Politique
Une installation au beau fixe

Isabelle Doucet
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La dernière session de la Chambre d’agriculture de l’Isère a fait la part belle à la dynamique de l’installation dans le département.

 

Une installation au beau fixe
Installer oui, mais gare aux effets de conjoncture en agriculture biologique et circuits courts, alerte Jérôme Jury.

La dernière session de la Chambre d’agriculture de l'Isère, qui s’est déroulée le 20 juin à Moirans, a été placée sous le signe de l’installation.
Si 2022 a été une année record pour le service accompagnement, 2023 s’inscrit dans la même trajectoire.
186 installations l’an passé, dont 116 avec DJA, la dynamique se traduit par des constantes – 19 % des installations en bovin lait – ainsi que des évolutions, principalement en maraîchage qui concerne 20 % des projets.
Cédric Fraux, coprésident des JA Isère, rappelle que la nouvelle DJA est entrée en vigueur depuis le 1er janvier.
« La Région en délivre 1 000 par an. Le système est simplifié, avec trois zones : montagne, zone défavorisée et plaine. » Il précise aussi que le Département et la Chambre d’agriculture de l’Isère siègent à la commission d’étude des projets.

Le département le plus dynamique

« Les porteurs de projets ont été multipliés par deux en 2022 », insiste Alexandre Escoffier, vice-président de la chambre et référent installation.
Les contacts au Point d’accueil installation (PAI) ont aussi doublé, passant de 1 000 à 2 000 en un an !
Mais l’élu souligne plusieurs difficultés : d’un côté, 56 % des chefs d’exploitation ont plus de 50 ans et seulement la moitié des départs sont aujourd’hui remplacés, de l’autre 70 % des porteurs de projet sont hors cadre familial « et l’enjeu est de faire coïncider l’offre et la demande ».
La Chambre d’agriculture de l’Isère a livré toutes ses forces dans cette course contre la déprise agricole, allouant un budget de 1,2 million d’euros dans l’accompagnement des cédants comme des futurs installés. Dans la région, elle est le département le plus dynamique en termes d’installation.
Cheffe de service, Céline Faillie a insisté sur le Répertoire départ installation (RDI) comme « dispositif phare d’entrée, qui s’articule avec les autres dispositifs ».
£Du Point accueil installation au Point accueil transmission (PAT), les conseillers de la chambre accompagnent les futurs agriculteurs et les cédants tout au long de leur projet professionnel.
Et même très en amont puisque depuis 2022, un atelier Starter permet aux éventuels candidats de s’interroger sur « la pertinence de s’orienter vers les métiers de l’agriculture », explique Véronique Rochedy, conseillère.
Audrey Pangolin, également conseillère à la Chambre d’agriculture de l’Isère, met quant à elle l’accent sur l’anticipation pour les futurs cédants et fait valoir la double compétence du service installation-transmission pour accompagner et mettre en relation ceux qui partent et ceux qui veulent s’installer.
« C’est aussi de plus en plus de communication », reprend Alexandre Escoffier. La valorisation des métiers de l’agriculture passe en effet par des manifestations tels que le Forum annuel de la transmission, une page Facebook dédiée ou encore des vidéos.

Jusqu’à 56 000 euros

Myriam Perrin, responsable régionale DJA pour le secteur est (deux Savoie, Ain et Isère) a présenté la nouvelle DJA désormais passée sous la compétence de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Les projets sont étudiés dans le cadre d’un Comité d’étude de projets dans les départements.
Quelques critères d’éligibilité évoluent, mais les projets aquacoles et équins sont toujours exclus.
Le critère de première installation s’assouplit et s’en tient à l’absence d’une précédente aide type DJA.
Le nouveau règlement supprime l’obligation de moyens au profit d’une obligation de résultat : avoir un plan d’entreprise sur 4 ans et respecter des critères de revenus ; analyser la durabilité de son projet ; être gérant etc.
La DJA moyenne en Région est de 40 000 euros. Elle s’échelonne de 16 000 euros (zone de plaine) à 56 000 euros avec les différentes modulations (démarche de progrès, formation, investissements).

