Prospectives
Agriculture iséroise : entre contraintes de production et réponses aux attentes sociétales

Isabelle Brenguier
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Les questions d’alimentation et d’agriculture ont été au cœur du débat organisé à Grenoble, dans le cadre du Mois de la transition alimentaire porté par le PAIT. Entre ambitions et réalités de terrain.

Agriculture iséroise : entre contraintes de production et réponses aux attentes sociétales
Thierry Pouch, économiste à Chambre d’agriculture France était avec Eloïse Descamps, chargée de projets au bureau d’études Solagro, et Aurélien Clavel, agriculteur et président du Pôle agro-alimentaire de l’Isère, à la soirée sur l'agriculture et l'alimentation organisée dans le cadre du Mois de la transition alimentaire porté par le PAIT de la région grenobloise.

Le sujet de l’alimentation passionne. Pour preuve, l’amphithéâtre de la métropole Grenoble-Alpes Métropole, qui accueillait en plein cœur de la ville, la conférence Racines et résilience : l’agriculture iséroise face aux défis du temps, le 17 octobre, était comble.

Elus, agriculteurs, citoyens, étudiants, ils sont nombreux à être venus écouter le débat qui rassemblait Eloïse Descamps, chargée de projets au bureau d’études Solagro, Thierry Pouch, économiste à Chambre d’agriculture France, et Aurélien Clavel, agriculteur et président du Pôle agro-alimentaire de l’Isère.

Temps forts du Mois de la transition alimentaire porté par le PAIT (Projet alimentaire inter-territorial de la grande région grenobloise) de la région grenobloise, cette soirée a permis de rappeler le lien indéfectible entre alimentation et agriculture.
« Derrière ce que nous mettons dans nos assiettes, il y a toute une chaîne de production, de transformation et de distribution, avec des enjeux en matière d’agriculture, de renouvellement des actifs, de paysages… », soutient en préambule, Jean-Claude Darlet, le président de la Chambre d’agriculture de l’Isère.

Développer l'agro-écologie et les pratiques agricoles alternatives

Animatrice du PAIT depuis ses débuts, Grenoble-Alpes Métropole souhaite pour ses habitants « une alimentation saine, produite et transformée le plus localement possible ». C’est la raison qui a conduit la collectivité à mener depuis plusieurs années une politique en la matière, que Cyrille Plenet, vice-présidente chargée de l'agriculture, qualifie de « forte et ambitieuse ».

En présentant la vision prospective du système agricole et alimentaire du territoire du PAIT (1) à l’horizon 2050, Eloïse Descamps, en charge de ce travail, a indiqué que « l’ambition du territoire était de construire un scénario qui contribue à la transition écologique, répond aux besoins de la population, permet de conserver le dynamisme du secteur agricole et fédère et mobilise l’ensemble de ses acteurs ». Les questions de la santé et de l’empreinte carbone des habitants ont été identifiées comme des enjeux incontournables.

La collectivité souhaite donc « développer la consommation locale des citoyens et des collectivités et promouvoir pour toutes et tous une alimentation de qualité. Plus concrètement, il est question d’aller vers plus de bio, de développer l’agro-écologie et les pratiques agricoles alternatives, de renforcer l’autonomie en intrants, et de maximiser la valorisation agronomique des résidus organiques ». La chargée de projets souligne encore l’intention de maintenir l’élevage bovin dans des systèmes extensifs et herbagers et de développer des filières fruits, légumes et légumineuses.

Les agriculteurs, premières victimes du changement climatique

Installé au sein d’une exploitation familiale dans les Terres Froides, dans le Nord-Isère, Aurélien Clavel produit du lait, des noix, des noisettes, des céréales et de la bière. Il livre le témoignage concret d’un agriculteur et d’un responsable professionnel conscient des enjeux de l’agriculture, qui ne cesse de faire évoluer sa ferme, pour qu’elle reste dans son temps et son environnement. Il montre dans le même temps que son activité ne peut en aucun cas être détachée de l’économie et que tous les paramètres sont interdépendants les uns des autres.

« En tant qu’agriculteurs, nous avons toujours été dépendants du temps. Aujourd’hui, nous sommes les premières victimes du changement climatique et devons adapter nos fermes en conséquence ». Il rappelle que dans cette obligation, « ce qui est vrai pour une ferme, ne l’est pas forcément pour celle du voisin, que les agriculteurs tentent des adaptations sans être assurés qu’elles vont fonctionner, et que l’agriculture est un secteur d’activité qui s’inscrit sur un temps long. Contrairement à l’industrie, qui met entre trois et cinq ans pour amortir ses projets, nous avons besoin de 20 ans », insiste-t-il.

Il explique aussi qu’en agriculture, « il n’y a pas de solution toute faite. Certaines de nos productions sont en bio. C’est un choix que nous avons fait. Mais quand on est en bio, certes on réduit l’utilisation des produits phytosanitaires, mais en même temps, on accroît notre dépendance au gasoil, car nous devons effectuer entre deux et trois passages dans les parcelles pour détruire mécaniquement les mauvaises herbes », expose-t-il, révélant que rien n’est simple, que si l’agriculture biologique est intéressante sur le plan phytosanitaire, elle l’est moins en matière de travail du sol et d’émissions de gaz à effet de serre.

C’est aussi un mode de duction qui, comme l’a souligné Jérôme Crozat, président de la FDSEA de l’Isère, nécessite davantage de main-d'œuvre, ce qui n’est pas sans conséquence sur les coûts de production.

