Reprise d'exploitation
La clé du collectif 

Isabelle Doucet
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Entre la reprise de l’exploitation, la multiplication des ateliers de production et les soirées festives qui rassemblent tous les habitants alentour, il s’est passé moins d’une année pour que la Clef des sables devienne un lieu de vie et de production.

La clé du collectif 
Gaëlle Aubert, conseillère à la Chambre d'agriculture de l'Isère, Anthony Charuel, salarié de la Clef des sables, Lucas Théodose, maraîcher associé et Nicolas Gohier, fondateur de la Clef des sables.

En quelques mois, La Clé des sables à Saint-Lattier est devenue un vrai lieu de vie, conforme au projet agriculturel tel que l’avait espéré son initiateur Nicolas Gohier. Place à la production agricole en journée, à la convivialité une fois par semaine et à la culture une fois par mois.
Aux Sablières, la transmission de l’exploitation de René Cluze s’est déroulée dans des conditions atypiques, au bénéfice de l’activité agricole et des habitants.
Le projet, porté à l’origine par une seule personne, s’est vite transformé en aventure collective. « C’est une forme de réponse face aux difficultés de l’installation qui concernent beaucoup de personnes hors cadre familial », indique Nicolas Gohier.
Le nouvel installé a actionné tous les leviers pour faire de la Clef des sables « une ferme ouverte et diversifiée ».
Le Saint-Lattiérois a repris l’exploitation de René Cluze en 2021.
« C’est une ferme familiale. René a pris sa retraite, et ses enfants ne souhaitaient pas reprendre l’exploitation, explique Nicolas Gohier. J’ai travaillé avec lui pendant deux ans, d’abord en stage test, puis comme salarié. » La ferme était depuis 13 ans en agriculture biologique avec trois types d’ateliers : 13 ha de noyers, des asperges plein champ et 25 ha de grandes cultures, que le repreneur a appris à conduire pendant deux ans.

Épargne citoyenne

Pour que le coût de la transmission reste raisonnable, René Cluze n’avait pas effectué d’investissement récent dans le matériel, facilitant son rachat par Nicolas Gohier.
Mais l’affaire se présentait plus délicate pour les 3,5 ha en propriété. « J’étais au chômage, je ne pouvais pas contracter de prêt », mentionne-t-il.
D’où la création de la SCIC La Clef des sables pour le rachat du foncier de l’exploitation. Famille, amis, voisins, agriculteurs, tout un premier cercle est mobilisé pour soutenir cette démarche.
« Environ une dizaine de personnes ont des parts sociales dans la société, indique Nicolas Gohier. Nous préparons d’ailleurs un élargissement de l’association dans le cadre du projet de construction d’un futur bâtiment. »


C’est le principe sur lequel repose La Clé des sables : la mobilisation de l’épargne citoyenne pour permettre l’achat de foncier et de matériels qui sont loués aux agriculteurs.
« C’est un modèle plus sain, où la rémunération à l’agriculteur est plus rapide et les emprunts soutenables en correspondance avec les besoins en investissements », soutient le producteur qui ajoute : « Le capital nécessaire à l’outil de production doit être collectivement porté, et pas seulement par les agriculteurs, mais aussi par les consommateurs et les habitants pour avoir une ferme qui dégage de la plus-value locale. »

Bientôt huit

Puis les choses se sont enchaînées rapidement. « Il était difficile de faire des grandes cultures sur certaines petites parcelles qui convenaient mieux au maraîchage ou à la production de petits fruits », reprend Nicolas Gohier.
C’est ainsi qu’il accueille de nouveaux producteurs « sous réserve que leur projet d’entreprise soit fiable et qu’ils soient d’accord pour partager le matériel et faire de l’entraide. » Ils sont aujourd’hui quatre associés et s’apprêtent à en accueillir quatre nouveaux.
Lucas Théodose, maraîcher, est présent dès le début du collectif. « Je l’ai rencontré parce que René lui prêtait une parcelle. Les autres sont arrivés par connaissance », rapporte le pionnier.
La Clef des sables héberge désormais Mathieu Denis, également maraîcher, Paloma Cuevas, productrice de petits fruits et Céline Autissier en PPAM.
D’ici un an, la ferme accueillera encore un boulanger, un atelier d’élevage (bovin, ovin, volaille) et de transformation, un verger diversifié et un apiculteur.

S'écouter

Très tôt, Nicolas Gohier a également recruté Anthony Charuel en tant que facilitateur « pour la mise en place des structures et pour qu’elles fonctionnent dans le temps », déclare-t-il.
Un investissement immatériel que le collectif retrouve dans sa capacité à fonctionner, « car en phase d’installation, nous avons besoin de consacrer beaucoup de temps à la production, mais aussi à la communication et aux démarches administratives ».
Les clefs de la réussite du groupe « c’est d’avoir un responsable par atelier et de s’écouter », assure le fondateur de La Clef des sables.
Les décisions sont prises en commun et de façon démocratique.
Une réunion hebdomadaire permet d’établir le planning de la semaine, d’organiser l’entraide, les chantiers et la rotation du matériel.
Tous les 15 jours, une réunion de coordination sert à faire le point sur les projets de la ferme et les projets de vie. « Nous définissons des règles à partir de situations concrètes », explicite Nicolas Gohier. Et ça marche.

