Tourisme
La montagne, milieu hostile… et attractif
Le colloque sur Le tourisme face aux risques organisé à Grenoble en octobre a fait état des enjeux liés à une fréquentation du territoire montagnard de plus en plus importante dans un contexte où le risque est partout présent.
La fréquentation des territoires de montagne est en hausse. Pour autant, ce ne sont pas des territoires sans risque. « En montagne, le risque zéro n’existe pas. La protection à 100% n’existe pas non plus », rappelle Frédéric Berger, président du Pôle alpin des risques naturels, à l’occasion d’un colloque organisé à Grenoble le 15 octobre.
Intitulée Le tourisme face aux risques : entre adaptation, résilience et attractivité dans un contexte de changement climatique, la rencontre visait à faire prendre conscience des enjeux du tourisme dans cet environnement, à accompagner le développement de la culture du risque, à faire partager les expériences positives pour les acteurs de ces territoires.
Marge de progression
L’enquête Risques et Tourisme réalisée par l’AFPCNT (1) durant l’été 2024 dans le massif alpin montre que le tourisme de montagne est un tourisme addictif. « Ceux qui effectuent des séjours en montagne, en font plusieurs par an », souligne Ghislaine Verrhiest-Leblanc, directrice de l’AFPCNT.
Elle a aussi révélé que ces visiteurs sont plutôt conscients des risques naturels et technologiques auxquels ils sont exposés, et possèdent un niveau de connaissances satisfaisant mais perfectible en matière de mesures de prévention des risques.
Les travaux ont également mis en exergue les questions du premier contact et de l’accueil dans ces territoires. Les offices de tourisme n’ont pas pour mission de renseigner les visiteurs sur les risques du territoire dans lequel ils arrivent, alors que ces derniers ont une attente.
Ce point représente une marge de progression, de même que la formation des personnes embauchées par les professionnels du tourisme. Si ces derniers ont été identifiés comme des professionnels bien implantés dans les territoires, engagés pour leur développement, ils ont fait part d’un besoin en outils de communication dédiés à la prévention des risques placés sur le terrain ou dématérialisé.
Rapprocher la ville et la montagne
« Nous sommes dans une situation où l’attractivité de la montagne est de plus en plus forte. C’est un milieu inhospitalier mais qui nous fait vibrer, nous rappelle notre lien avec la vie, la terre, avec les éléments. Cette nouvelle fréquentation de la montagne est source de questionnements, mais peut aussi être vue comme une opportunité pour repenser le territoire, en prenant davantage en compte ses habitants, leur vie et leur savoir-faire », expose Fredi Meignan, co-gérant du gîte d’étape de Freydières dans le massif de Belledonne et vice-président de l’association Mountain Wilderness (2).
« Jusqu’à maintenant, on a cherché à maîtriser la nature, à aseptiser notre rapport avec elle. Nous l’avons fait de trop. Alors, est-ce qu’on continue de dire aux visiteurs : « ne vous inquiétez pas » ? Ou est-ce que notre responsabilité n’est pas d’accueillir ces nouveaux publics qui n’ont ni l’habitude, ni les codes de la montagne ? », indique le montagnard.
Son expérience lui fait évoquer la protection de la montagne et la nécessité de faire cohabiter au mieux la montagne à vivre et la montagne sauvage. Il revient sur les bénéfices apportés par la présence de médiateurs pastoraux qui expliquent aux nouveaux usagers de la montagne ses activités, ses conditions, ses risques, les partages nécessaires, les comportements inappropriés.
« Cet été, ils ont parlé à des centaines de personnes par jour. Ils ont appris à lire la montagne dans toutes ses dimensions », souligne-t-il.
Il ajoute encore : « Pour moi, il faut gagner en cohérence, réfléchir au rapprochement entre la ville et la montagne et intégrer les risques comme éléments majeurs. Il faut aussi repenser l’accès à la montagne ». Ainsi, il se demande s’il est pertinent d’aller en voiture jusqu’au bout de la route pour faire une rando à la journée ? Ou s’il ne serait pas plus approprié d’envisager des treks de plusieurs jours.
Plus d’aptitudes
Ingénieur en prévention des risques industriels et doctorant en ergonomie, Antoine Girard a réalisé une thèse sur le thème de La sécurité dans le métier de guide de montagne. Son travail lui a fait comprendre les paradoxes auxquels les guides étaient confrontés, à devoir emmener des touristes motivés pour vivre des expériences et atteindre des objectifs, et répondre de leur sécurité dans un environnement naturel sur lequel ils ne peuvent pas agir.
« Avec leur statut de travailleur indépendant, sans qu’ils soient soumis à la moindre hiérarchie, ils doivent gérer différents critères de performance, produire de la sécurité, sans oublier les questions juridiques et économiques. L’équation n’est pas facile à résoudre », avance le jeune chercheur.
