Lors du conseil fédéral du 20 janvier, la FDSEA de l'Isère a proposé aux agriculteurs de miser sur le collectif pour mettre en place trois nouvelles filières rémunératrices : lavande et lavandin, les légumes de plein champ et la valorisation locale de la viande bovine.
Nouvelles perspectives pour l'agriculture iséroise

Durant tout l'automne, au fil des assemblées de territoire, Jérôme Crozat a répété le même message : pour retrouver du revenu, il faut « explorer » la création de nouvelles filières susceptibles de déboucher sur des marchés rémunérateurs. Lors du conseil fédéral du 20 janvier, à la MFR de Coublevie, le président de la FDSEA a lancé trois pistes : la lavande et le lavandin, les légumes de plein champ et la valorisation locale de la viande bovine. Venus en « voisins », quatre acteurs ayant fait leurs preuves ou lancé une dynamique au cœur de leur territoire ont témoigné de leur expérience.

 

Lavandin isérois

Inspirée par les risques liés au réchauffement climatique, l'idée de produire du lavandin en plaine et de la lavande en zone de montagne est la première avancée. Invité à présenter la filière, Alain Aubanel, producteur de lavande dans le Diois et président de PPAM France (1), a prévenu d'entrée de jeu : « La lavande et le lavandin, c'est bien, mais ça représente une petite partie des PPAM (plantes à parfum, aromatiques et médicinales, ndlr). Dans notre filière, qui est bien structurée, personne ne se plaint : ça marche. Depuis une douzaine d'années, on en manquait. Aujourd'hui, il y en a trop et nous subissons la concurrence de certains pays, comme la Bulgarie. C'est pour cela qu'il vaut mieux ne pas partir uniquement sur la lavande et le lavandin, mais penser plantes au pluriel. »

Ceci posé, Alain Aubanel a indiqué que de nombreuses entreprises françaises s'approvisionnant à l'étranger « reviennent sur le marché français pour des raisons de traçabilité », mais aussi d'image. Il existe donc bel et bien une demande. « Dior, Chanel, Guerlain, L'Occitane ou L'Oréal achètent de la lavande française », affirme le producteur drômois qui ajoute : « Aujourd'hui, il y a de la place pour tout le monde, mais il vaut mieux combiner plusieurs cultures et partir à plusieurs, car les investissements sont lourds. »

Avec un rendement de 80 kilos de lavandin par hectare à 35 euros le kilo (prix octobre 2019), le dossier mérite d'être étudié de près, surtout si l'on envisage de combiner les productions. Car les marchés des PPAM restent soutenus et dynamiques, boostés par « la demande d'une jeune génération, tournée vers des produits issus d'un savoir-faire local » (2). Et comme la filière est très diversifiée, tant au niveau de ses productions (plus de 500 espèces végétales) que des usages (alimentaire, parfumerie, cosmétique, pharmaceutique, compléments alimentaires, vétérinaire...), il y a de quoi faire. D'autant que « la même plante peut servir pour du surgelé, de la distillerie, de l'alimentaire, du médicinal », selon le président de PPAM France.

Externalités positives

Autre intérêt non négligeable : leur « rôle dans l'équilibre des régions grâce à leurs externalités positives : tourisme, production de miel, etc. » (3). C'est d'ailleurs ce qu'avait souligné le président de la FDSEA de l'Isère dans les assemblées de territoire, lorsqu'il envisageait d'« impliquer les collectivités dans la réflexion sur le développement [de ces nouvelles cultures], parce que le lavandin, c'est aussi une image ».

La question de l'image a également été évoquée par Nathalie Pas, directrice du Centre d'élevage de Poisy, qui a raconté comment un groupe d'agriculteurs savoyards s'est lancé dans la production de pommes de terre et n'a eu aucun problème à la vendre à un prix rémunérateur grâce à l'estampille « Savoie ».

Nouveau métier

A l'origine de la démarche savoyarde, plusieurs constats : pour certains agriculteurs, le fait que « leur système bovin viande périclitait en fond de vallée » ; pour d'autres, que la production de céréales soit devenue compliquée ; et pour tous le fait que les paysans se trouvent confrontés à une urbanisation croissante qui apporte un bassin de consommation important et fortuné.
Les agriculteurs ont cherché à « diversifier leur carte de production dans les zones mécanisables ». En juin 2018, ils ont créé l'Association de mise en marché des légumes Savoie-Mont-Blanc et, profitant de l'expérience de l'un d'entre eux, démarré chacun une production de pommes de terre, avec l'appui technique de la chambre d'agriculture. « Un gars était équipé et a tiré les autres producteurs qui faisaient plutôt du maïs, a raconté Nathalie Pas. Nous avons dû apprendre un nouveau métier, mais ça a créé de nouvelles relations entre les producteurs. »
Au départ, l'objectif était de vendre en gros et semi-gros, et jamais en dessous des coûts de production. « Nous nous sommes basés sur nos coûts moyens et avons calculé que chaque kilo vendu devait rapporter 60 centimes au producteur, a expliqué Nathalie Pas. Toutes charges payées, y compris le salaire (1 800 euros net pour 400 heures de travail), cela fait un bénéfice net de 2 000 euros. »

 

