Les Assises euro-alpines du pastoralisme ont rassemblé à Grenoble tous les acteurs du monde d'en haut, éleveurs, experts, politiques autour d'une réflexion partagée sur l'avenir de cette activité en transition au cœur de défis pluriels dont le changement climatique, le partage des espaces et la valorisation des produits pastoraux.

Un engagement collectif au service du pastoralisme alpin

Grenoble était, jeudi 8 octobre, la capitale européenne du pastoralisme alpin.

Les acteurs européens de l'élevage alpin ont tenté de mettre en commun toutes les initiatives, études, observations, ambitions qui leur permettent de relever les nombreux défis auxquels est confronté cet espace fragile.
Ces Assises, organisées par la Fédération des alpages de l'Isère (FAI), le Suaci Montagn'alpes (1) et le réseau pastoral (2) Aura, étaient placées sous l'égide de la Suera (3).

« Les enjeux dépassent les frontières », a lancé Christiane Barret, déléguée à la présidence française de cette structure coopérative interrégionale et interétatique. La feuille de route est reprise dans son manifeste, « Construire une région alpine durable et résiliente ».

 

Elianne Barret, présidente déléguée à la Stratégie de l’Union européenne pour la région alpine, Suera.

 

 

Dans ce millefeuille, où les actions pullulent autant que le loup dans le Mercantour, les éleveurs ont réaffirmé leur volonté d'être acteurs des décisions qui les concernent en premier lieu.

Pastoralisme en transition

« C'est un paradoxe, a prévenu Luc Falcot, président du Cerpam (4). Il n'est pas possible d'avoir des produits de qualité, de l'élevage extensif et de virer les éleveurs de montagne. La PAC doit soutenir un élevage de qualité et résilient au changement climatique. »

Car ces assises ont non seulement le mérite de compiler et de partager toutes les avancées en matière de sauvegarde et de développement de l'activité pastorale, elles ont aussi pour ambition d'être force de proposition dans le cadre des politiques publiques dont la politique agricole commune.

Trois axes ont plus particulièrement été visités : les solutions pour le pastoralisme face aux changements climatiques, la souveraineté alimentaire et la valorisation des produits pastoraux, et la cohabitation entre métropoles et espaces pastoraux.

Ecosystème en danger

Euromontana (5), association européenne des zones de montagne, recense plusieurs études financées par le programme européen Life sur les prairies permanentes.

« C'est un écosystème en danger, lance Marie Clotteau, la directrice. 75% des prairies permanentes sont dégradées. » Elle rappelle que sans intervention humaine, il n'y a pas de prairie et encore moins de biodiversité.

 

Marie Clotteau, directrice d'Euromontana.

 

L'association a collecté 31 bonnes pratiques, parmi lesquelles, la Suisse qui, dans le cadre de sa propre politique agricole, a instauré le paiement direct pour contribution au paysage cultivé et à la biodiversité.

L'Italie quant à elle lutte contre l'abandon des territoires en mobilisant plusieurs fonds de façon à favoriser l'accès à la terre.

La Slovénie s'est engagée à réhabiliter les surfaces abandonnées tout en veillant à leur rentabilité.

Le Portugal a fait du pastoralisme un moyen de lutte contre les incendies : les unités de gestion du bétail sont devenues les nouveaux soldats du feu.

La Grèce équipe son bétail électroniquement pour garantir la traçabilité de l'élevage extensif.

Et le projet inter-état (Suisse, Allemagne, Espagne) Bergwald (montagne-vallée) propose de dépasser les incompréhensions entre zones urbaines et zones rurales en recrutant des volontaires pour maintenir les paysage alpins ouverts et les sensibiliser au fonctionnement de ce système.

Enfin, la directrice du think-tank insiste sur les attentes d'Euromontana afin que dans la future PAC, les ecoschemes (*) tiennent compte des services fournis par le pastoralisme aux écosystèmes. Pour Christophe Léger, président du Suaci Montagn'Alpes, il convient d'être très vigilant quant au risque de simplification des conditionnalités de la PAC sur le verdissement autour de la bio ou de la HVE (**), excluant « la subtilité de nos territoires ».

Petite satisfaction partagée par l'ensemble des acteurs : l'inscription en 2019 de la transhumance à la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l'Unesco. Avec l'espoir que bientôt elle sera rejointe sur cette même liste par le Patrimoine alimentaire alpin (projet AlpFoodway).

Un socle de valeurs communes

Car l'économie de montagne ne va pas sans la valorisation des produits pastoraux. Qui, à l'aune de la crise sanitaire Covid-19, trouvent toute leur place dans la question de la souveraineté alimentaire et de la logique de relocalisation.