Un choix de cultures guidé par les possibilités du territoire

Mettant en avant les changements conduits au sein de sa ferme (baisse des surfaces de maïs, augmentation de la production d’herbe et de légumineuses pour être moins dépendants en protéines, création d’une production d’orge), Aurélien Clavel indique que ses choix sont toujours guidés par les possibilités offertes par son territoire et son climat (toutes les productions ne fonctionnent pas partout), et par la rentabilité économique.

« Il faut forcément qu’il y ait un débouché, un marché, à nos productions. Et il faut que cela soit rentable. Sinon, cela n’a aucun sens. On peut se faire plaisir, c’est sûr. Mais si personne n’achète nos produits, cela ne fonctionne pas », argumente-t-il. Aurélien Clavel attire aussi l’attention des participants sur le décalage entre les attentes exprimées par les consommateurs qui souhaitent « une alimentation saine produite dans le respect de l’environnement » et leur acte d’achat qui privilégie les produits les moins chers. « Produire mieux et moins cher, on ne sait pas faire. Si les agriculteurs doivent comprendre les souhaits des consommateurs, ces derniers doivent aussi comprendre les contraintes de l’agriculture, en lien avec le climat, les saisons et les réalités économiques », assure-t-il.

Un défi de production alimentaire

Le responsable évoque également l’action des collectivités, estimant que les agriculteurs seuls, n’arriveront pas à répondre à tous ces enjeux. Avec son agriculture très diversifiée et ses nombreux consommateurs, le territoire a des atouts. « Il y a des opportunités à créer des filières de proximité, entre vente directe et circuits longs, à massifier l’offre locale pour répondre aux besoins des habitants », avance Aurélien Clavel, arguant que « la constitution du Pôle agroalimentaire soutenu par le Département de l’Isère, est une solution concrète pour lancer des filières ».

Ce défi de production alimentaire, en lien avec les enjeux énergétique et climatiques, doit être partagé par l’ensemble des protagonistes : les agriculteurs, les consommateurs, les collectivités territoriales, les politiques publiques nationales et européennes. Aurélien Clavel et Thierry Pouch en sont tous deux convaincus. C’est ce qui permettra l’invention du nouveau modèle alimentaire qui répondra aux attentes exprimées.

Isabelle Brenguier

(1)   Porté par les partenaires du PAIT, en concertation avec les acteurs du système agricole et alimentaire, ce travail avait pour objectif de réfléchir à l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation du territoire à l’horizon 2050. Réalisé en 2022, il a mobilisé plus de 70 participants.

Voir aussi en vidéo « Les conclusions de la rencontre » par Thierry Pouch, sur le site Internet www.terredauphinoise.fr

Thierry Pouch soirée agriculture alimentation
Economiste à Chambre d'agriculture France, Thierry Pouch fait part d’« un effondrement progressif de la consommation des produits alimentaires et des boissons au profit du logement et de l’énergie, bien qu’il y ait eu un léger redressement pendant la pandémie ».

Tendances de consommation

Economiste à Chambre d’agriculture France, Thierry Pouch a évoqué les prédictions faites en matière de population mondiale et de consommation alimentaire.

Invité à la conférence organisée par le PAIT le 17 octobre à Grenoble, Thierry Pouch, économiste à Chambre d’agriculture France, a présenté les tendances et les perspectives en matière de consommation alimentaire.
L’économiste a exposé le changement de type consommation que le pays a connu, passant d’une quête de quantité après-guerre à davantage d’attention pour la qualité par la suite. Mais la pandémie, la guerre en Ukraine et l’inflation ont à nouveau bouleversé les habitudes alimentaires des français, leur faisant prioriser la question du prix, au détriment du bio dont la filière subit de plein fouet la désaffection. Si depuis 2022, l’ensemble des produits alimentaires sont concernés par cette baisse, celle de viande était déjà marquée depuis 2021, posant un fort problème de débouchés. Aujourd’hui, l’inflation est en nette diminution mais demeure supérieure à la période d’avant Covid et d’avant-guerre

Plus deux milliards

S’agissant des perspectives, Thierry Pouch indique que malgré une diminution du désir d’enfants en France, en Europe, et ailleurs dans le monde, nous comptons deux milliards d’habitants supplémentaires sur la planète depuis les années 2000… auxquels s’ajouteront encore deux milliards d’ici 2050. Faisant un focus sur la consommation de viande, il explique qu’elle continuera de stagner dans les pays à hauts revenus et que les pays à revenus intermédiaires seront à l’origine de 79 % de la hausse de consommation globale prévue. La viande de volaille comptera pour 43 %.

IB

Le PAIT de la région grenobloise

Le PAIT de la région grenobloise, qui a pour objectif de promouvoir une alimentation saine et durable dans son périmètre, rassemble neuf territoires : Grenoble-Alpes Métropole, Saint-Marcellin-Vercors-Isère-Communauté, la Communauté d’agglomération du Pays Voironnais, la Communauté de communes du Trièves, la Communauté de communes Le Grésivaudan, les parc naturels régionaux du Vercors et de la Chartreuse, la ville de Grenoble et l’Espace Belledonne, ainsi que trois acteurs socio-professionnels : le Réseau des Conseils de développement de la région grenobloise, la Chambre d’agriculture de l’Isère et le collectif Autonomie alimentaire de la région grenobloise.
L’agriculture de ce territoire est diversifiée et résiliente. Entre plaine et montagne, il s’agit autant de terres d’élevage que de surfaces dotées d’une qualité agronomique exceptionnelle, permettant les grandes cultures, le maraîchage, ou les cultures fruitières.

IB