Voir aussi les perspectives en pomme de terre

Lien social avec les voisins

Quand il s'est agi de démarcher des acheteurs potentiels, les volontaires y sont allés au nom de l'association et ont tenu un discours de fermeté. « Quand on va voir Metro ou Super U, on ne négocie pas le prix : c'est 60 centimes ou rien », selon Nathalie Pas. Ce qui n'a pas empêché les producteurs de construire peu à peu leur propre marché. Et même de se laisser tenter par la vente directe, qui permet de mieux valoriser encore la production : lorsque les pommes de terre sont vendues en vrac et direct au centre d'élevage de Poisy, les clients n'hésitent pas à les payer un euro le kilo. « Ce n'est pas cher par rapport au pouvoir d'achat local, déclare la directrice. De plus, ces ventes en direct nous ont permis de créer du lien social avec nos voisins. Au centre d'élevage, nous ne sommes plus ceux qui laissons des bouses sur les routes, mais les producteurs de bonnes patates locales. »
La belle histoire a malgré tout connu quelques revers. « La première année, nous avons planté 200 mètres carrés et perdu la moitié de la production, a reconnu Nathalie Pas. Mais cette année a été exceptionnelle : nous avons planté un hectare et récolté 43 tonnes de pommes de terre. La moitié vendue en direct, l'autre à 60 centimes. » La directrice de Poisy a toutefois prévenu qu'« un appui technique est essentiel : si on n'est pas accompagné, on peut vite se planter ». Et perdre plus que quelques patates.

Marianne Boilève

(1) PPAM France représente les intérêts des producteurs, des metteurs en marché et des distillateurs de plantes à parfum, aromatiques et médicinales.
(2) Note de conjoncture France Agrimer de juin 2019.
(3) In Plan Filière PPAM, à télécharger sur terredauphinoise.fr.

 

Filière bovine / En Isère et plus récemment dans l'Ain, des éleveurs de viande bovine ont élaboré des stratégies efficaces pour valoriser leur travail et répondre aux attentes des consommateurs.

Viande de choix

Lors du conseil fédéral du 20 janvier, deux témoignages ont permis de démontrer qu'il était possible d'améliorer la rémunération des éleveurs de bovin viande en misant sur le local. Le premier exemple a été développé par Yannick Bourdat, président des Eleveurs de saveurs iséroises (ESI). « En 2014, des bouchers haut de gamme nous ont contactés pour commercialiser des bêtes, raconte l'éleveur de Marcilloles. Nous avons travaillé avec la chambre d'agriculture à la rédaction d'un cahier des charges inspiré du Label rouge, car les clients des bouchers étaient prêts à acheter local, mais pas n'importe quoi. » A travers ce cahier des charges, les ESI s'engagent à livrer des bêtes nées, élevées et abattues en Isère, sans OGM et dans le respect absolu du bien-être animal. Dès 2015, le collectif écoule 14 bêtes. Puis trouve peu à peu de nouveaux débouchés auprès des GMS et de la restauration collective, en décrochant notamment un appel d'offre pour les cuisines des collèges du Département. Avec 30 à 40 centimes de plus le kilo par rapport au prix du marché et près de 200 animaux commercialisés en 2019, soit 500 000 euros de chiffre d'affaires, les Eleveurs de saveurs prouvent ainsi qu'il « redevient rentable d'engraisser des bovins en Isère » sans forcément être en circuit court. Mais tout n'est pas encore gagné : l'équilibre matière reste un problème. « Il faudrait que les bêtes n'aient que des avants », soupire Yannick Bourdat. D'où une réflexion amorcée sur la production de steak haché surgelé.
C'est précisement ce marché que visent  la FDSEA et les JA de l'Ain avec le développement des Viandes des pays de l'Ain. Lancée à l'automne dernier, la toute nouvelle marque s'inspire fortement de la démarche ESI, mais aussi de C'est qui le patron ? : elle garantit la qualité et la traçabilité des produits, ainsi que la juste rémunération des éleveurs. « A travers cette marque, nous vendons un produit et une histoire, explique Edouard Jannot, le directeur de la FDSEA de l'Ain. Nous avons un bassin de consommation important entre Lyon et Genève. L'idée est de faire consommer les animaux du département, en communiquant sur le fait que les bêtes, issues de race allaitante pure, sont nées, élevées et abattues dans l'Ain, nourries à l'herbe. »
Prix non négociables
Pour bâtir leur modèle économique, les syndicats ont noué des partenariats avec les éleveurs, les négociants et les abattoirs départementaux. Une campagne de communication vigoureuse a été lancée et des accords commerciaux passés avec les grandes surfaces qui acceptent de jouer le jeu, sachant que « les prix, basés sur les coûts de production, ne sont pas négociables ». Rapidement émerge une forte demande en steak haché surgelé. Réactif, le groupe y répond et fait réaliser la prestation chez un opérateur privé en Isère. Les steaks hachés sont vendus 12 euros le kilo aux grandes surfaces, 4,73 euros  revenant à l'éleveur. « Parfois, nous sommes comparés à d'autres marques, moins chères, témoigne Edouard Jannot. Mais nous répondons que ce n'est pas le même produit. Nos steaks hachés ne coûtent pas 5 euros le kilo, mais ils font travailler toute une filière. Il faut savoir argumenter sur ces questions-là. C'est la même chose avec la restauration hors domicile : on nous bassine avec le consommer local, mais nous, groupe d'éleveurs, nous ne réussissons pas à fournir les cantines. Sauf quand nous avons à faire à des cuisiniers innovants qui raisonnent en termes de qualité, de goût et de déchets. » C'est également l'expérience qu'ont faite les Eleveurs de saveurs iséroises avec les cuisines mutualisées du Département. « Quand on a demandé à un cuisinier de faire un essai avec notre viande, il a trouvé ça génial, confirme Yannick Bourdat. La viande rendait moins d'eau, sa bolognaise était moins grasse, il y avait moins de gaspillage. Il faut que les gestionnaires comprennent que le prix, c'est une chose ; la qualité c'en est une autre. »
MB