Santé
Les antibiotiques, c’est pas automatique !

Morgane Poulet
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Cette année, la Journée des jeunes éleveurs du lycée agricole de La Côte-Saint-André était organisée autour du thème de l’antibiorésistance, et plus particulièrement sur le bon usage des antibiotiques.

Les antibiotiques, c’est pas automatique !
Les étudiants du lycée agricole de La Côte-Saint-André ont présenté leur projet d'étude sur le thème de l'antibiorésistance.

« Le premier antibiotique, la pénicilline G, a été découvert en 1928 par le biologiste Alexander Fleming lorsqu’un champignon appelé penicillium a été observé dans des cultures de staphylocoques », ont expliqué les étudiants de deuxième année de BTSA productions animales du lycée agricole de La Côte-Saint-André, le 12 décembre dans le cadre de leur PIC (Projet d’initiative et de communication).
Et, depuis, une mauvaise utilisation des antibiotiques, souvent systématique, a développé chez des milliers de bactéries une accoutumance accrue. Thème du projet des étudiants, l’antibiorésistance a été le centre des réflexions des participants, qui se sont interrogé sur ce que peut être un usage raisonné des antibiotiques pour conserver leur efficacité.
 
Solution miracle
 
La pénicilline G est utilisée à partir du début des années 1940 et, aujourd’hui, plus de 70 ans après les premières mises en marché, il existe quinze familles d’antibiotiques différents en raison de leur structure chimique et de leur mode d’action contre les bactéries.
Dès 1945, l’antibiorésistance est un problème soulevé par Fleming. Mais cette crainte de voir les microbes résister aux antibiotiques n’est écoutée que dans les années 1990, lorsqu’un nombre croissant de bactéries se met à résister de plus en plus fréquemment aux traitements proposés. De nombreux patients n’ont alors plus de remèdes pouvant traiter leur infection. Aujourd’hui, en France, 27 % des souches de pneumocoques sont insensibles à la pénicilline G, alors qu’il y a vingt ans, il n’y avait quasiment pas de résistance.
Cet exemple illustre la vision de l’antibiotique comme solution miracle promulguée à l’époque, souvent utilisé à mauvais escient. L’autobiorésistance a ainsi été constatée dans toutes les familles d’antibiotiques. En ce qui concerne la pénicilline, les premières résistances ont été constatées trois ans après sa sortie. Pour les sulfamides, qui servent à lutter contre les infections et qui ont été mis au point en 1942, les résistances sont visibles au bout de cinq ans. Enfin, pour les érythromycines, mis au point en 1952, l’antibiorésistance s’est développée 36 ans après leur mise sur le marché.
 
Les élevages aussi concernés
 
En 1940, les propriétés d’accélération de croissance des antibiotiques est découvert. En effet, lorsqu’il est donné à faible dose aux animaux, comme aux volailles, les animaux deviennent plus gros et plus tôt, ce qui représente un gain de temps ainsi qu’un avantage économique importants. Néanmoins, en 1969, le gouvernement britannique remarque que cela contamine aussi l’homme, provoquant des effets indésirables. Ce n’est qu’en 2006 que l’Union européenne interdit l’utilisation des antibiotiques comme accélérateurs de croissance.
Pour détecter la présence d’antibiotiques dans le lait et la viande, « 21 plans sanitaires sont mis en place dans des laboratoires ou des exploitations en 2021 », pour un budget de 13 millions d’euros, ce qui correspond à environ 58 000 prélèvements. Parmi eux, 380 ressortent non-conformes, la bactérie Escherichia coli étant trouvée dans la plupart d’entre eux.
« En ce qui concerne le lait, un contrôle systématique est fait à la récolte. En cas de contamination, tout le tank est jeté », précisent les étudiants. Mais dans cette filière, « les éleveurs laitiers utilisent souvent un antibiotique pour éviter les mammites, ajoutent-ils, alors que des diagnostics permettent d’éviter la prise d’antibiotiques si cela n’est pas nécessaire ».
Guillaume Lhermie, vétérinaire et chercheur en santé animale, explique quant à lui que dans 40 % des cas, « les mammites guérissent d’elles-mêmes, du moment que le système immunitaire n’est pas dépassé ». Dans l’élevage de Stéphane Despesses, éleveur de bovins laitiers en Ardèche, des cas d’antibiorésistance sont parfois survenus. « Au départ, je n’arrivais pas à soigner les mammites, donc je changeais d’antibiotique à l’aveugle. Puis, grâce aux antibiogrammes, l’antibiotique qui convenait le mieux a été trouvé », explique-t-il.
C’est justement pour réduire le recours abusif aux antibiotiques que le gouvernement français a créé l’ecoantibio, un plan sur cinq ans mis en place en 2012 et renouvelé en 2017. Il consiste à former les professionnels sur la santé et sur les animaux tout en sensibilisant les éleveurs à l’antibiorésistance. Son objectif initial était de réduire de 25 % l’usage d’antibiotiques dans les élevages, mais à son issue, cette utilisation était finalement diminuée de 37 %. Renouvelé en 2017, le second plan renforce le suivi des ventes d’antibiotiques et souhaite développer les bonnes pratiques d’élevage. Finalement, jusqu’à présent, les animaux d’élevage sont moins exposés aux antibiotiques (- 52 % en tout, mais - 67 % pour les porcs, - 72 % pour les volailles, - 64 % pour les lapins et - 23 % pour les bovins).
 
