Changement de pratiques
Konrad Schreiber, spécialiste des sols vivants, prône une nouvelle Révolution verte

Isabelle Brenguier
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A l'occasion de l'assemblée générale de la Senura, Konrad Schreiber, spécialiste des sols vivants, a présenté une nouvelle approche de l'agriculture. Basé sur la protection des sols, le propos piquant a suscité réactions... et réflexions. 

Konrad Schreiber, spécialiste des sols vivants, prône une nouvelle Révolution verte

Passionnant… et perturbant. C’est ainsi que l’on peut qualifier le propos de Konrad Schreiber, spécialiste des sols vivants, tenu à l’occasion de l’assemblée générale de la Senura (Station d’expérimentation nucicole de référence, pour le bassin Sud Est), le 12 mai à Chatte.

Jean-Claude Darlet, coprésident de la Senura et président de la Chambre d’agriculture de l’Isère, l’a trouvé « décoiffant ». Quant à Yves Borel, nuciculteur retraité et ancien président du CING, il a eu le sentiment qu’on lui « retournait le cerveau ». « En vous écoutant, je me demande si c’est vous qui avez raison ou si ce sont tous les techniciens et toutes les administrations qui se sont succédés ces dernières dizaines d’années ? Je n’en sais rien. En tout cas, ce n’est pas facile d’admettre que l’on s’est trompé pendant 50 ans. Pour autant, j’ai envie de vous croire. On a déjà enherbé les vergers de noyers. On peut penser qu’on va dans le bon sens. Mais si on veut aller plus loin, il faudra nous accompagner, nous expliquer les bonnes pratiques à développer », explique-t-il.

Démonstration implacable

Fondé sur l’agroécologie et l’intérêt des couverts végétaux, la nécessité de produire en évitant de polluer et en améliorant la qualité des sols, le discours de Konrad Schreiber remet en question toute la politique et les pratiques agricoles mises en œuvre depuis des décennies avec la « Révolution verte ». Et si l’approche développée n’est plus tout à fait nouvelle, le propos tenu ne prend pas de pincette, va bien plus loin que les standards convenus, et renvoie bien loin les savoirs et les apprentissages faits à l’école de bon nombre d’agriculteurs et de techniciens agricoles.

Dès le début, le spécialiste plante le décor. Quand il parle de sols vivants, Konrad Schreiber décrit « des sols couverts, des sols prospères, des sols non travaillés ». A l’inverse de sols nus et de sols travaillés, qu’il considère comme « foutus » et morts, et cela, peu importe le type d’agriculture pratiqué. Pour lui, il faut arrêter le labour, semer directement derrière les cultures et végétaliser au maximum.

En faisant cela, le bénéfice est important. Surtout avec le changement climatique. « Parce qu’elles captent le soleil, recyclent le gaz carbonique rare, contrôlent l’oxygène, fabriquent de l’ombre, évapotranspirent l’eau, gèrent le cycle de l’eau, baissent la température, protègent les sols, fabriquent la terre fertile, produisent et gèrent la biodiversité, les plantes sont la clé. Les paysans doivent se mettre au boulot et sauver la planète avec les plantes », encourage-t-il.

Et le spécialiste de donner les températures d’un sol travaillé nu (36°C) et quand il est recouvert de paille (26°C). La démonstration est implacable. Il indique donc qu’il faut supprimer le travail du sol pour construire un système de couverture qui produise beaucoup en agroécologie *. Car un sol nu rayonne plus et renvoie plus de chaleur qu’un sol couvert. « Depuis 2015, nous savons qu’un sol nu en plein soleil est condamné à se transformer en banc de sable, car nous avons un produit hyper-oxydant qui détruit toute la matière organique des sols », décrit Konrad Schreiber.

Remise en cause

Pour avoir des plantes en bonne santé, Konrad Schreiber utilise la méthode de la « Croix RedOx », « RedOx » pour réaction d’oxydoréduction. Pour le spécialiste, les réactions d’oxydoréduction sont essentielles dans la physiologie de tous les organismes. Aussi, dans la croix qui inclut une ordonnée avec une dimension ascendante nocive d’oxydation (qui comprend les paramètres de l’action du travail du sol, du soleil, de la pluie, des fertilisations avec oxygène et des produits phytosanitaires), une autre descendante bénéfique (qui comprend l’action de la photosynthèse, des résidus, des effluents, de l’absence d’oxygène, des fertilisations sans oxygène, des acides organiques et des vitamines) et une abscisse qui prend en compte le pH du sol (critère fondamental), il indique que, si les plantes sont situées en plein cœur de la cible (avec un pH entre six et sept), elles se moquent des pathogènes et des ravageurs.

