Changement climatique
Chronique d’un réchauffement climatique annoncé - le constat du Giec

Isabelle Brenguier
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En amont de la COP 28, Gerhard Krinner, coordinateur du 6ème rapport du Giec, a décrypté le contenu du document au travers d’une conférence organisée au centre hospitalier de Grenoble.

Chronique d’un réchauffement climatique annoncé - le constat du Giec
Crédit photo : Chambre d'agriculture de l'Isère Selon, Gerhard Krinner, « il existe de nombreuses options dans tous les domaines pour limiter les GES et agir en faveur du climat ».

La 28ème Conférence des parties sur le climat de l'ONU (COP) s’est tenue du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï, aux Émirats arabes unis.
Physicien, climatologue, co-auteur et coordinateur (1) du 6ème rapport du Giec (2), Gerhard Krinner, a animé le 23 novembre dernier au Chuga (3) une conférence visant à expliquer ce dernier rapport. Son propos est d’autant plus important que ledit document constitue la base scientifique du premier bilan mondial de l’Accord de Paris, qui est réalisé lors de la COP28.

Records de chaleur

Gerhard Krinner a rappelé que jusqu’à maintenant, les émissions de gaz à effet de serre (GES) avaient continué à augmenter et que la répartition de ces émissions n’était pas uniforme à travers le globe.
« Les régions du monde anciennement développées sont celles qui ont le plus émis. Et celles qui se développent actuellement sont celles qui ont le moins émis. C’est aussi vrai à l’intérieur des pays. Parmi les chiffres importants, on note que les 10 % des ménages ayant l’empreinte carbone la plus élevée, émettent 40 % des émissions mondiales et les 50 % des ménages avec l’empreinte carbone la plus faible, émettent seulement 14 % de ces émissions. Et puisque les émissions de GES ont continué d’augmenter, leurs concentrations aussi ont augmenté », souligne le scientifique.
Cela a entraîné une hausse des températures, avec une année 2023 reconnue pour ces records de chaleur. Et il l’affirme : « le réchauffement de l’atmosphère, des océans, des terres est, sans équivoque, due à l’activité humaine. Il entraine des évènements extrêmes (vagues de chaleur, précipitations, sécheresses…) plus fréquents et plus intenses, avec des impacts plutôt négatifs au niveau de la disponibilité de la ressource en eau, du développement des maladies, des déplacements des personnes », précise-t-il.
Et de citer l’exemple de l’agriculture qui a vu sa productivité croître ses dernières décennies avec le développement de nouvelles techniques et des engrais. « Mais s’il n’y avait pas eu le changement climatique, elle aurait encore davantage augmenté », assure-t-il.

1,5-2°C

Évoquant l’avenir, il indique qu’en tant que physicien, il ne peut pas prédire les émissions futures de gaz à effet de serre. « Cela dépend de moi, de vous, des décisions politiques qui sont prises au cours de ce siècle », signale-t-il.
Mais le scientifique sait faire des scénarios. Il en est qui affichent des réductions d’émissions, d’autres où elles continuent d’augmenter. « Pour autant, il est certain que chaque tonne d’émission de CO2 provoque un réchauffement supplémentaire », garantit-il.
En fonction des scénarios obtenus, Gerhard Krinner utilise les modèles de climat pour représenter les conséquences qu’ils auraient sur le changement climatique.
Les travaux réalisés ont ainsi permis d’identifier les volumes de carbone restant à émettre si l’on veut rester dans la limite des 1,5-2°C de réchauffement issus des engagements pris lors de la COP de Paris, en 2015.
« Le budget résiduel pour rester en dessous des 1,5°C, sera bientôt épuisé et le budget pour 2°C, est largement entamé », explique le scientifique. Mais, les modèles montrent bien que l’humanité n’est pas sur une trajectoire de réchauffement de 1,5-2°C d’ici 2100, mais plutôt de 3°C.
« Si l’on veut rester en dessous des 1,5-2°C, il faut réduire immédiatement, durablement et fortement, les émissions de GES. Mais cela soulève des questions de faisabilité, de durabilité, et de risque. Ce n’est pas du tout évident qu’on y arrive », reconnaît le physicien.