Pour atteindre les objectifs de leurs clients, les guides préparent leur activité en intégrant toutes leurs contraintes : les itinéraires possibles, la météo, les capacités des touristes, leurs attentes. Stratégiquement, ils essaient de faire progresser leurs clients en séquençant leur expérience montagne.
Les professionnels de la montagne soulignent aussi la nécessité qu’ils ont à être très réactifs pour faire circuler l’information entre eux dans les meilleurs délais. Quand les vallées sont concernées par des crises empêchant leur accès, il convient de bien prévenir les touristes pour qu’ils soient vigilants et au courant des sites accessibles ou pas. Sur cette question, toutes les infrastructures sont concernées. Qu’il s’agisse des parcs, des offices de tourisme, des refuges… C’est un travail d’équipe.
Isabelle Brenguier
(1) Association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques
(2) Mountain Wilderness est une association dont le but principal est la sauvegarde de la montagne sous tous ses aspects.
« L’impensable est à venir »
Quatre mois après la catastrophe qui a dévasté le hameau de la Bérarde en Oisans, Pierre Verry, chef du service de restauration des terrains en montagne de l’Isère, revient sur les causes de cet évènement hors norme.
« Un évènement extraordinaire et multifactoriel difficile à prévoir, même si certaines données avaient été anticipées ». C’est ainsi que Pierre Verry, chef du service de restauration des terrains en montagne de l’Isère, qualifie l’ensevelissement par des torrents de roches et de boue du hameau de La Bérarde en Oisans, les 20 et 21 juin dernier.
Selon le spécialiste, qui a donné son éclairage sur le sujet à l’occasion du colloque Le tourisme s’adapte face aux risques, organisé le 15 octobre à Grenoble, « deux phénomènes de haute intensité sont à l’origine de cet épisode géomorphologique extrême : des précipitations très importantes durant plus de trente-six heures, conjuguées à la fonte rapide de l’épaisse couche de neige des montagnes environnantes, provoquée par la montée à 4 000 mètres de l'isotherme zéro degré. A cela, se sont encore ajoutés la vidange d’un lac proglaciaire présent au-dessus du hameau et l’existence de nombreux cailloux ».
Ainsi, la pluie, à laquelle s’est cumulée la fonte des neiges, a fait déborder les torrents du Vénéon et des Étançons, qui ont emporté sur leur passage 250 000 m³ de matériaux de roches et de végétation, provoquant un effet de lave torrentielle. « Fort heureusement, l’évènement n’a pas causé de victime. 110 personnes ont été évacuées par hélicoptère le vendredi matin », précise le technicien.
Circonstances aggravantes
Les habitants, les acteurs du territoire, ceux qui le fréquentent régulièrement ou occasionnellement, sont encore sous le choc. L’heure est toujours au bilan. Un travail est effectué par l’Etat pour qualifier l’épisode ; une réunion publique sera organisée au cours du mois de décembre. Les acteurs du territoire doivent se mettre autour de la table pour réfléchir à l’après, savoir ce qui peut être mis en place.
Le Parc national des Ecrins va organiser des ateliers pour trouver des solutions de réaménagement au hameau de La Bérarde et la Communauté de communes de l’Oisans va recruter un nouveau chargé de mission détaché à la vallée du Vénéon.
Mais pour Pierre Verry, « ce type de phénomènes exceptionnels, qui cumulent des circonstances aggravantes amplifiées par « un manque de chance », laissent imaginer que l’impensable est à venir et qu’il faut s’en préserver. Les phénomènes de même intensité seront plus fréquents ; les phénomènes de même fréquence seront plus intenses ».
IB
FR-Alert
FR-Alert est un système d’alerte des populations qui permet d’envoyer des notifications sur les téléphones portables des personnes présentes dans une zone confrontée à un danger., sans inscription. Une fois activé, il informe les citoyens concernés sur la nature et la localisation d’un danger ou d’une menace et indique les actions et comportements à adopter.
Les notifications peuvent transmettre des informations sur la nature du risque, l’autorité qui diffuse l’alerte, la localisation du danger, ou encore l’attitude à adopter (rester chez soi, évacuer la zone…).
Cet outil d’alerte et d’information des populations par téléphone mobile complète les dispositifs existants. S’appuyant notamment sur des technologies permettant l’envoi massif et rapide de notifications, d’alertes ou d’informations prioritaires par rapport aux communications traditionnelles, ce nouveau vecteur d’alerte constitue une réponse adaptée à l’ensemble des crises face aux risques naturels et technologiques ainsi qu’aux effets des menaces.
Source : Préfecture de l’Isère