Lilian Vargas, en charge de l'agriculture à Grenoble Alpes métropole a décliné les initiatives locales comme le PAIT (projet alimentaire inter-territorial) de la région grenobloise.

Il a pour ambition la lutte contre la pression foncière et la reterritorialisation du système alimentaire. Il met en perspective une production diversifiée, qui va de la plaine à la montagne, avec son bassin de consommation, dense mais aussi vecteur de pression foncière.

Il a aussi cité l'association des viandes ovines agropastorales, qui valorise ses produits en Isère en circuit court et avec la RHD.

Mais pour promouvoir une offre segmentée, il faut que l'ensemble des acteurs s'entendent sur un socle de valeurs et qu'un réseau soit capable de se (re)construire autour de la logique de relocalisation. C'est ce que les Grenoblois appellent « un système alimentaire du milieu » (Syam), qui a prouvé sa pertinence et sa capacité à émerger en période de crise. Le projet européen 100% local a pour ambition de formaliser une telle démarche à l'échelle du massif.

Politiques publiques

Une partie des Assises a été dédiée aux échanges très fournis entre professionnels du pastoralisme chercheurs et représentants des collectivités.

L'occasion de redire l'importance des outils numériques comme moyens de partage de connaissance, la nécessaire valorisation des emplois pastoraux, la réduction du fossé entre zones urbaines et zones rurales.

Guillaume Rousset, Directeur régional adjoint de la Draaf Aura, a expliqué que le plan de relance de 1,2 milliard d'euros dédié à l'agriculture et à l'alimentation compterait une enveloppe de 10 millions d'euros pour les métiers et la formation, 80 millions d'euros pour les projets alimentaires territoriaux (PAT) et 100 millions d'euros pour les abattoirs. « Il y a des opportunités à saisir », a-t-il commenté.

 

La table ronde était pilotée par Philippe Lacube, président des chambres d'agricultures des Pyrénées, avec Guillaume Rousset, directeur adjoint de la Draaf Aura, Elodie Jacquier-Laforge, députée de l'Isère et vice-présidente du groupe de travail sur l'élevage pastoral à l'assemblée nationale, Eliane Bareille, vice-présidente de la région Paca en charge du pastoralisme et de la ruralité, Didier-Claude Blanc, conseiller régional Aura et Wolfgang Mayrhofer, secrétaire de la Convention alpine.

 

Didier-Claude Blanc, conseiller régional Aura, a quant à lui pointé le risque de l'épuisement des éleveurs et des bergers. La Région soutien le dispositif Maploup, le programme de sélection de chiens de bergers, la mise en place du système de drones pour effaroucher le loup et subventionne des logements pour les bergers.

Mais François Tabuis, vice-président du Suaci, attend un vrai plan de soutien à l'élevage de montagne et un investissement des politiques publiques. Il a déclaré : « Il ne faut pas changer le pansement, mais penser le changement »

Jamais sans le loup

Bien sûr le loup n'a pas eu besoin d'invitation pour s'immiscer dans les débats. Il est vrai qu'il est un des deux enjeux majeurs pour le pastoralisme - avec le changement climatique - et souvent placé au premier plan des menaces pour l'activité.

« Nous sommes la région la plus prédatée, expliquait ainsi Eliane Bareille, vice-présidente de la région Paca en charge de la ruralité et du pastoralisme. Nous avons de gros problèmes avec les patous. Mais là où il y a amélioration, c'est là où il y a rapprochement entre randonneurs et comités pastoraux locaux.»

« On passe du temps à parler prédation, du temps qui n'est pas pris sur d'autres sujets, a déclaré Denis Rebreyend, le président de la FAI, à l'issue des assises. J'espère que les actions seront cohérentes, simples, applicables et accessibles. »

 « L'avenir dépend de la coopération entre toutes les forces qui œuvrent au bénéfice de la montagne, à commencer par les agriculteurs des espaces alpins », a apporté comme une conclusion Wolfgang Mayrhofer, secrétaire de la Convention alpine (6) et membre de la Suera.

Enfin Christiane Barret a assuré que ces sujets seraient portés à Bruxelles. « Le commissaire européen à l'agriculture est prêt à nous rencontrer en visioconférence », a annoncé la présidente déléguée de la Suera.

 

(*) dans la future PAC, les Ecoscheme, sont une conditionnalité de paiement du premier pilier en lien avec des exigences de verdissement.

(**) Haute valeur environnementale.

Isabelle Doucet
Atelier / Adaptation ou atténuation des effets du changement climatique en milieu alpin : la connaissance avance au profit de solutions concrètes.

Quelles solutions pour s'adapter au changement climatique ?