Pour lui, il faut revenir sur les prescriptions de la « Révolution verte » qui a dégradé les sols, alors qu’ils sont le premier support de la vie et de la biodiversité des sols. Car, si on continue, on met de plus en plus d’engrais, de plus en plus de nitrates, et on a de plus en plus de ravageurs. Ainsi, selon lui, il faut supprimer l’ammonitrate et utiliser les antioxydants qui protègent les plantes.

En mettant en œuvre ce principe, Konrad Schreiber assure développer une agriculture qui, dans son ensemble, prévient les maladies. Mais comme elle n’est pas pour autant, à l’abri d’un « loupé », il estime que les agriculteurs doivent pouvoir continuer de disposer d’une boîte à outils performante. C’est à ce moment que le spécialiste déplore – vivement - que les autorités vident la boîte des outils obsolètes (produits phytosanitaires tels que le glyphosate) sans la remplir de nouveaux.

Et dans sa remise en cause du modèle proposé précédemment, le professionnel assure également qu’il faut revenir sur l’agriculture dépendante de l’énergie fossile, devenue rare et chère. Pour lui, « elle n’a plus d’avenir car les intrants suppriment la rentabilité de l’acte de production ». Dans le contexte géopolitique actuel, le propos peut faire écho. Même si cette remise en question peut ne pas être du goût de tous.

Essayer des choses

La conférence de Konrad Schreiber est dure à entendre, à intégrer aussi. Mais elle fait réfléchir. Loin de la rejeter en bloc, ni, pour autant d’adhérer sans réserve, nombre de nuciculteurs présents dans la salle ont estimé qu’elle pouvait insuffler de nouvelles - et bonnes – pratiques. « Des idées sont à tester », reconnaissent certains.

Et pour ça, la Senura est l’outil idéal. Christian Mathieu, son deuxième coprésident, en est convaincu. « Nous allons nous réunir en bureau pour voir quels essais seraient pertinents pour nos vergers. La station est là pour essayer des choses, voir si elles fonctionnent ou pas, prendre des risques à la place des producteurs », indique-t-il.

Son expérience lui fait dire que « l’agriculture est une remise en question permanente et même si les changements peuvent être difficiles au début, les agriculteurs ont toujours su s’adapter. Je me souviens du développement de la confusion sexuelle. Au début, les nuciculteurs levaient les bras au ciel. Aujourd’hui, ils sont nombreux à la pratiquer ».

Nuciculteur à Chatte, Olivier Gamet est adepte du non-travail du sol et du semis direct depuis longtemps. Intéressé par le discours tenu, qu’il estime aller dans le bon sens, il reconnaît toutefois que sa mise en œuvre peut s’avérer difficile. Pour autant, il espère que la profession nucicole saura s’en saisir. En tout cas, avec cet échange, nul doute que les premiers jalons sont posés.

* Konrad Schreiber ne définit pas l’agroécologie comme le Ministère de l’agriculture ou de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, mais comme « une agriculture qui étudie et utilise le sol agricole comme une maison hébergeant une grande quantité d’êtres vivants capable de faire pousser les plantes toutes seules ».

Isabelle Brenguier

 

La recherche n'est pas aidée
Devant nuciculteurs et élus, l'assemblée générale de la Senura le 12 mai à Chatte, fut l'occasion de présenter l'ensemble de ses travaux.
Expérimentations

La recherche n'est pas aidée

La Senura continue de réaliser d'importants travaux de recherche pour la filière. Malgré des financements en baisse. 

L'assemblée générale de la Senura le 12 mai à Chatte, fut l'occasion de présenter l'ensemble de ses travaux. Une équipe de 11 techniciens, la quarantaine d'essais réalisée chaque année au sein d'une centaine de parcelles implantées dans les 40 hectares de la station ou chez des producteurs : En s'appuyant sur ses modestes moyens, l'organisme cherche à répondre aux enjeux de la filière et préserver une agriculture dynamique. Ainsi, de nombreux travaux sont actuellement menés pour obtenir des références et donner aux nuciculteurs des solutions alternatives efficaces pour lutter contre les maladies et les ravageurs, optimiser la gestion de l'eau et réduire l'utilisation des produits phytosanitaires.

La conversion biologique étant lancée, la station vient de convertir un îlot complet et cohérent en bio pour le suivre, en place de parcelles disséminées au milieu d'autres, conduites en conventionnel. Et depuis 2019, qu'elle s'est dotée d'une collection d'amandiers, de noisetiers et de pacaniers, elle les étudie aussi avec attention.

Outil essentiel

Si l’intérêt de ces travaux n'est plus à démontrer, la station souffre cependant d'une baisse des financements de FranceAgriMer. Alors qu'ils représentent 15 à 20 % de son budget, ils sont maintenant suspendus. Présent à la rencontre, Fabien Mulyk, vice-président du Département en charge de de l'agriculture, a réaffirmé son soutien à l'organe de recherche, qu'il considère comme essentiel pour répondre aux questions des nuciculteurs et de la société civile.

IB