Nombreuses conséquences

La machine étant ainsi lancée, sa course ne va pas s’arrêter, même si on stabilise le climat au niveau atteint aujourd’hui. Certains changements sont déjà irréversibles et se poursuivront pendant des siècles et des millénaires.
Citant l’exemple des glaciers qui fondent, il précise que même si on fixe les températures, ils vont continuer de fondre, comme les grandes calottes glaciaires. Et le niveau des mers va aussi continuer de monter de plusieurs mètres, jusqu’en 2100 et bien au-delà. Mais les conséquences sont bien plus nombreuses.
Entre autres, il y a le risque de perte des espèces -plus le réchauffement est fort, plus la biodiversité est atteinte- et les répercussions sur les populations. « Les plus vulnérables sont ceux qui contribuent le moins aux émissions de gaz à effet de serre », déplore le scientifique.
Pour autant, s’il n’est pas possible d’inverser la tendance, on peut encore influencer la vitesse à laquelle le climat augmente. « Ralentir le réchauffement permet de gagner du temps pour mettre en œuvre des mesures d’adaptation », affirme Gerhard Krinner.
« Si les émissions sont moins fortes, les changements induits et notamment la hausse du niveau de la mer, seront ralentis », poursuit-il.

Sobriété

Le physicien ne s’avoue pas vaincu. « Il existe de nombreuses options dans tous les domaines pour limiter les GES et agir en faveur du climat. L’utilisation de l’énergie solaire, de celle du vent et du nucléaire, en font partie. Privilégier une alimentation plus équilibrée aussi. Ce ne sont pas les seules. Si on les utilisait toutes, on pourrait limiter le réchauffement climatique à 1,5°C », estime-t-il.
Cela serait d’autant plus intéressant que ce type d’actions génère des co-bénéfices en matière de développement durable. Mais il faut arrêter d’attendre pour commencer. Il faut des actions fortes et rapides, et aller plus loin en matière de sobriété et d’optimisation des systèmes.
Les politiques publiques ont un rôle très fort à jouer. Et la question de l’argent reste importante. Le financement de la transition est bien inférieur à ce qu’il devrait être.
« En matière d’agriculture par exemple, il faudrait multiplier les budgets par au moins 10 ou 30 », précise-t-il. Malheureusement, certains engagements, certaines actions mis en œuvre, pourraient aussi générer des conflits. Tout le monde n’a pas les mêmes intérêts…
Le propos fait réfléchir. D’autant que comme l’a martelé Gerhard Krinner : « nos actions et nos choix d’aujourd’hui auront des effets immédiats mais aussi pendant des siècles et des millénaires ».

Prix Nobel

Le propos écrit dans le dernier rapport du Giec et rapporté par Gerhard Krinner, n’est pas nouveau.
« Dès les années 1960, Syukuro Manabe, climatologiste japonais, avait prédit, qu’en doublant la concentration de CO2 dans l’atmosphère, l’humanité s’exposerait à un réchauffement de 3°C. Et il attribuait aussi déjà ce réchauffement à l’effet de serre. Pour ces travaux, Syukuro Manabe a reçu le prix Nobel de physique en 2021 », souligne Gerhard Krinner.
S’insurgeant contre les climatosceptiques, il certifie qu’« un prix Nobel de physique, on ne l’obtient pas pour quelque chose qui n’est pas certain. Ce qui se produit aujourd’hui, cela fait longtemps que nous savons que cela va se produire », ajoute le chercheur.

La totalité de la conférence est accessible sur la chaîne youtube du Chuga.

Isabelle Brenguier

(1)   Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Depuis plus de 30 ans, il évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts. Il identifie également les possibilités de limiter l’ampleur du réchauffement climatique et la gravité de ses impacts et de s’adapter aux changements attendus. Les rapports du Giec fournissent un état des lieux régulier des connaissances les plus avancées. Cette production scientifique est au cœur des négociations internationales sur le climat. Elle est aussi fondamentale pour alerter les décideurs et la société civile.

(2)   Gerhard Krinner est aussi directeur de recherche au CNRS, à l’Institut des géosciences de l’environnement, de Grenoble

(3)   Centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes

A la croisée des enjeux
Selon Aurélien Clavel, « par rapport à celle d’autres pays, l’agriculture française est déjà particulièrement vertueuse ».

A la croisée des enjeux

A l’instar des rapporteurs du Giec, Aurélien Clavel, agriculteur dans les Terres froides, estime que l’agriculture peut apporter beaucoup à la lutte contre le changement climatique. A condition qu’elle s’adapte… très vite.

« C’est sûr que l’agriculture a une part de responsabilité dans le changement climatique. Mais son action vise à produire des denrées alimentaires, pas des produits de confort. Et elle est sans doute le seul corps d’activité qui est à la fois un problème et aussi une solution », assure Aurélien Clavel, agriculteur installé à Biol dans les Terres froides et élu à la Chambre d’agriculture de l’Isère.
Selon le responsable, « le sujet se place à la croisée d’enjeux de production alimentaire, de changement climatique et de protection de la biodiversité. Dans cette équation, on ne peut pas se passer de l’élevage, car c’est l’activité qui permet de maintenir et de diversifier la biodiversité dans tous les territoires », estime-t-il. Pour autant, l’agriculture en général et l’élevage en particulier, doivent s’adapter.
« Nous n’avons pas le choix, car les évolutions du climat vont plus vite que les changements que nous mettons en place dans nos exploitations », ajoute-t-il encore.