Life Pastoralp est un programme européen de référence piloté par l'Université de Florence sur la vulnérabilité des pâturages et les stratégies d'adaptation.
Ses deux laboratoires à ciel ouvert sont les parcs nationaux des Ecrins en France et Gran Paradisio en Italie.
Le réchauffement climatique, qui est beaucoup plus sensible dans les Alpes (+2° en un siècle, soit eux fois plus qu'à l'échelle mondiale), a une influence sur la qualité des fourrages. De même que les précipitations, moins fréquentes en été, avec des épisodes plus violents et un manteau neigeux en retrait.
Avec ce glissement vers un climat méditerranéen, certains pâturages sont déjà à l'abandon, surtout en Italie. Le programme cherche à identifier des mesures de gestion et d'adaptation pour soutenir les décisions politiques et des éleveurs.
Les premières études font apparaître que la poussée de l'herbe est plus grande de mars à décembre et qu'il n'y a pas de variation quant à la quantité annuelle de fourrage. Reste la question de sa qualité.
Gestion différenciée
« La réponse à la parcelle ne marche pas forcément », a déclaré Laurent Garde, le directeur adjoint du Cerpam. Il propose la piste de la mobilité comme facteur de résilience des élevages pastoraux, en raison de surfaces et de végétations très différentes.  L'objectif est aussi « d'apprendre aux animaux à manger sec et ligneux, à condition qu'il y ait un abreuvement suffisant ».
Les prairies permanentes seront de plus en plus à la peine avec des démarrages précoces certes, mais des stades végétatifs plus importants en été, de sorte que « la gestion différenciée des stocks et des troupeaux, voire la baisse des effectifs sont des solutions à envisager », selon Vincent Manneville, délégué régional de l'Institut de l'élevage (Idele).
« La rupture des stocks en été, c'est déjà le quotidien des éleveurs d'une grande partie des Alpes », a précisé Christophe Léger, le président du Suaci.
« Partout où cela est possible, il faut mobiliser de nouvelles surfaces. Faire comprendre à l'Europe et à la PAC qu'il est nécessaire d'avoir des surfaces tampon, mobilisables en cas de crise. On a besoin de sécurisation », a déclaré Luc Falcot. Il préconise d'« aller chercher l'innovation où elle se trouve, chez les éleveurs. Le travail de caractérisation revient aux scientifiques en lien avec les territoires. Il faut ensuite assurer le retour aux acteurs de terrains, éleveurs et bergers, alors même que la ressource pour l'animation décroît. »
Les plus joueurs peuvent s'essayer au Rami fourrager, un jeu de plateau conçu par l'Idele pour accompagner les éleveurs dans leur réflexion sur leur adaptation au changement climatique. Cette mise en situation ludique « permet de voir si l'élevage passe au crash test d'une situation extrême », explique Matthieu Cassez, d'Agridea Lausanne. Le jeu se décline aussi en rami pastoral.
Isabelle Doucet
 

 

 

 

Qui fait quoi ?

 

(1) Le SUACI ou (Service d'utilité agricole à compétence interdépartementale) est un organisme inter établissement de réseau créé par les chambres d'agriculture et étendu à d'autres organismes avec pour objet les politiques montagne et les problématiques alpines.

(2) Le réseau pastoral alpin est constitué des services pastoraux alpins et du Suaci (FAI, Adem26 etc.)

(3) La Suera, c'est la Stratégie de l’Union européenne pour la région alpine. Elle est aussi appelée Eusalp Elle couvre un territoire de 80 millions d’habitants et 48 régions situées dans sept pays, dont cinq États membres de l’UE – Allemagne, Autriche, Italie, Slovénie et France- et deux pays tiers – Suisse et Lichtenstein. Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Côte-d'Azur et Bourgogne-France-Comté font partie de cette structure coopérative, dont le rôle est consultatif. La présidence de la France, confiée à Christiane Barret, a été prolongée jusqu'en 2021.

(4) Le Cerpam ou Centre d'Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes-Méditerranée.

(5) Euromontana est l'Association Européenne multisectorielle pour la coopération et le développement des territoires de montagne. C'est un think-tank dont la mission est de promouvoir des montagnes vivantes en oeuvrant pour le développement global et durable et l’amélioration de la qualité de vie. Elle rassemble des organisations nationales et régionales de différents pays de l’Europe. Elle compte 60 membres dans 15 pays.

(6) La Convention Alpine offre un cadre juridique aux Etats de l'espace Alpin (Allemagne, Autriche, Italie, Slovénie, France, Monaco, Suisse et Lichtenstein). C'est un traité international dont l'objet porte sur la protection de la nature, le développement durable, l'aménagement de la montagne, l'agriculture et la forêt, l'énergie, le tourisme, les transports et la protection des sols.

 

 Pour aller plus loinLes Alpes et le pastoralisme