L’entraide est évaluée à environ 200 heures échangées par an. Les associés participent par exemple au tri des noix à l’automne tandis que le tracteur est plutôt disponible en été pour les petits travaux de maraîchage. Ce printemps, tout le monde mettait la main à la pâte pour construire une nouvelle serre.

Un lieu d’animation

La Clef des sables a redonné de l’activité au hameau des Sablières avec la création de nombreux emplois et d’un lieu vivant.
Un nouveau bâtiment de stockage et de transformation de 500 m2 devrait voir le jour en 2023.
Son investissement de 300 000 euros a fait l’objet d’une demande de soutien du Feader et du GIP (1).
Les habitants du secteur y trouveront sans doute encore plus d’attractivité.
Car une fois que les outils sont rangés, la Clef des sables devient un lieu d’animation. Les producteurs organisent un marché local tous les jeudis soir. Ce marché guinguette offre à la clientèle la possibilité de se restaurer sur place, de profiter de la buvette et d’un moment de convivialité.
Une fois par mois, l’association qui porte le projet culturel de la ferme accueille un spectacle vivant - pièce de théâtre, danse, concert - qui peut attirer de 100 à 150 personnes.
Enfin, tous les derniers dimanches du mois, un grand repas est organisé aux Sablières avec les gens du village.
« C’est un vrai lieu de vie », glisse Nicolas Gohier en mesurant le chemin parcouru en si peu de temps.

Isabelle Doucet

(1) GIP ou FDIAA pour Fonds départemental d’investissement agricole et agroalimentaire.

 

 

Les haies plantées avec les enfants
Plantation de haies et montage de serres à La Clef des sables.

Les haies plantées avec les enfants

La Clef des sables a planté 350 m de haies dans le cadre de l’appel à projet national Plantons des haies.

« Le seul puits de carbone pour lutter contre le réchauffement climatique c’est planter des arbres, assure Nicolas Gohier. Cela rajoute de la complexité à l’environnement agricole pour mieux lutter contre les aléas climatiques et favoriser le retour de la faune et de la flore. »
Le créateur de l'exploitation collective  La Clef des sables a répondu à l’appel à projet national Plantons des haies, lancé dans le cadre du plan de relance 2021. Il a été accompagné par la Chambre d’agriculture de l’Isère dans l’élaboration du projet, pour la plantation et pour l’entretien des haies.

18 km en Isère

« L’objectif national est de planter 7 000 km de haies en deux ans », explique Gaëlle Aubert, conseillère chambre référente sur les haies avec deux autres de ses collègues, Robinson Stieven et Vincent Bateau.
« En Isère, avec la FDCI et le PNR du Vercors, nous avons accompagné plus de 40 exploitations pour les demandes d’aides, les diagnostics, le conseil et la réception des travaux », reprend-elle.
La première enveloppe du plan de relance a attribué un budget de 140 000 euros pour planter d’ici trois ans 18 km de haies.
Les chantiers ont débuté l’hiver dernier, comme à la Clef des sables où 350 m ont déjà été plantés sur trois parcelles, représentant un budget de 2 500 euros. L’objectif est de planter un km d’ici trois ans. 


L’opération de plantation a été menée les 28 février et 1er mars avec les élèves de l’école élémentaire de Saint-Lattier et la participation des habitants.
« Nous avons beaucoup de choses sous nos pieds que nous pouvons montrer aux enfants en plantant des arbres, en leur montrant les racines », relate Nicolas Gohier qui a noué un partenariat avec l’école ponctué d’interventions et de visites de l’exploitation.
Les écoliers ont participé à la préparation des plants, ravis de patouiller les mains dans la terre. Chaque plant porte une petite étiquette avec un prénom. 

Trois paillages

L’avantage agronomique de haies a largement été mis en avant : limiter l’érosion des sols ; servir de coupe-vent ; protéger du soleil ; retenir l’eau ; favoriser la biodiversité ; servir d’abri aux auxiliaires de cultures ; d’ombrage pour les troupeaux ; embellir les paysages et  valorisation économique avec la taille pour la production de broyats et de plaquette. 
D’ailleurs Nicolas Gohier a expérimenté trois types de paillages pour les nouvelles haies : recyclage de bâches d’asperges, paille déclassée et plaquettes. C’est ce dernier paillage qu’il considère le plus satisfaisant. 
L’appel à projet préconise la plantation de cinq espèces minimums et si possibles locales, en haies simples ou doubles.
Nicolas Gohier témoigne que ce choix peut être limité compte-tenu de la disponibilité et de l’environnement végétal sauvage. Sur les parcelles de Saint-Lattier ont ainsi fleuri des cornouillers sanguins, de l’aubépine, du prunier sauvage, du sureau noir, des pommiers et des troènes de bois. 
Un nouvel appel à projet a été lancé et une dizaine d’exploitations iséroises sont déjà sur liste d’attente…
Isabelle Doucet