Des études de marché adaptées

Dans les échanges avec l’assemblée, Jérôme Jury, arboriculteurs à Saint-Prim et référent filière fruit à la chambre, a posé la question de la responsabilité de continuer à installer des gens en agriculture biologique (62 % des installés), alors que les paramètres et les marchés « ne sont pas bons ».
Il s’interroge aussi sur les circuits courts, « alors que quand on travaille en circuit long, on se serre les coudes, des marchés s’ouvrent à nous. On voit sur des marchés de plein vent des produits vendus moins cher que les nôtres. L’équation n’est pas bonne. »
Où il est de nouveau question de la saturation des circuits courts de maraîchage dans le Trièves.
« Faut que les gars se bougent », martèle Pascal Denolly, président du Pôle agroalimentaire, alors que la plateforme recherche toujours des producteurs de légumes pour des marchés intermédiaires.
Héloïse Gonzalo, directrice de la Chambre d’agriculture de l’Isère, précise à ce sujet que les techniciens de la chambre procèdent à des études de marché « avec une méthodologie adaptée ».
Isabelle Doucet

Les annonces
André Coppard, vice-président de la Chambre d'agriculture de l'Isère, Laurent Prévost, préfet de l'Isère, Jean-Claude Darlet, président de la chambre, Fabien Mulyk, vice-président du Département et Jérôme Crozat, président de la FDSEA et vice-président de la chambre.

Les annonces

Jean-Claude Darlet
Le président de la Chambre d’agriculture de l’Isère est revenu sur la crise de la filière noix provoquée par « une production record en 2022 et non anticipée en matière de commercialisation ; une concurrence européenne et mondiale injuste avec des droits de douane inexistants dans certains pays ; une baisse de la consommation de 20 à 30 % car la noix n’est pas un produit de première nécessité ; une industrie agroalimentaire qui s’approvisionne en cerneaux à 80 % d’importation et des metteurs en marché qui en profitent pour sous-rémunérer les producteurs, baissant les prix jusqu’à 50 centimes alors que les coûts de production sont de 1,50 euro. »
En conséquence, les producteurs du Sud-Est ont décidé d’adhérer à la FNPF (Fédération Nationale des Producteurs de Fruits).
Il a aussi émis des réserves quant au futur plan loup. « Je crains qu’une nouvelle fois, on laisse la place aux grands prédateurs. Cela fait du mal à tout le monde : les agriculteurs, la biodiversité, les territoires, la chasse. On détruit tout et on continue à gaspiller l’argent public : près de 70 millions d’euros chaque année. »

Fabien Mulyk
Le vice-président du Département de l'Isère en charge de l’agriculture, a annoncé la mise en place du dispositif expérimental de berger d’appui, financé par le conseil départemental, avec le soutien de la MSA et de la FAI, et géré par Agriemploi. « Nous souhaitions un projet plus étoffé, avec trois personnes, la demande faite à la Dreal dans le cadre du Plan loup n’a pas été retenue », regrette l’élu.
Il a rappelé le soutien du Département à l’irrigation, à hauteur de 11 millions d’euros depuis 2014, ainsi que le lancement de l’étude prospective sur l’eau et le changement climatique.
En revanche, l’enveloppe sur la vidéo surveillance dans les exploitations ne sera pas renouvelée, victime de sa captation par les revendeurs. Quelle que soit l’installation, le tarif était devenu celui de la subvention (4 000 euros).
Le vice-président regrette aussi l’arrêt du cofinancement des MAEC, « de l’argent frais et dispo qui ne sera pas distribué ». Une évolution de la loi Notre est espérée pour permettre de nouveau le cofinancement des départements en 2024.