Bien commun

Face à ces changements, il n’y a pas une seule solution. Chaque exploitation doit s’adapter en fonction de ses capacités de production, de son territoire et de ses débouchés. Mais pour cela, il faut un accompagnement.
D’abord technique. Aurélien Clavel estime ainsi que « l’agriculture a besoin de recherches, d’expérimentations, de partage de nouvelles pratiques ».
Et financier. « Il faut des moyens plus importants que ceux qui sont actuellement déployés. La seule contribution du monde agricole ne suffira pas. En parlant de production alimentaire, d’entretien du territoire, de protection de l’environnement et de la biodiversité, nous parlons de bien commun. Il n’y a donc pas de raison que le milieu agricole soit seul à contribuer », indique le responsable.

Label « bas-carbone »

Avec son frère et associé, Steven, Aurélien Clavel a déjà changé la conduite de l’exploitation familiale. Pour continuer de respecter le cahier des charges de l’IGP Saint-Marcellin malgré des déficits de fourrage liés au changement climatique, les deux frères ont revu leur assolement, développé la luzerne, réalisé des sursemis avec des espèces mieux adaptées dans leurs prairies naturelles et se sont mis au pâturage tournant dynamique.
« En effectuant ces changements, nous nous sommes rendus compte que nous entrions dans le label « bas-carbone » nous permettant de vendre le carbone économisé. Cela nous a intéressé. Ce qui est encore plus intéressant, c’est que nous avons vite constaté que ces fermes étaient souvent celles qui valorisaient le mieux les ressources naturelles pour produire… et qu’elles devenaient aussi plus performantes sur le plan économique ».
Car l’objectif des deux éleveurs est bien de faire en sorte que, malgré le changement climatique, ils puissent continuer à produire et à maintenir leurs revenus.

Isabelle Brenguier

« Les gens mélangent tout »

« Les gens mélangent tout »

Président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, Jean-Claude Darlet estime qu’à cause du manque d’eau, de fourrages, de la hausse des températures, du développement de nouveaux parasites, les agriculteurs subissent de plein fouet les effets du changement climatique, mais disposent de moins en moins de moyens de lutte.
Il cite la problématique de l’accès à l’eau, indispensable pour faire pousser les cultures et nourrir les animaux. « Le stockage de l’eau et l’irrigation doivent être développés », assure-t-il ainsi.
S’agissant de l’élevage, souvent pointé du doigt pour ses émissions de gaz à effet de serre, il considère que « les gens mélangent tout et font des amalgames entre les terres d’élevage d’Amérique du Sud et celles de nos territoires. Les deux n’ont rien de comparable. C’est la même chose pour la viande. Avancer de manière généraliste qu’« il faut manger moins de viande » n’a aucun sens. Ce qu’il faut privilégier, c’est une alimentation équilibrée. Manger des protéines une fois par jour en alternant viande rouge, viande blanche, œuf, poisson..., n’est pas un problème. Et puis, consommer une viande issue des élevages de nos territoires ne présente rien de commun avec une importée de l’autre bout du monde », soutient le responsable.

IB

COP 28 : l’agriculture au cœur des enjeux climatiques

Cent trente-quatre pays, dont l’Union européenne, les Etats-Unis, la Chine et le Brésil, réunis au sein de la COP 28 à Dubaï se sont engagés à donner la priorité à l'alimentation et à l'agriculture dans leurs plans nationaux de lutte contre le changement climatique, a annoncé le président de la Conférence, le 1er décembre.
Moins débattus que l'énergie, les systèmes alimentaires sont responsables d'environ un tiers des gaz à effet de serre produits par l'homme, mais ils sont aussi de plus en plus menacés par le réchauffement et la perte de biodiversité. Ces pays s'engagent à renforcer leurs efforts pour intégrer les systèmes alimentaires dans leurs plans de réduction des émissions de GES. Ils soutiendront les agriculteurs et les autres producteurs de denrées alimentaires vulnérables, notamment en augmentant les financements, en renforçant les infrastructures et en développant des systèmes d'alerte précoce, ajoute la déclaration commune, qui met en avant l'importance de la restauration des terres, de l'abandon des pratiques agricoles émettrices de gaz à effet de serre et de la réduction des pertes de denrées alimentaires.
Cette déclaration ne fait pas l’unanimité notamment chez les ONG. Il n'y a « aucun engagement à passer à des régimes alimentaires sains et durables, ni à réduire la surconsommation de viande produite industriellement », a déclaré IPES-Food, un consortium d’experts internationaux sur l’alimentation durable, fustigeant des formules vagues et l'absence d'actions ou d'objectifs concrets.