-Cluse. Alors que Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, a annoncé quelques mesures lors de son élocution du 26 janvier, les syndicats agricoles estiment qu’elles sont loin d’être suffisantes. « Poudre aux yeux » ou encore « absence totale de réponse sur nombre de revendications », les agriculteurs isérois veulent des actions concrètes.
 
Entre déception et effarement
 
« A chaud, je me suis dit que nous avions fait tout ce bazar pour finalement pas grand-chose, se désole Damien Ogier-Denis, membre de Jeunes agriculteurs de Chartreuse et éleveur laitier à Miribel-les-Échelles. Les annonces de vendredi n’ont pas été à la hauteur de notre colère et de nos attentes. Elles vont globalement dans le bon sens mais ce ne sont que de petites mesures. » Pour lui, le gouvernement s’est attaché à travailler la forme : « Mais pour nous, paysans, le plus important, c’est le fond ».
En ce qui concerne le GNR, même s’il en a été question dans les allocutions, « ce n’est pas suffisant ». Constat partagé par Alexandre Dollé, qui malgré l’annonce de la suppression de la hausse de la taxe du gazole, affirme qu’il ne s’y retrouvera pas. « Il s’agit seulement d’un retour à la situation de décembre 2023, c’est impossible et inacceptable. »
Pour les demandes concernant l’administration, « il faudrait réformer toute l’administration française, et c’est pareil pour la PAC. Cela ne se verrait que dans plusieurs mois voire années, donc nous ne sommes pas près d’en voit le bout », ajoute Damien Ogier-Denis. Même s’il avoue être conscient qu’il ne soit pas possible pour le gouvernement de répondre à toutes les demandes en une semaine, « les annonces n’étaient clairement pas à la hauteur de nos revendications », précise-t-il.
D’autant plus que rien n’a été dit au sujet des installations et des transmissions. « Les banques ne veulent plus suivre. Quand nous leur montrons nos bilans comptables, elles refusent de prêter aux jeunes qui veulent s’installer », se désole Alexandre Dollé.
Même constat pour la gestion de l’eau, une des revendications phares des syndicats agricoles. « Nous ne voulons plus être le seul pays d’Europe à ne pas avoir le droit de stocker de l’eau », affirme-t-il. « Je consomme en moyenne annuelle 5 000 litres d’eau pour l’abreuvement du troupeau et nous sommes en train d’étudier comment stocker l’eau, car nous n’en utilisons pas tout le temps la même quantité. » Si des projets sont en cours d’étude dans le Trièves, les dossiers n’avancent pas et sont souvent bloqués par des pétitions menées par des groupes opposés au stockage. « Nous aimerions que les projets avancent et qu’ils soient favorisés », ajoute l’éleveur.
 
Concurrence déloyale
 
« Rien n’a été dit sur le Mercosur, sur la concurrence déloyale concernant les produits étrangers, sur l’évolution des normes environnementales qui nous font fermer boutique car nous n’arrivons pas à les assumer, se révolte-t-il. Nous ne sommes pas bêtes, nous savons que les produits phytosanitaires ne sont bons pour personne, mais il y en a dont nous ne pouvons pas nous passer car sans eux, nous ne pouvons pas produire, que ce soit à cause de maladies, de champignons ou parce que nous sommes envahis de plantes persistantes. Nous voulons bien essayer de nous en passer, surtout ceux qui n’en utilisent pas beaucoup, comme moi, mais nous n’avons aujourd’hui pas d’autre solution ».
Concernant le Mercosur, il juge les accords européens « inacceptables car on préfère importer des produits d’ailleurs au détriment de nos propres agriculteurs alors qu’on ne sait même pas comment tout cela est produit ».
Jean-Claude Darlet, président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, présent au pont de Catane lundi après-midi, rappelle que les élections européennes auront lieu en juin. « D’ici là, il est important de continuer de faire pression : il y a trop de normes européennes sur l’agriculture et la France ne nous soutient pas assez. Il faut continuer jusqu’à ce que nous ayons des réponses concrètes, l’État a un véritable rôle à jouer. » Et d’ajouter qu’en ce qui concerne l’importance de l’élevage pour l’entretien des paysages, « l’équilibre doit se faire sur tous les territoires ».
 
« Rester forts »
 
« Nous allons maintenir les blocages de manière illimitée jusqu’à épuisement des manifestants, explique Damien Ogier-Denis, car si nous lâchons, il n’y aura rien d’autre. Il va falloir rester forts ». Désormais dans l’attente d’annonces dans la journée du mardi 30 janvier, les agriculteurs réfléchissent aux solutions qui se profilent à eux. « Nous lâchons le barrage, nous ne pourrons jamais reproduire la même chose », constatent certains.
« Le week-end, nos familles peuvent nous aider plus facilement que la semaine en prenant le relais à la ferme, explique Damien Ogier-Denis. Déjà qu’en temps normal, il n’y a pas beaucoup de monde dans les exploitations, c’est d’autant plus difficile à gérer aujourd’hui avec les mobilisations… »
« La nuit, nous avons besoin de nous chauffer, mais nous n’utilisons que de vieilles branches et autres planches en bois inutiles au bon fonctionnement des exploitations », ajoute Alexandre Dollé. Concernant les pneus et les sirènes, le choix a été fait de ne plus les faire brûler pour les premiers et de ne plus les utiliser pour les deuxièmes « afin de respecter les habitants, d’autant plus qu’ils nous apportent leur soutien et de quoi manger tous les jours », précise-t-il.
Quoi qu’il advienne par la suite, les manifestants se sont tous mis d’accord sur un point, résumé par David Gallifet, vice-président de la FDSEA de l’Isère : « Ce ne sont pas les syndicats qui décideront de la marche à suivre, mais bien tous les exploitants réunis qui choisiront, ensemble, si les barrages isérois doivent être levés ou pas ».

Morgane Poulet