Laurent Prévost
Le préfet de l’Isère a assuré « que tout le monde souhaitait recréer un support législatif » pour permettre que les départements (la moitié en France) soutiennent de nouveau les MAEC.
En ce qui concerne la mise en place du nouveau système assurantiel, il a reconnu qu’il devrait être plus réactif et « qu’il faudrait couvrir davantage de productions avec davantage de moyens mobilisés ».
Le recours à l’assurance demeure trop limité. Il a déclaré que le point serait fait à l’automne - après que toutes les productions seront arrivées à maturité - pour l’activation des dossiers d’évaluation des dommages par la DDT en raison des aléas climatiques.
Sur l’eau, le préfet a reconnu partir « sur des bases solides » avec le monde agricole, tout en avançant « que tout n’a pas été fait ». Il souhaite aussi que soient posées « les bonnes questions en matière de stockage » de l’eau, pour ne pas partir dans d’inutiles procédures.
Il s’est voulu rassurant quant à la nouvelle PAC. « Le système a prévu le droit à l’erreur », plaide-t-il. La DDT a tout de même reçu 2 500 appels durant la campagne. Il reste quelques semaines pour réparer les erreurs.
Le préfet a par ailleurs reconnu que « la saison a mal commencé » s’agissant du loup. « Il n’y a jamais eu autant de tirs de défense simple actifs. Un loup a été prélevé », a-t-il annoncé. Il a assuré que comme l’Isère avait une approche « correcte », les demandes de tirs de défense renforcée sont accordées par le préfet référent. Le représentant de l’État se fait aussi le relais au niveau national de la demande de mesures spécifiques pour la prédation bovine.

À noter
Le Suaci (Service d’utilité agricole à compétence interdépartementale) service commun des chambres d’agriculture de l’Isère, la Drôme et Savoie Mont-Blanc, est désormais un service rattaché à la Chambre d’agriculture de Savoie Mont-Blanc

Motion rejetée
La motion relative à l’usage légal des plantes et préparations peu préoccupantes production animale et végétale présentée par la Confédération paysanne a été rejetée. « Une demande légitime, mais qui manque d’encadrement », a qualifié Aurélien Clavel, élu à la Chambre d’agriculture de l’Isère.
« De la politique spectacle » , a balayé du revers de la main Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l'Isère,  reprochant au syndicat de choisir des sujets destinés à recueillir l’approbation des citoyens.

 

La bataille de l’eau
L'eau s'invite en session de la chambre d'agriculture.

La bataille de l’eau

L’industrie commence tout juste à s’intéresser à la sobriété de sa consommation d’eau, alors que l’agriculture déploie des efforts depuis 30 ans.

« Mettre des chiffres en face pour l’industrie ». Jean-Claude Darlet, le président de la Chambre d’agriculture de l’Isère avait invité Mathias Pieyre, le directeur de l’Unité départementale de la Dreal Isère, qui présentait le plan de sobriété hydrique auquel les 100 000 entreprises de l’Isère devront s’astreindre. Elles représentent 8 % des prélèvements.
Il a précisé que ST Microélectronics consommait en moyenne 3,5 millions de m3 d’eau par an et que le chiffre de 30 000 m3/jour (11 millions de m3/an) correspondait à l’ensemble de l’eau transmis par la Métro au Grésivaudan.
« Une partie est utilisée par ST et les autres entreprises », a-t-il déclaré. Des entreprises qui « jusqu’à maintenant ne se posaient pas de question et ça se passait bien ».

« Un non-sens »


Depuis 10 ans, le monde agricole applique pour sa part des règles de sobriété les plus exigeantes.
Les prélèvements sont gérés depuis 2013 par la Chambre d’agriculture de l’Isère et son Organisme unique de gestion collective (OUGC).
« L’agriculture est arrivée à un niveau d’économie de gestion de près de 30 % alors qu’en même temps elle est passée de 25 000 à 30 000 ha irrigués en 30 ans », insiste le président Jean-Claude Darlet, fustigeant le calendrier de restriction d’eau, « un non-sens » au regard de la variabilité des climats et de l’hétérogénéité des consommations d’eau.
L’agriculture iséroise consomme en moyenne 41 millions de m3 d’eau par an. Cette consommation varie entre 60 millions de m3, comme en 2022, et 20 millions de m3, comme en 2021.
Au regard de ces situations, pour Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l’Isère, il est temps « d’avoir une réelle communication sur le stockage de l’eau avec les citoyens ».
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