Des alternatives
 
Pour Stéphane Despesses, « l’utilisation d’antibiotiques est sécurisante, car il est difficile de faire autrement lorsqu’une bête est malade ». D’autant plus qu’il explique que les éleveurs ne sont pas forcément formés aux alternatives. « Lorsque j’ai passé mon diplôme agricole en 1995, on ne parlait pas de ça. »
N’utilisant pas de désherbants dans ses cultures, il estime que « ce doit être pareil pour mon élevage », ce qui le pousse à trouver des solutions différentes de la prise d’antibiotiques. Son frein : trouver des personnes qui puissent le conseiller. Son cabinet vétérinaire utilisait des méthodes alternatives, notamment des huiles essentielles ou de l’argile pour les panaris. « Mais depuis sa fermeture il y a trois ans, j’ai un nouveau vétérinaire qui ne s’y connaît pas du tout, je ne peux donc plus me servir de ces façons de faire. » Il constate un « retour en arrière » et la nécessité pour lui de recourir de nouveau aux antibiotiques plus fréquemment.
Pour les étudiants, les huiles essentielles peuvent effectivement constituer une solution si le problème de santé n’est pas trop important. « Elles ont une règlementation contraignante et il y a aujourd’hui un manque de formation les concernant, donc elles sont peu utilisées par les vétérinaires », précisent-ils. Les probiotiques constituent en revanche « une solution intéressante pour le soutien qu’ils apportent à la flore intestinale ». La vaccination n’est bien sûr pas à négliger, tout comme le bien-être des animaux.
Même si les professionnels de santé et les éleveurs se penchent plus qu’auparavant sur les alternatives à l’utilisation d’antibiotiques, leur principal obstacle reste que l’efficacité des méthodes alternatives est très mal connue.

Morgane Poulet

La consommation d'antibiotiques en chiffres

Chaque année, 100 000 à 200 000 tonnes d’antibiotiques à destination humaine sont consommées dans le monde. Pour les animaux élevés en France, ce chiffre était de 422 tonnes en 2019. Ces consommations, considérées comme encore trop importantes, « pourraient à terme créer un risque de résurgence de maladies qui avaient disparu », précisent les étudiants.
En France, en 2018, 728 tonnes étaient consommées par les hommes et 472 par les animaux.
De 2020 à 2021, les ventes ont réussi à diminuer de 10,7 % pour les hommes et de 3,2 % pour les animaux, mais à l'horizon 2050, l'antibiorésistance devrait coûter environ 1 100 euros en termes de dépenses journalières par séjour dans un hôpital français.
En France, l’antibiorésistance représente 120 000 nouveaux cas par an, plus de 5 000 décès et plus de 130 000 infections en 2016. En 2015, le coût global lié à l’antibiorésistance était de 109,3 millions d’euros, ce qui représentait 0,04 % du budget national lié à la santé.